Les crédits de paiement des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice » augmentent en moyenne de 5,4 %, tandis que leurs autorisations d'engagement progressent de 11,3 %. Les crédits de paiement alloués au seul programme « Justice judiciaire », c'est-à-dire principalement aux juridictions, augmentent de 4,1 %, soit près de 134,4 millions supplémentaires, pour un total de 3,446 milliards d'euros.
Je fais un aparté en vous indiquant d'emblée, mes chers collègues, que je ne vous présenterai pas en détail le programme sur le Conseil supérieur de la magistrature, qui ne pose pas de difficulté particulière. Je vous renvoie à mon rapport écrit sur ce sujet.
Malgré cette augmentation notable de moyens, ce budget présente de nombreuses lacunes. Tout d'abord, le schéma d'emplois prévu pour la justice judiciaire est en net recul : 148 créations nettes de postes seulement sont prévues en 2018, 100 de magistrats et 48 de juristes assistants, contre 600 en 2017. Aucune création nette de postes de greffiers : la création de 108 emplois de greffiers n'est permise que par la conversion d'emplois de catégorie C, par ailleurs non remplacés.
L'impact financier du schéma d'emplois n'est d'ailleurs que de 9 millions d'euros, quand celui du budget 2017 représentait près de 35,5 millions d'euros, reflétant la moindre ambition du Gouvernement en matière de création d'emplois.
De plus, ce schéma repose sur des économies d'emplois contestables, telle l'économie de 36 emplois grâce à la mise en place de l'amende forfaitaire délictuelle en matière de délits routiers, alors que son entrée en vigueur est suspendue en raison de l'incompatibilité des applicatifs actuels entre les ministères de la justice et de l'intérieur, ou l'économie de 55 emplois par l'extension de l'amende forfaitaire en matière d'usage de stupéfiants, alors que cette mesure nécessite une modification législative pour entrer en vigueur...
Le programme « Accès au droit et à la justice » voit sa dotation budgétaire progresser de 8,8 % en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. 90 % de cette hausse est affectée à l'aide juridictionnelle, dont les dépenses augmentent encore en 2018 pour atteindre 478,9 millions d'euros, compte tenu des mesures prises entre 2015 et 2017. Ces mesures ont notamment augmenté le nombre de personnes admissibles à l'aide juridictionnelle - qui s'approcherait en 2018 du million de personnes - et le montant de la rétribution des avocats, même si celle-ci demeure insuffisante, comme me l'ont rappelé les représentants de la profession que j'ai entendus.
Toutefois, aucune mesure structurelle n'est prévue pour réformer le financement de l'aide juridictionnelle, alors que son besoin de financement augmenterait encore d'au moins 7 % au total sur la période 2019-2020. La ministre a indiqué hier devant notre commission avoir confié une mission conjointe sur le sujet aux inspections générales des finances et de la justice. Nous serons donc contraints d'attendre ses conclusions, même si beaucoup de réflexions ont déjà été menées sur le sujet, à l'image des mesures ambitieuses de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice votées par le Sénat à l'initiative de notre président le 24 octobre dernier.
Le budget pour 2018 prévoit également l'augmentation des ressources allouées à la numérisation et à l'informatique, à hauteur de 30 millions d'euros supplémentaires. Un « programme de transformation numérique » est prévu sur cinq ans, assorti de 510,9 millions d'euros d'autorisations d'engagement, hors crédits de personnel, destinées à son financement sur le quinquennat.
Si je salue l'ambition nouvelle dans le pilotage et la programmation des projets informatiques et numériques, j'alerterai sur deux points. En premier lieu, la plateforme nationale des interceptions judiciaires constitue un poste budgétaire très important : 30,5 millions d'euros y seront consacrés en 2018, soit l'équivalent de l'augmentation budgétaire. Dans les prévisions indiquées pour l'année 2019 et les suivantes, son adaptation représente un besoin de financement de 211,8 millions d'euros. Les écarts entre les prévisions initiales et le coût final des projets sont une autre source d'inquiétude : trop de dérapages ont eu lieu ces dernières années ! Si des hausses de budget sont votées, il est indispensable que chaque euro dépensé le soit à bon escient.
Comme chaque année, j'ai souhaité dans cet avis porter une attention toute particulière à la situation des juridictions judiciaires, et je me suis d'ailleurs rendu dans les tribunaux de grande instance de Béthune et d'Évry. Comme cela a déjà été évoqué hier lors de l'audition de la ministre, les délais de jugement s'aggravent, tant en matière civile que pénale. Devant les conseils des prud'hommes, il faut 17 mois en moyenne pour voir son affaire jugée, et l'État est, pour cette raison, de plus en plus souvent condamné pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.
L'insuffisance des effectifs demeure une difficulté majeure pour les juridictions : c'est en général le premier sujet de préoccupation des personnels, alors que depuis plusieurs années, le nombre total d'emplois prévus au budget n'est pas consommé par le ministère. C'est encore le cas en 2016, malgré une légère amélioration. Quant à la situation chronique de sous-effectif liée aux vacances de postes, elle commence tout juste à s'améliorer pour les magistrats, mais se détériore pour les greffiers.
Comme l'année dernière, je constate également la sous-dotation des frais de justice : pour 2018, le Gouvernement prévoit une enveloppe de 478,48 millions d'euros, en augmentation de 3,88 millions par rapport à la dotation initiale de 2017, mais en recul de 72,02 millions par rapport à la consommation réelle de 2016. De plus, près de 122,65 millions d'euros de dettes et charges à payer ne sont pas budgétés.
Enfin, la progression de 7,6 % du budget de fonctionnement et d'investissement des juridictions est presque entièrement absorbée par l'ouverture du nouveau palais de justice de Paris, dont le coût total pour 2018 s'élèvera à 92,95 millions d'euros dont 73,1 millions pour la seule redevance au titre du contrat de partenariat public privé.
Mes chers collègues, je dénonce depuis de nombreuses années l'insuffisance des moyens de la justice, ainsi que ses dysfonctionnements en matière de gestion, préjudiciables tant aux personnels judiciaires qu'aux justiciables. Je constate, dans ce projet de loi de finances pour 2018, la persistance des mêmes difficultés, voire leur aggravation, à laquelle s'ajoute un net recul de l'ambition en termes de moyens, à court et moyen terme. Ce budget 2018 tel que nous le propose le Gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux.
De plus, plutôt que de s'appuyer sur les travaux récents du Sénat sur le redressement de la justice et ceux de ses prédécesseurs, notamment les groupes de travail et le débat national sur la justice du XXIe siècle, la garde des sceaux a préféré ouvrir de nouveaux chantiers de la justice au début du mois d'octobre dernier, qui devraient s'achever au début de l'année 2018, et déboucher sur des projets de loi au printemps, décalant la mise en oeuvre des réformes ambitieuses et urgentes dont la justice a besoin.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2018.