Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « anciens combattants mémoire et liens avec la nation » - examen du rapport pour avis

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Je me substitue ce matin à Bruno Gilles, dont l'état de santé l'empêche d'être parmi nous, pour vous présenter son rapport. Les propos que je vais tenir sont donc les siens.

Le premier budget d'un nouveau gouvernement en dit long sur sa méthode de travail, ses ambitions et l'intérêt qu'il porte aux politiques publiques concernées. S'agissant de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », force est de constater un dialogue très ouvert avec le Parlement, mais peu de mesures concrètes et d'engagements pour satisfaire les revendications légitimes du monde combattant.

Les constats traditionnels sur ce budget restent d'actualité, quel que soit le parti au pouvoir : le recul démographique des anciens combattants, dont la majorité est issue de la guerre d'Algérie, entraîne de façon quasi mécanique une diminution des crédits alloués. Les effectifs de la nouvelle génération du feu, issue des opérations extérieures (Opex), sont bien inférieurs à ceux des précédentes, issues de la conscription. On s'interroge alors sur l'utilisation de cette économie automatique, trop souvent reversée au budget général.

Cette mission comporte quatre volets distincts : l'initiation de la jeunesse à l'esprit de défense, avec la journée défense et citoyenneté (JDC) ; l'entretien et la valorisation de la mémoire des conflits et des combattants du vingtième siècle et du patrimoine qu'ils nous ont légué ; la mise en oeuvre du droit à réparation reconnu aux anciens combattants en raison des services qu'ils ont rendu à la Nation ; l'indemnisation des victimes de la barbarie nazie.

En 2018, son budget s'établira à 2,46 milliards d'euros, en baisse de 3 % par rapport à 2017, alors qu'entre 2016 et 2017 il n'avait reculé que de 2,6 %. Cette diminution est supportée par le programme 169, qui finance les prestations en direction des anciens combattants : les droits acquis sont maintenus mais le nombre de leurs bénéficiaires décroît. En revanche, en raison du caractère commémoratif exceptionnel de l'année 2018, avec le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, les moyens de la politique de mémoire connaitront une hausse de près de 25 %.

L'approfondissement du lien entre la Nation et son armée est un enjeu essentiel, facteur de cohésion nationale à l'heure où nombreux sont ceux, chez les jeunes, qui remettent en cause les valeurs de la citoyenneté. C'est l'objet du programme 167. Depuis la suspension du service militaire obligatoire en 1997, la JDC constitue l'unique lien entre toute une classe d'âge et les armées. Tout Français doit l'effectuer, entre ses 16 et 25 ans, sous peine de ne pouvoir participer aux concours organisés par l'État ou passer son permis de conduire.

Recentrée sur les questions de défense en 2014, la JDC est utilisée pour sensibiliser les participants aux menaces qui pèsent sur la France et justifient son appareil de défense, mais également pour présenter les façons dont ils peuvent s'engager pour elle. Un test d'évaluation des acquis fondamentaux de la langue française est réalisé, dont le taux d'échec est d'environ 10 %. Enfin, diverses informations, encore trop nombreuses aux yeux de certains, sont fournies aux jeunes sur leurs droits en matière de formation, d'emploi, d'insertion ou encore sur les dons de sang, de moelle osseuse ou d'organes.

Alors qu'environ 800 000 personnes participent à la JDC chaque année, pour un coût de 14,6 millions d'euros, des réflexions ont été engagées pour l'étendre sur une deuxième journée, qui serait consacrée à la citoyenneté. Toutefois, elles sont pour l'instant suspendues en raison du lancement des travaux de préfiguration du service national universel promis par le Président de la République. Ses contours ne sont pas encore définis et de très nombreuses questions restent en suspens : une commission devrait être prochainement mise en place pour les examiner et formuler des recommandations au printemps. Une expérimentation pourrait avoir lieu dès 2019. Une chose est certaine : le ministère des armées ne pourra pas assurer seul son organisation et son financement, comme au temps du service militaire.

La politique de mémoire bénéficiera quant à elle de moyens fortement accrus en 2018, année marquant le terme du cycle du centenaire de la Première Guerre mondiale.

A cet effet, 8 millions d'euros seront versés à la Mission du centenaire, soit une augmentation de 5,3 millions par rapport à 2017. Cette année, trois principales commémorations ont été organisées : celles des batailles d'Arras et de Vimy, événement fondateur de l'identité canadienne, de l'offensive du Chemin des Dames et de l'entrée en guerre des États-Unis. Le Président de la République a récemment annoncé qu'en 2018 le rôle essentiel de notre éminent prédécesseur Georges Clemenceau serait honoré, qu'il se déplacerait sur les champs de bataille de 1918 et qu'à l'occasion du 11 novembre l'ensemble des chefs d'États et de gouvernements des pays belligérants seraient conviés à Paris. De plus, des cérémonies internationales avec nos alliés devraient être organisées. Il est essentiel qu'à cette occasion la dignité des lieux de mémoire soit respectée et que les leçons de la commémoration du centenaire de la bataille de Verdun, qui avait suscité de violentes polémiques, soient tirées.

Par ailleurs, plus de 10 millions d'euros seront consacrés à l'entretien et à la rénovation des sépultures de guerre et des hauts lieux de la mémoire nationale. L'accent est mis sur ceux concernés par le projet d'inscription au patrimoine mondial des sites funéraires et mémoriels de la Grande Guerre, sur lequel l'Unesco devrait se prononcer en juillet prochain.

J'en viens maintenant au programme 169, qui finance les prestations destinées aux anciens combattants et les opérateurs de la mission. Ses crédits s'élèveront en 2018 à 2,32 milliards d'euros, ce qui représente l'écrasante majorité du budget de la mission : 94,2 %. Néanmoins, par rapport à 2017, 80 millions d'euros sont économisés, soit une baisse de 3,3 %.

La population des bénéficiaires de ses principaux dispositifs connait un recul plus marqué. Ainsi, le nombre de titulaires d'une pension militaire d'invalidité (PMI) devrait reculer de 4,8 % et celui des bénéficiaires de la retraite du combattant, versée à partir de 65 ans aux titulaires de la carte du combattant, de 5,2 %. Ils sont encore près d'un million mais 97 % d'entre eux ont plus de 75 ans.

Il faut par ailleurs noter le maintien d'une dépense fiscale soutenue en faveur des anciens combattants, qui devrait représenter 759 millions d'euros en 2018. La principale est la demi-part dont bénéficient les titulaires de la carte du combattant à partir de 74 ans.

Ce projet de loi de finances pour 2018 préserve l'Onac et l'Institution nationale des Invalides (Ini). Contrairement au budget de la mission, leurs moyens ne diminuent pas.

Ainsi, l'Onac poursuit sa modernisation. Il s'est séparé de ses établissements médico-sociaux et se recentre sur son coeur de métier, l'accompagnement de ses ressortissants. Son maillage départemental, auquel chacun d'entre nous ici est très attaché, n'est pas remis en cause, comme l'a précisé la ministre lors de son audition.

Surtout, il a dû s'adapter à de nouveaux publics, en particulier les anciens des Opex. Il a développé ses aides à la réinsertion professionnelle et celles, plus spécifiques, en faveur des blessés en opération. L'Onac assure en effet leur suivi dans la durée, après qu'ils ont quitté l'institution militaire, en coopération avec les armées et le service de santé des armées. Ainsi, ses personnels ont été formés à la détection des syndromes de stress post-traumatique.

Quant à sa politique d'aide en faveur des ressortissants les plus démunis, son budget de 26,4 millions d'euros reste inchangé par rapport à 2017 et elle est désormais mieux acceptée au niveau local, après des difficultés d'adaptation à la réforme de 2015. Il conviendrait toutefois de bien harmoniser les pratiques entre les départements.

L'Ini sort d'une période d'incertitudes sur son avenir et a engagé sa transformation, ainsi que Bruno Gilles a pu le constater en se rendant sur place au début du mois. Un nouveau projet médical a été adopté, visant à en faire le pôle de référence dans la réhabilitation post-traumatique des blessés de guerre, aussi bien sur le plan physique, avec son centre de rééducation, que sur le plan psychique, avec une unité de traitement des syndromes de stress. Cette réforme s'accompagne d'une rénovation immobilière importante, dont le coût est estimé à 50 millions d'euros sur quatre ans. Le centre des pensionnaires, dont le plus âgé a 103 ans, ne sera pas affecté par ce projet.

Comme je le disais en préambule, si ce budget préserve les droits acquis, il ne corrige en aucun cas les insuffisances du droit à réparation et les inégalités que son application engendre. Il n'apporte pas de réponse à la situation précaire des conjoints survivants des grands invalides, qui ont souvent renoncé à toute activité professionnelle pour s'occuper d'un grand blessé et, au décès de celui-ci, ne bénéficient que d'une pension de réversion forfaitaire d'un faible montant.

Surtout, il ne remédie pas à deux injustices dans le traitement réservé à la troisième génération du feu que je trouve tout particulièrement révoltantes et auxquelles je souhaite qu'il soit mis un terme dans les plus brefs délais.

La première est l'attribution de la carte du combattant aux soldats qui ont séjourné en Algérie, en application des accords d'Evian, entre juillet 1962 et 1964. Elle leur est refusée, alors que 627 militaires ont été reconnus « morts pour la France » durant cette période. Il ne s'agit pas ici de réécrire l'histoire et de modifier les bornes temporelles sur la guerre d'Algérie. La solution serait plutôt de reconnaître à ce déploiement le caractère d'Opex, comme cela a été fait par arrêté pour de nombreux autres, plus anciens.

La ministre a annoncé qu'une évaluation du coût de cette mesure serait prochainement engagée : il est essentiel qu'elle aboutisse rapidement et permette de confronter les estimations du Gouvernement - plus de 100 millions d'euros - et celles du monde associatif - 15 millions d'euros. Le déclin démographique du monde combattant doit permettre de financer cette mesure en 2019.

Enfin, il est temps que les distinctions entre anciens supplétifs selon leur statut civil disparaissent. La très grande majorité des harkis relevaient du statut civil de droit local. Toutefois, des pieds noirs, de statut civil de droit commun, se sont engagés à leurs côtés dans les différentes formations supplétives. Le législateur leur a toutefois toujours refusé le bénéfice de l'allocation de reconnaissance.

Une décision du Conseil constitutionnel de 2011 leur a donné satisfaction mais l'administration n'a pas accédé à leurs demandes et une loi de 2013 les a à nouveau exclus du dispositif. Environ soixante-dix personnes seraient concernées, ce qui représente un coût, minime, de 260 000 euros par an. C'est une question de justice que de garantir l'égalité entre ces anciens compagnons d'armes : tel est l'objet d'un amendement que je vous présenterai.

Pour conclure, il faut préciser que deux articles du projet de loi de finances sont rattachés à cette mission : l'article 50, qui revalorise de 100 euros cette allocation de reconnaissance, et l'article 51, qui est une mesure d'équité permettant le calcul des pensions d'invalidité et des pensions de réversion antérieures à 1962 au taux du grade, et non plus au taux forfaitaire du soldat.

Sur ces considérations, je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et de ces deux articles qui y sont rattachés et à adopter l'amendement que je vais vous présenter.

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