Intervention de Charles Revet

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 29 novembre 2017 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - crédits « transports maritimes » - examen du rapport pour avis

Photo de Charles RevetCharles Revet, rapporteur pour avis :

Les crédits consacrés à la politique maritime française s'établissent dans le projet de loi de finances pour 2018 à 240 millions d'euros. Ce montant reste faible au regard des ambitions du comité interministériel de la mer de novembre 2016, qui a souhaité faire de l'économie maritime un pilier de la croissance économique de notre pays.

Ces crédits sont répartis en deux programmes : le programme 203 « infrastructures et services de transport », pour une petite partie, et le programme 205 « affaires maritimes ».

Seule une infime partie du programme 203 « infrastructures et services de transport » est consacrée au transport maritime : 77 millions d'euros, soit 2,2% des crédits de ce programme. Les montants consacrés au transport maritime y sont en augmentation de 19,75 millions d'euros. 2 lignes de crédits principales sont alimentées : la subvention aux grands ports et le transport combiné.

La subvention aux grands ports s'élève à 64,75 millions d'euros, en augmentation de 44% par rapport à 2017. Toutefois, plutôt qu'une subvention, il s'agit du remboursement par l'État des frais pour le dragage des ports et l'entretien de leurs accès. En effet, comme le précise le code des transports, cette charge incombe à l'État. L'augmentation de 20 millions d'euros par rapport au PLF 2017 est un des engagements de l'État pris lors du comité interministériel de la mer de novembre 2016. Toutefois, ce montant reste insuffisant pour couvrir l'intégralité des frais de dragage qui sont estimés à 96 millions d'euros. Le reste à charge pour les ports s'élève ainsi à 32 millions d'euros, soit un tiers du montant.

La deuxième ligne budgétaire concerne la partie maritime du transport combiné, pour un montant de 6,96 millions d'euros, identique à celui du projet de loi de finances pour 2017. Il s'agit de répondre à la volonté d'opérer un rééquilibrage intermodal, en favorisant le développement du cabotage maritime et des autoroutes de la mer. 2 fonctionnent désormais en France : la liaison Nantes-Gijón, et la liaison Nantes-Vigo. Mais, l'équilibre financier de ces autoroutes reste très fragile. En outre, le rééquilibrage souhaité ne se fera que si les acteurs concernés bénéficient d'une certaine visibilité économique. C'est notamment le cas de l'aide à la pince qui permet de réduire les coûts de manutention, reconduite, d'année en année, sans aucune visibilité sur le moyen terme. Lors des Assises de l'économie de la mer qui se sont tenues la semaine dernière, le Premier ministre a laissé entendre qu'elle serait maintenue de manière durable. Notre commission devra être vigilante sur ce point.

Enfin, et de manière annexe au programme 203, dans le cadre des contrats de projets État-Régions, l'AFITF prévoit de mobiliser 40 millions d'euros en faveur des ports maritimes, soit le même montant que l'année dernière.

Le programme 205 regroupe l'essentiel des crédits du transport maritime. D'un montant initial de 140 millions d'euros, soit une diminution de 17,8 millions d'euros par rapport au PLF 2017, il a bénéficié du vote d'un amendement gouvernemental de 17,8 millions d'euros - lors de son examen à l'Assemblée nationale. Quatre axes majeurs animent ce programme.

En premier lieu, il vise à assurer la sécurité maritime. Depuis 5 ans, le nombre d'opérations de sauvetage dépasse les 10 000. Dans ce cadre, une subvention de 4,2 millions d'euros, soit une augmentation de 0,5 million d'euros, a été accordée à la Société nationale de sauvetage en mer. Je souhaite saluer l'action au quotidien des 7 000 bénévoles qui ont participé en 2016, en coordination avec les CROSS, à plus de la moitié des sauvetages en mer. 98,5% des personnes impliquées dans un accident maritime ont été sauvées suite à une opération de sauvetage coordonnée par les CROSS.

Le deuxième axe de ce programme est la promotion d'une formation maritime de qualité. 28 millions d'euros, soit le même montant qu'en 2017 sont consacrés à cette action, ainsi qu'aux actions sociales et médicales. 18,5 millions d'euros sont prévus pour l'école nationale supérieure maritime. La qualité de la formation des marins français est internationalement reconnue et appréciée.

Le troisième axe vise à préserver l'environnement marin. Il s'agit à la fois du volet terre du plan POLMAR - contre la pollution maritime - pour lequel 1,7 million d'euros sont prévus, comme dans le PLF 2017, mais également des contrôles des navires effectués au titre de l'État du pavillon et de l'État du port. 1 300 contrôles de navires étrangers sont effectués tous les ans.

Je m'arrêterai plus longtemps sur le quatrième axe visant à soutenir économiquement la filière maritime, car c'est sur celui-ci que porte l'augmentation de 17,8 millions d'euros, votée à l'Assemblée nationale. Initialement, les crédits affectés à cet objectif étaient de 64,2 millions d'euros, en diminution de 23 % par rapport au PLF 2017.

Vous vous en souvenez, nous avons voté en juin 2016, dans la loi pour l'économie bleue, une exonération de la cotisation employeur d'allocation familiale et de l'allocation d'assurance contre le risque de privation d'emploi, pour un montant estimé à 18 millions d'euros. Il s'agissait de renforcer la compétitivité-coût de l'armement maritime français dans un secteur hyperconcurrentiel. En effet, les coûts étant les mêmes pour l'achat d'un bateau, le carburant, les péages, les dépenses de personnel sont la principale, si ce n'est la seule variable d'ajustement. D'ailleurs, plusieurs pays européens ont recours au netwage : le salaire net exonéré de toute cotisation. Grâce à cette exonération votée en 2016, le coût d'un marin français diminue de 17% - il reste toutefois supérieur au coût d'un marin danois ou anglais.

Or, l'article 53 de ce projet de loi de finances a prévu de revenir sur cette exonération. Interrogée par notre commission le 8 novembre dernier, la ministre Élisabeth Borne nous indiquait connaître le problème, mais ne pas pouvoir le prendre en charge, en raison de son budget très contraint. Toutefois, le lendemain, à la demande du Premier ministre, le gouvernement a déposé un amendement à l'Assemblée nationale de suppression de l'article 53, qui a été adopté. Ces exonérations sont ainsi conservées pour 2018, et le Premier ministre Édouard Philippe, lors des Assises de l'économie de la mer qui se sont tenues la semaine dernière, a indiqué vouloir les rendre pérennes. J'attire votre vigilance sur un point : aucune indication n'a été donnée quant à la manière dont cette mesure sera financée. Il a simplement été indiqué qu'elle le sera dans le périmètre du ministère de la Transition énergétique et solidaire.

La question des exonérations sociales et de leur stabilité me paraît d'autant plus importante aujourd'hui qu'avec le Brexit, certains armateurs britanniques pourraient décider de passer sous pavillon d'un autre État européen afin de pouvoir continuer à bénéficier de certains bénéfices fiscaux. Quelques-uns pourraient se tourner vers la France, à condition que le régime proposé soit favorable.

Permettez-moi de profiter de cet avis budgétaire pour faire le point sur la situation des ports français. Ces derniers sont aujourd'hui en perte de vitesse par rapport aux ports allemands, espagnols, néerlandais et portugais. Le 1er port français en volume, Marseille, n'est que le 6ème port européen. Le Havre est en 8ème position, et loin derrière les autres ports européens de la façade Manche/mer du Nord. L'ensemble des tonnages des grands ports maritimes français métropolitain, soit 256 millions de tonnes est inférieur au tonnage traité par le seul port de Rotterdam. En, outre, depuis 25 ans, plus aucun port français ne dessert la Suisse. Plus grave encore, la part de marché des ports français est sur une tendance baissière. Aujourd'hui, un conteneur sur deux à destination de la France ne passe pas par un de nos ports. Si le premier semestre 2017 s'annonce meilleur que le premier semestre 2016 marqué par des conflits sociaux et une récolte céréalière très mauvaise, la croissance du fret maritime français reste inférieure à celle constatée dans les autres ports européens.

Quelles en sont les raisons ? Le développement du trafic de marchandises dans les grands ports maritimes français subit l'absence de la mise en place d'une desserte fiable et efficace des ports et de leur hinterland. La route reste, en France, le moyen privilégié pour le post et préacheminement des marchandises à destination des ports, avec près de 85% des trafics. Or, le transport par route, outre la pollution, ne peut pas absorber une augmentation importante de trafic. Certains ports déjà, comme celui du Havre, peuvent connaître des problèmes de congestion. Or, la fiabilité de la desserte est un critère essentiel pour les transporteurs. Un chiffre, que m'a donné, lors de son audition, Jean-Michel Genestier, Directeur général adjoint de SCNF Logistics, est édifiant : sur un trajet de 1 000 km, 98,5% des camions arrivent à l'heure prévue, à un quart d'heure près. Pour le fret ferroviaire, 70% seulement des trains arrivent à l'heure prévue, à la demi-journée près. De même, lors de son audition, Voies navigables de France a indiqué que certains transporteurs hésitaient à recourir au report modal sur la Seine, en raison de la vétusté de l'écluse de Méricourt, menaçant de tomber en panne - et ainsi de bloquer le trafic.

Or, si le report modal du routier vers le fluvial ou le ferroviaire se fait difficilement, l'inverse est beaucoup plus facile. Toute interruption pendant quelques temps du trafic fret fluvial ou ferroviaire est susceptible d'entraîner un report définitif vers la route. A titre d'exemple, une partie de la desserte des marchandises du port de Fos est assurée par voie fluviale vers Lyon. Le port de Fos donne la priorité au déchargement et chargement des navires maritimes sur les navires fluviaux. Dès lors le chargement d'un navire fluvial peut être retardé, réduisant ainsi le nombre de rotations qu'il peut faire en une semaine. Cela à des conséquences importantes sur une filière à l'équilibre budgétaire fragile. D'ailleurs, un des opérateurs a décidé de supprimer un de ses bateaux, pour des raisons financières. En conséquence, certains jours, aucun bateau ne circule entre Fos et Lyon. Comme l'indique VNF, cela entraîne mécaniquement un abandon supplémentaire du recours au fluvial. En effet, pour un transporteur, rien n'est pire que de savoir son conteneur bloqué dans un port. Et, si le bateau maritime arrive avec retard et rate la correspondance avec le bateau fluvial, du fait de la fin d'une liaison quotidienne, le conteneur sera bloqué deux jours à quai. Cette contrainte ne se posera pas avec le camion.

L'augmentation de la desserte modale des ports nécessite des investissements dans les ports, tels que la modernisation des écluses et des terminaux, la construction de nouveaux terminaux dédiés aux bateaux fluviaux, la modernisation du réseau ferroviaire portuaire. Des contraintes réglementaires peuvent jouer : aujourd'hui, pour accéder au port du Havre, les barges fluviales doivent passer en zone maritime dans l'estuaire de la Seine, et ont besoin d'une dérogation. L'AFITF prévoit de modifier cette réglementation afin de permettre leur passage dans l'estuaire 99 % du temps. Toutefois, cette modification réglementaire ne peut être qu'une solution temporaire dans l'attente d'infrastructures permettant un accès fluvial direct et sécurisé. C'est ce qui serait possible au Havre si le port s'engageait sans attendre dans la réalisation d'une chatière souhaitée par tous les acteurs concernés, et ce qui permettrait un accès sécurisé du transport fluvial au port, dans de meilleures conditions, toute l'année, 24 heures sur 24. Le Président du Conseil régional s'était d'ailleurs engagé à participer à son financement.

Mais, d'importants investissements en dehors des ports sont également nécessaires. Comme le soulignait Élisabeth Borne, en France nous sommes incapables de tracer un sillon de fret traversant le pays. L'électrification de la ligne Serqueux-Gisors, prévue pour mi 2020 répond en partie à cette préoccupation : elle permettra aux conteneurs et marchandises en provenant du Havre d'éviter les noeuds ferroviaires de Rouen et de Mantes la Jolie.

Enfin, il faut donner aux ports les moyens d'agir. Cela passe tout d'abord par une amélioration de la gouvernance. La Cour des comptes dans son rapport annuel de 2017 s'est intéressée à la mise en oeuvre de la réforme portuaire de 2008. Elle juge inégal le bilan de cette réforme. Sur la gouvernance, la Cour des comptes a constaté que le comité d'audit qui doit permettre une expertise indépendante des questions financières est impliqué de manière variable : d'une implication forte à Rouen, Dunkerque et au Havre, il l'est beaucoup moins à Bordeaux.

En outre, des périodes de vacance parfois longues ont pu être constatées dans la composition des directoires : 4 mois de vacance à Rouen, et à Marseille le directoire n'avait pas encore été réinstallé début 2017. Or, du fait de la prépondérance de la voix du président du directoire - directement nommé par l'État-, la Cour des comptes souligne que cette vacance revient à un pilotage par le seul président du directoire, et non par une direction collégiale. De même, on constate un retard dans le renouvellement de certains conseils de développement, alors même qu'ils regroupent les acteurs locaux concernés et participent à la définition des projets stratégiques du port.

De manière générale, il semble important de renforcer l'implication des collectivités territoriales dans la gouvernance des ports, notamment des conseils régionaux. Comme le note la Cour des comptes, depuis la loi NOTRe, ces derniers exercent de nouvelles compétences en matière de développement économique. Le Premier ministre s'est toutefois exprimé contre une décentralisation de la gouvernance plus poussée pour les grands ports maritimes, à minima pour ceux de l'axe Seine et de Marseille, en raison de l'intérêt national stratégique qu'ils représentent.

Enfin, les ports doivent disposer des moyens de se développer, grâce à une visibilité et une stabilité économiques accrues. Il s'agit tout d'abord de créer une marque portuaire visible et reconnaissable depuis l'Orient et le Sud-est asiatique. Ainsi, les ports de Paris, Rouen et du Havre se sont réunis dans le groupement d'intérêt public HAROPA pour améliorer la coordination des investissements, des aménagements, et mettre en place un guichet unique portuaire. À l'international, les ports du Havre et de Rouen doivent ainsi devenir la desserte de Paris, et d'un bassin de 13 millions de personnes. Marseille, Lyon et les ports intérieurs de l'axe Rhône-Saône se sont engagés dans une démarche logistique coordonnée similaire, avec Medlinks. Bien évidemment, et cela rejoint ce qui a été dit précédemment : pour que cela fonctionne, il faut que la chaîne logistique de l'axe Seine et de l'axe Rhône-Saône ne connaisse aucune interruption.

Par ailleurs, pour pouvoir se projeter économiquement à l'international, les ports français doivent disposer d'une stabilité fiscale et financière pour penser les investissements de demain. Or, ils ont récemment connu deux avaries fiscales. Il s'agit tout d'abord de la fin, suite à un arrêt du Conseil d'Etat en 2014 de l'exonération de taxe foncière pour les grands ports maritimes. Par ailleurs, très récemment en juillet dernier, la Commission européenne a remis en cause, pour distorsion de concurrence, l'exonération d'impôt sur les sociétés dont ils bénéficiaient depuis 1942. Ainsi, au titre de l'impôt sur les sociétés, les ports devront maintenant s'acquitter d'un montant d'environ 30 millions d'euros par an. A ces charges s'ajoute le reste à charge pour un même montant des opérations de dragage, qui dans d'autres pays sont prises en charge intégralement par l'Etat. C'est autant d'argent qu'ils ne peuvent investir dans leur développement à l'international, dans la captation de nouveaux clients, ou l'amélioration de leurs infrastructures. D'ailleurs, le port du Havre et celui de Marseille sont dans une situation d'endettement particulièrement difficile. Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière, lors des Assises de l'économie de la mer, vouloir donner aux gestionnaires des ports « de la visibilité sur leurs charges, notamment fiscales ». Il s'agit d'un engagement que je salue, dont nous devrons nous assurer qu'il sera suivi.

En conclusion, nous sommes actuellement à un moment critique de la politique maritime de la France. Nos ports risquent un décrochage pérenne. L'ouverture du Canal Seine Nord peut certes constituer une opportunité pour le développement des ports français de la façade Manche et de la mer du Nord, mais, sans anticipation de la part des ports français et de l'Etat, cette ouverture risque de faciliter le transit des marchandises entre les ports allemands et néerlandais et le bassin parisien. Au final, comme l'a souligné le Premier ministre lors des Assises de l'économie de la mer la semaine dernière, il est nécessaire « d'améliorer la fluidité du passage portuaire. [...] Les ports ont besoin de la mer. Ils ont aussi besoin de la terre, plus précisément du rail et des fleuves. »

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