Intervention de Michel Forissier

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « travail et emploi » et compte d'affectation spéciale « financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage »- examen du rapport pour avis

Photo de Michel ForissierMichel Forissier :

rapporteur pour avis. - Nous examinons aujourd'hui le premier budget du quinquennat consacré à l'emploi, au travail et à l'apprentissage.

Au préalable, je voudrais comme les années précédentes souligner l'endettement préoccupant de l'Unédic, qui devrait atteindre 34 milliards d'euros en fin d'année et dépasser 37 milliards fin 2018 à réglementation inchangée, soit une année de ses recettes. Certes, la croissance économique devrait atteindre 1,7 % l'an prochain et le taux de chômage, au sens du Bureau international du travail, se maintenir à 9,5 %, mais ces prévisions relativement optimistes ne règleront aucunement la question de la dette de l'assurance chômage.

Pour commencer à se désendetter, il faudrait que celle-ci dégage un excédent structurel, alors qu'il n'est même pas certain qu'elle puisse résorber son déficit structurel dans les années à venir. Peut-on accepter que l'Unédic verse 405 millions d'euros en 2017 uniquement pour payer les intérêts de sa dette ? Si les taux d'intérêt remontent soudainement, les demandeurs d'emploi risquent d'être les premières victimes d'une baisse des prestations de l'Unédic et le fardeau de sa dette deviendra un épineux sujet politique : la question se posera alors de sa reprise partielle par l'État. Je souhaite donc que le Gouvernement et les partenaires sociaux intègrent véritablement les enjeux liés à la dette lors des négociations sur la prochaine réforme de l'assurance chômage, lancées pour mettre en oeuvre les engagements présidentiels.

Venons-en à la présentation de la mission « travail et emploi ». Elle bénéficiera l'an prochain de 15,3 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit un léger repli par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 (- 91 millions). En revanche, ses autorisations d'engagement (AE) subiront une chute majeure, en recul de 2,7 milliards, pour atteindre 13,7 milliards.

À périmètre constant, la diminution des crédits de la mission est sensible et s'élève à 1,5 milliard en CP, en raison de la compensation par crédits budgétaires de la suppression de la contribution exceptionnelle de solidarité (1,4 milliard), qui finançait notamment jusqu'à cette année l'allocation spécifique de solidarité (ASS).

Selon le projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022, la diminution des crédits de la mission devrait se poursuivre, avec un plafond de la mission fixé à 12,9 milliards en 2019 et 12,6 milliards en 2020.

Je centrerai mon analyse des programmes 102 et 103 de la mission sur cinq sujets principaux : le plan d'investissement dans les compétences (PIC), les opérateurs de la politique de l'emploi, les contrats aidés, les personnes éloignées de l'emploi et les aides à l'embauche.

En premier lieu, la mission se caractérise par une première traduction timide du plan d'investissement dans les compétences (PIC), qui constitue pourtant une priorité du programme d'investissement annoncé par le premier ministre le 25 septembre 2017.

Ce plan devrait bénéficier de 14,6 milliards pendant le quinquennat, mais les modalités de son financement n'ont pas été arrêtées. La mission n'y consacrera que 1,1 milliard en CP, à travers deux volets. D'une part, 467 millions seront dédiés à la garantie jeunes, en hausse de 47 millions, étant rappelé que ce dispositif, initié par le précédent gouvernement, a été généralisé sur le territoire depuis le 1er janvier 2017. D'autre part, 225 millions solderont les plans de formation exceptionnels des demandeurs d'emploi mis en oeuvre en 2016 et 2017. Autrement dit, l'effort net supplémentaire de l'État dans le cadre du PIC s'élèvera à 428 millions l'an prochain, afin de former des demandeurs d'emploi faiblement qualifiés et des jeunes décrocheurs. Le plan bénéficiera également de crédits non budgétaires d'origine européenne (36 millions), ainsi que de fonds de concours à hauteur de 250 millions, qui devraient être versés par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP).

En deuxième lieu, la majorité des opérateurs de la politique de l'emploi voient leurs crédits préservés.

La subvention de Pôle emploi connaîtra une légère baisse de 50 millions pour atteindre 1,45 milliard, mais son directeur général nous a indiqué qu'elle n'empêchera pas l'opérateur public de remplir ses missions. Les missions locales bénéficieront de 206 millions l'an prochain, en hausse d'un million, sans compter la dotation de 149 millions pour l'accompagnement des bénéficiaires de la garantie jeunes.

Le PLF pour 2018 prévoyait initialement une dotation de 10,5 millions aux maisons de l'emploi, soit la moitié de celle versée cette année. Le Gouvernement poursuit un désengagement de l'État initié en 2013 et qui vise à rationaliser le paysage des acteurs de la politique de l'emploi. L'Assemblée nationale a toutefois adopté un amendement des députés Modem majorant leurs crédits de 1,5 million.

Quant à l'Afpa, sa dotation est maintenue à 110 millions d'euros mais sa transformation en établissement public depuis le 1er janvier 2017 ne s'est toujours pas accompagnée d'un modèle de développement ambitieux et crédible, comme l'a souligné son ancien président pour justifier sa démission le 19 octobre dernier. La situation financière de la nouvelle agence demeure très préoccupante, tant au niveau de sa trésorerie, de ses dettes fiscales et sociales que de ses engagements passés contractés auprès de l'État. La directrice générale devrait annoncer prochainement, après une concertation approfondie avec les syndicats et des échanges continus avec ses autorités de tutelle, les grandes lignes du développement de l'agence et de ses deux filiales, qui pourront dès le 1er janvier prochain former des demandeurs d'emploi et des salariés.

En troisième lieu, la réforme des contrats aidés, même si elle trouve des justifications économiques solides, manque de pédagogie, d'accompagnement et de vision à long terme.

Vous le savez, le Gouvernement envisage de financer l'an prochain seulement 200 000 contrats aidés dans le secteur non marchand (CUI-CAE). Ils ne concerneront que les collectivités publiques et les associations, avec un taux de prise en charge par l'État plafonné à 50 %, contre 76 % cette année, soit un coût global de 765 millions en CP. S'y ajoute une enveloppe de 523 millions pour honorer les engagements portant sur les emplois d'avenir conclus avant 2017.

Le Gouvernement s'engage à ne signer aucun nouveau contrat aidé dans le secteur marchand (CUI-CIE) en 2018, ni aucun nouveau contrat en emploi d'avenir.

Pour mémoire, le PLF pour 2017 avait prévu de financer 280 000 contrats aidés (200 000 dans le secteur non-marchand, 45 000 dans le secteur marchand et 35 000 emplois d'avenir). Ces objectifs étaient eux-mêmes en net repli par rapport aux 459 000 contrats aidés conclus en 2016.

Compte tenu des enseignements tirés des études économiques, je partage l'ambition du Gouvernement de donner la priorité à la formation professionnelle plutôt qu'aux emplois aidés.

En revanche, la méthode suivie me paraît perfectible sur de nombreux points. Force est de constater qu'elle a parfois été jugée brutale et n'a pas toujours été bien comprise par nos concitoyens. A la décharge du Gouvernement actuel, il convient de rappeler que le précédent exécutif avait donné comme consigne aux préfets de consommer 80 % des crédits dès le premier semestre 2017. C'est pourquoi le Gouvernement a augmenté en urgence cet été de 30 000 à 40 000 le nombre de contrats par rapport à ce qu'avait prévu la LFI pour 2017. Finalement, le volume global de contrats aidés se situera entre 310 000 et 320 000 contrats cette année.

Mais il s'est refusé à fixer des perspectives pluriannuelles sur le volume des contrats aidés et le taux de prise en charge, contrairement aux attentes des anciens bénéficiaires et des structures concernées. En outre, un faible volant de contrats aidés dans le secteur marchand aurait pu être justifié l'an prochain, malgré les signes de reprise de la croissance économique. Enfin, le Gouvernement n'a pas tenté de mesurer les conséquences indirectes de cette réforme sur les autres dispositifs de la mission.

En quatrième lieu, les crédits destinés aux personnes éloignées de l'emploi sont en légère augmentation.

Les dépenses consacrées aux personnes handicapées atteindront 377 millions, en hausse de 4 millions, et financeront notamment 24 000 aides au poste, soit 1 000 supplémentaires. Face aux inquiétudes des responsables des entreprises adaptées, la ministre du travail a annoncé, le 8 novembre à l'Assemblée nationale, qu'elle les rencontrerait prochainement pour réfléchir aux moyens de pérenniser leur « modèle économique », et qu'elle pourrait, le cas échéant, déposer un amendement en ce sens lors de l'examen du budget au Sénat.

S'agissant du soutien au secteur de l'insertion par l'activité économique, il atteindra 840 millions, en hausse de 30 millions : 71 000 aides au poste seront financées, soit 5 000 de plus que cette année. Le Gouvernement attend beaucoup du rapport qui lui sera remis d'ici la fin d'année par Jean-Marc Borello sur la mobilisation des acteurs de l'insertion autour de solutions innovantes.

Enfin, concernant les jeunes en difficulté, les écoles de la deuxième chance disposeront l'an prochain de 24 millions, comme cette année, tandis que la dotation aux établissements pour l'insertion par l'emploi est maintenue à 55 millions.

En dernier lieu, la mission hérite de dispositifs d'aide à l'embauche coûteux, elle tire les conséquences de l'abrogation des contrats de génération, mais elle lance dans le même temps l'expérimentation des emplois francs.

De fait, la mission consacrera 1,1 milliard à l'aide à l'embauche dans les PME (contre 3,6 milliards en 2017). Elle consiste à verser 500 euros par trimestre pendant deux ans à toute PME qui a embauché entre le 18 janvier 2016 et le 1er juillet 2017 un salarié faiblement rémunéré. De même, une dotation de 10 millions est nécessaire pour l'aide à l'embauche d'un premier salarié dans les TPE. Même si le Gouvernement s'est refusé à prolonger ces dispositifs, il doit respecter les engagements pris par la précédente majorité. En outre, l'efficacité de ces dispositifs est douteuse compte tenu des effets d'aubaine et aucune évaluation indépendante n'a été prévue par la loi alors que les sommes en jeu sont très importantes.

Bien qu'abrogés par l'une des cinq ordonnances « travail » du 22 septembre 2017, les contrats de génération nécessiteront l'année prochaine une dotation de 68 millions pour payer les aides accordées aux entreprises depuis 2015. Je n'ai eu de cesse de dénoncer ces dernières années l'échec des contrats de génération, dont l'intention était louable mais qui ont été pénalisés par des contraintes juridiques trop nombreuses : je ne peux donc qu'approuver leur suppression.

Enfin, sous la pression d'une partie de la majorité présidentielle, le Gouvernement a fait adopter précipitamment à l'Assemblée nationale un amendement visant à expérimenter les emplois francs dès l'an prochain. Prévue entre le 1er avril 2018 et le 31 décembre 2019, cette expérimentation consistera à verser 5 000 euros par an pendant trois ans à tout employeur qui embauchera en CDI un demandeur d'emploi habitant un quartier prioritaire de la politique de la ville. La prime sera limitée à 2 500 euros par an pendant deux ans pour une embauche en CDD de plus de six mois. Aucune condition d'âge ou de diplôme ne sera exigée, de même qu'aucun secteur d'activité ne sera ciblé. Ce faisant, le Gouvernement entend tirer les enseignements de l'échec de la précédente expérimentation des emplois francs en 2013 et 2014. Je souhaite évidemment, comme chacun d'entre vous, que les pouvoirs publics se mobilisent pour aider les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Mais le coût de l'expérimentation m'apparaît exorbitant, alors même que son efficacité est douteuse en raison là aussi des effets d'aubaine qui ne manqueront pas d'apparaître. Selon le Gouvernement, ce coût pourrait atteindre 458 millions d'euros en AE et 307 millions en CP sur la période 2018 2022. C'est pourquoi je vous présenterai tout à l'heure un amendement pour diviser par deux ces crédits en 2018.

Je voudrais maintenant rapidement rappeler les trois points saillants des autres programmes de la mission.

Tout d'abord, le nombre d'emplois rémunérés par la mission atteindra 9 251 équivalent temps plein travaillé (ETPT) l'an prochain, soit une baisse de 272 ETPT. À périmètre constant, les effectifs poursuivront leur décrue dans les années à venir, pour atteindre 8 785 ETPT en 2020. Le plan de transformation des contrôleurs en inspecteurs du travail continue son déploiement, et il a permis d'augmenter le nombre d'agents chargés de contrôler les entreprises en unité de contrôle.

Ensuite, 7,8 millions d'euros seront consacrés à la formation et au maintien de salaire des défenseurs syndicaux lorsqu'ils exercent leurs fonctions. Instaurés par la loi « croissance et activité » du 6 août 2015, ils auront pour mission d'assister et de représenter les parties devant les conseils de prud'hommes.

Enfin, le Gouvernement prévoit une dotation de 13,7 millions, en hausse de 6 millions, pour assurer la formation des conseillers prud'hommes, compte tenu du renouvellement des 14 512 sièges prévu en décembre prochain.

Je souhaiterais avant de conclure évoquer l'apprentissage à travers le compte d'affectation spéciale (CAS) qui lui est consacré. Ses recettes atteindront 1,63 milliard l'an prochain, soit 59 millions de plus qu'en 2017. Le compte devrait être remanié l'an prochain dans le prolongement du prochain projet de loi réformant l'apprentissage.

Je voudrais à cette occasion faire trois remarques.

La première concerne l'article 19 du PLF et le plafonnement de certaines ressources des chambres consulaires. Même si cet article n'est pas rattaché à notre mission ni au CAS, le Gouvernement doit veiller à ce que la réduction de ces ressources ne porte pas atteinte au bon fonctionnement des centre de formations d'apprentis qui relèvent des chambres consulaires.

La deuxième remarque porte sur les aides aux apprentis. L'aide au recrutement d'un jeune apprenti dans les TPE est maintenue pour un coût de 195 millions, tandis que la prime spéciale de 335 euros versée aux apprentis en 2017 ne sera pas reconduite l'an prochain. Vous le savez, je suis très réservé sur l'utilité des aides financières pour développer l'apprentissage, mais il est clair que les employeurs et les apprentis ont besoin d'un cadre juridique stabilisé.

Ma dernière remarque concerne le rôle des régions dans la future réforme de l'apprentissage. Si je partage l'objectif du Gouvernement de donner plus de place aux branches professionnelles dans l'élaboration des référentiels de formation, il ne faudrait pas que les régions soient écartées du pilotage de l'apprentissage, alors qu'elles ont aujourd'hui un rôle de chef de file reconnu par la loi.

En définitive, compte tenu de mes observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « travail et emploi » sous réserve de l'adoption de mon amendement sur les emplois francs, et un avis favorable à l'adoption du compte d'affectation spéciale relatif à l'apprentissage.

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