Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 17 février 2010 à 14h30
Récidive criminelle — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui est le quatrième sur la récidive en quatre ans, comme l’a rappelé M. le rapporteur.

Officiellement, ce projet de loi vise à mettre en œuvre un dispositif de rechange, à la suite de la censure du Conseil constitutionnel relative à la rétention de sûreté.

En dépit des réserves claires du Conseil constitutionnel, le Gouvernement, aidé en cela par le rapport Lamanda, a entrepris d’aller au bout de sa logique.

Il en résulte, après une lecture à l’Assemblée nationale, un texte fourre-tout, dangereux, qui témoigne d’une approche extrêmement sécuritaire de la notion de récidive.

Fruit d’une inventivité répressive devenue obsessionnelle, ce projet de loi est un nouveau texte de circonstance, d’affichage, pour lequel nos ministres sont même allés très loin dans le populisme pénal, en évoquant, par exemple, la castration physique comme solution possible dans le cadre de la lutte contre la récidive.

Au-delà de la méthode, très contestable, c’est le texte lui-même qui souffre de nombreuses incohérences. Il constitue en fait le prolongement de la loi relative à la rétention de sûreté, que nous avions fermement combattue ! Ce projet de loi est une étape supplémentaire dans une régression majeure de notre droit pénal : on ne jugera plus une personne pour les faits qu’elle a commis, mais pour ceux qu’elle est susceptible de commettre, en raison de sa dangerosité supposée.

Nous sommes résolus à combattre cette mesure de rétention de sûreté, comme d’ailleurs la surveillance de sûreté, car nous estimons qu’il s’agit là d’une grave dérive, consistant à instaurer une peine après la peine.

Combattre ce dispositif sur le terrain du droit, ce n’est pas être du côté des assassins, comme l’a suggéré un ministre en exercice. Ces propos scandaleux témoignent d’une grave méconnaissance des principes juridiques qui régissent le droit à la liberté et à la sûreté.

Combattre ce dispositif, au contraire, c’est être du côté du droit, d’une justice fondée non pas sur le virtuel, mais sur des faits matériels établis.

Ce dispositif a été présenté, en 2008, comme exceptionnel. Or il nous est proposé, par ce projet de loi, d’en élargir le périmètre, sans qu’aucune étude d’impact des dispositions votées voilà deux ans n’ait été réalisée. Vous nous proposez de banaliser des mesures de sûreté sans qu’aucun impératif particulier ne le justifie.

Pis encore, alors même que la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 était très claire quant à l’inapplicabilité de la rétention de sûreté aux personnes actuellement détenues, vous avez réussi à contourner cette exigence par un tour de passe-passe juridique. Ainsi, en vertu du présent projet de loi, une personne déjà condamnée à dix ans de réclusion criminelle pourrait être placée sous surveillance de sûreté à l’issue de sa peine et se voir imposer, en cas de manquement à ses obligations, une mesure de rétention de sûreté. On parvient ainsi au même résultat, en dépit de la décision du Conseil constitutionnel, qui est ici tout simplement contournée, pour ne pas dire bafouée.

Selon nous, ce texte est une insulte à l’égard du Conseil constitutionnel, puisqu’il vise à introduire dans notre droit, par une contorsion juridique, ce qu’il avait refusé il y a deux ans. Il est également une insulte à l’égard des défenseurs des droits humains, car il introduit dans notre droit des principes qui lui sont étrangers et que notre tradition juridique a toujours soigneusement écartés : c’est l’avènement de « l’homme dangereux ». Ce texte repose tout entier sur cette idée nauséabonde : il est possible d’enfermer à vie une personne en raison de sa dangerosité présumée, et donc de son état.

Par une manœuvre habile, mais grossière, ce texte multiplie les hypothèses de placement immédiat sous surveillance de sûreté et, par conséquent, en rétention de sûreté. Ces mêmes mesures, qui devaient être exceptionnelles, sont aujourd’hui banalisées, et le seront sans doute encore plus demain, lorsque surviendra le prochain fait divers.

Voilà le problème majeur : nous légiférons en fonction de faits divers, en nous fondant sur nos émotions. Cela n’est ni acceptable ni digne du travail législatif !

Enfin, si nous nous opposons à ce texte, comme nous nous sommes opposés à la loi relative à la rétention de sûreté –qui demeure, à nos yeux, une peine sans infraction ! –, c’est parce qu’il est, lui aussi, contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour européenne des droits de l’homme, dans une décision récente, en date du 17 décembre 2009, nous a d’ailleurs donné en partie raison, en jugeant que le système de la détention de sûreté en vigueur en Allemagne, dont vous vous êtes inspiré, constitue une peine, et non une mesure de sûreté.

Ce constat a une conséquence directe dans notre droit interne : il détruit la fragile argumentation du Conseil constitutionnel, qui opère une distinction entre mesure de sûreté et peine, distinction dont vous abusez aujourd’hui afin de priver de liberté des personnes en l’absence d’infraction, en raison de leur seul état !

Je suis convaincue qu’un jour viendra où la Cour européenne des droits de l’homme condamnera le système que vous avez créé et que ce texte prolonge. Ce jour-là, ce sera la victoire du droit contre la surenchère populiste et médiatique à laquelle vous vous livrez depuis plusieurs années.

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