Nous examinons cet après-midi les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » qui retrace le financement des politiques publiques menées en matière d'environnement, de transition énergétique et de transports.
Ce projet de loi de finances pour 2018 constitue une traduction du « plan climat » même s'il manque, sur certains aspects, de cohérence, et paraît en deçà des très fortes ambitions politiques affichées par le Gouvernement.
S'agissant des moyens budgétaires, je relève de nombreux points de satisfaction : les crédits de la mission vont augmenter de 9,3 % en 2018 à périmètre courant, et de 14,4 % si l'on exclut de son périmètre les transports analysés par nos collègues Fabienne Keller et Vincent Capo-Canellas. À périmètre constant, le budget de la mission augmente de 6,6 % soit 497 millions. Le budget triennal s'inscrit dans une trajectoire de progression des crédits de la mission, ce dont je me réjouis.
La transition énergétique bénéficiera de crédits en forte hausse, mais d'autres politiques demeureront sous-financées, au risque d'apparaître comme des angles morts de l'action gouvernementale, en particulier la protection de la biodiversité, la lutte contre la pollution de l'air ou bien encore la politique de l'eau.
S'agissant de la fiscalité énergétique, je tiens à tirer la sonnette d'alarme : c'est un véritable coup de massue fiscal de 46 milliards qui attend les Français ces cinq prochaines années. L'accélération de la trajectoire carbone ou de la convergence par le haut des fiscalités de l'essence et du gazole traduisent une conception punitive et, je le crains, contreproductive de la fiscalité énergétique. Le chèque énergie et la prime à la conversion musclée cette année ne m'apparaissent pas comme des contreparties suffisantes et j'aurai l'occasion de déposer un amendement sur la trajectoire carbone.
Après ce constat d'ensemble, j'aimerais vous présenter deux réformes importantes du financement des opérateurs de la mission proposées cette année. Ces évolutions ont pour trait commun de constituer de vrais trompe-l'oeil, laissant croire à une augmentation des moyens des opérateurs, alors qu'il n'en est rien.
La première concerne le financement de l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Jusqu'à présent, les agences de l'eau lui versaient une contribution annuelle, d'environ 150 millions d'euros, en plus des subventions versées par l'État. À compter de 2018, le projet de loi de finances prévoit que les agences verseront entre 240 millions et 260 millions d'euros à l'agence française pour la biodiversité (AFB), et entre 30 millions et 37 millions d'euros à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Le montant de la contribution versée aux opérateurs s'élèverait donc dans une fourchette basse, à 270 millions d'euros et dans une fourchette haute, à 297 millions d'euros. Si l'on retient la fourchette haute, la mesure proposée reviendrait à doubler la contribution des agences de l'eau en 2018. C'est pourquoi je vous propose la suppression des articles 54 et 54 quater du projet de loi de finances. Je propose également la suppression de l'article 54 bis qui affecte 10 %, contre 5 % actuellement, des recettes de la taxe sur les éoliennes maritimes à l'agence française pour la biodiversité (AFB). L'affectation des recettes de cette taxe est modifiée chaque année par le Parlement alors qu'elle ne rapportera rien tant que des éoliennes en mer n'auront pas été mises en service, soit en 2021 au plus tôt. La frénésie législative dont fait l'objet cette taxe est inappropriée et je ne souhaite pas y participer.
L'État se désengage du financement de la biodiversité, puisque les subventions sont supprimées, et transfère de façon totalement injustifiée ce financement aux agences de l'eau. Il s'agit ni plus ni moins d'une rupture du principe de la redevance, selon lequel « l'eau paye l'eau ».
Alors qu'on pourrait croire que cette réforme renforce l'AFB, il n'en est rien : l'État est gagnant, mais l'AFB ne voit pas ses moyens renforcés puisqu'elle va devoir reverser une partie de la contribution versée par les agences de l'eau aux parcs nationaux.
Comme si cela n'était pas suffisant, le Gouvernement prévoyait initialement de diminuer le plafond des recettes affectées aux agences de l'eau. Finalement, l'Assemblée nationale a voté un amendement du Gouvernement reportant à 2019 la baisse du plafond, mais actant un nouveau prélèvement sur le fond de roulement des agences de 200 millions en 2018. Je rappelle que 175 millions ont été prélevés par an sur le fond de roulement des agences entre 2015 et 2017. L'objectif initial était d'inciter à la baisse des redevances. Une réflexion sur les redevances me paraît nécessaire, au regard de la déformation de la structure de celles-ci entre pollueur et payeur, mais elle ne justifie pas le détournement dès 2018 du quart du produit des redevances de la politique de l'eau ! Au total, la contraction des recettes des agences pourrait provoquer une augmentation du prix de l'eau, soit le contraire de l'objectif visé par le Gouvernement. D'où l'amendement que je présenterai en projet de loi de finances pour remédier à cette situation.
La deuxième réforme concerne le financement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Jusqu'à présent, son financement était principalement assuré par l'attribution d'un produit de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Sous l'effet du plafonnement des recettes et des prélèvements opérés successivement, son fonds de roulement devait être quasiment épuisé à la fin de l'année 2017.
Pour remédier à ces problèmes récurrents de trésorerie, le financement de l'ADEME est entièrement rebudgétisé, ce dont je me réjouis, car l'affectation de la TGAP n'apparaissait plus en adéquation avec les besoins de l'ADEME. Mais le Gouvernement affirme que l'ADEME voit ses moyens renforcés de 36 %, la subvention prévue pour 2018 s'élevant à 612 millions d'euros, alors que l'ADEME se voyait affecter 448 millions d'euros de TGAP. Or l'augmentation du budget de l'ADEME sera presque totalement absorbée par le règlement des reste-à-payer issus des engagements passés. L'agence est confrontée à une stagnation de ses moyens, ce qui est contradictoire avec la volonté d'accroître ses missions et les aides versées par l'agence dans le cadre du développement de la chaleur renouvelable et de la politique de prévention et de valorisation des déchets.
Alors que la loi de transition énergétique fixe comme un objectif un taux de 38 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale de chaleur d'ici 2030, le fonds chaleur est raboté de 10 % en 2018 : il est déjà sous-dimensionné pour répondre à cet objectif ! Après l'annonce du précédent Gouvernement d'un doublement du fonds « chaleur » restée lettre morte, je crains une nouvelle déception quant aux moyens alloués au fond.
J'aimerais maintenant revenir plus en détail sur certaines politiques financées par la mission « Écologie ».
La politique de lutte contre la pollution de l'air est dénuée d'ambition et de vision stratégique, alors même que des feuilles de route opérationnelles sont attendues de l'État d'ici mars, à la suite de la décision du Conseil d'État de juillet dernier. La fragilité de la situation financière des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) appellerait une consolidation de la participation financière de l'État : au contraire, le montant de la subvention baisse. Le ministre a en outre admis l'impasse de financement de près de 350 millions d'euros au titre de l'appel à projets « Territoire à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV), ôtant toute visibilité aux collectivités quant au financement de projets souvent engagés.
S'agissant de la politique de prévention des risques, quinze ans après la catastrophe de l'usine AZF, la quasi-totalité des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) a été adoptée. Les prochaines années seront dédiées à la mise en oeuvre opérationnelle de ces plans. Par ailleurs, le projet de loi de finances prévoit le plafonnement de la taxe affectée au fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), qui connaît un solde positif de plus de 200 millions d'euros en 2017.
Certains opérateurs de la mission pourraient être sous dimensionnés à terme pour faire face à l'accroissement de leurs missions. C'est le cas de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui bénéficie d'une augmentation de ses moyens humains, mais qui voit par ailleurs ses missions fortement augmenter en raison notamment du vieillissement des centrales nucléaires et de l'instruction des demandes de prolongation de leur fonctionnement.
J'en viens à présent aux charges de service public de l'énergie, qui étaient financées jusqu'en 2015 par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) en dehors de tout contrôle parlementaire et sont désormais retracées dans le budget de l'État par le programme 345 « Service public de l'énergie » et par le compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », qui est quasi-exclusivement financé par des recettes issues de la taxe intérieure sur les produits énergétiques (TICPE).
Ces charges, dont le montant est arrêté tous les ans par une délibération de la commission de régulation de l'énergie (CRE), représenteront 7,9 milliards en 2018, soit une hausse de 10 % par rapport à 2017, principalement due à l'augmentation du coût du soutien aux énergies renouvelables électriques qui atteindra 5,4 milliards en 2018, en hausse de 13 % par rapport à 2017 en raison du très fort dynamisme de la filière photovoltaïque.
Les projections réalisées par la CRE montrent que les charges du service public de l'énergie s'élèveront à 10,1 milliards en 2022, soit 2,2 milliards de plus qu'en 2018, et que leur total cumulé atteindra 44,9 milliards sur la période 2018-2022.
Il devient urgent que le Parlement joue un rôle beaucoup plus actif dans la détermination de ces charges, en votant une loi de programmation pluriannuelle de l'énergie qui fixerait notamment le plafond par filière des nouvelles capacités de production d'électricité issues de sources d'énergie renouvelable.
À noter que le programme 345 porte également la généralisation du chèque énergie au 1er janvier 2018 en remplacement des tarifs sociaux de l'électricité et du gaz. La loi relative à la transition énergétique prévoyait que le Parlement disposerait du rapport d'évaluation de l'expérimentation de ce nouveau dispositif de lutte contre la précarité énergétique qui a été testé pendant deux ans dans quatre départements avant sa généralisation. Il n'en a rien été, ce que je trouve profondément anormal. J'ai dû me contenter de quelques bribes d'information qui laissent à penser que ce dispositif, qui coûtera 581,1 millions d'euros en 2018, est relativement efficace, même s'il demeure perfectible. Il faudra que le Gouvernement nous en dise davantage et même tout, en séance, sur ce point.
En ce qui concerne le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (FACé) », cher à notre collègue Jacques Genest qui lui a consacré un rapport très complet en février 2017, le montant des aides versées par le FACé aux autorités organisatrices de la distribution d'électricité pour le financement des travaux d'électrification en zone rurale va diminuer de 4,5 % en 2018.
Tous les postes de dépenses du CAS seront touchés, le Gouvernement ayant décidé de lui faire subir un coup de rabot aveugle. Ce non-choix aura des conséquences pour les territoires ruraux, puisqu'ils seront moins en mesure d'accompagner leur développement démographique et économique en matière de réseaux électriques. Les crédits du programme 794 étant systématiquement sous-exécutés, je vous proposerai un amendement visant à les redéployer en faveur du programme 793 qui porte 98 % des crédits du CAS.
Dernier point, sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Aide à l'acquisition de véhicules propres », qui porte les crédits relatifs aux aides à l'achat ou à la location de véhicules neufs émettant peu de CO2 (bonus) ainsi qu'au retrait de véhicules qui émettent beaucoup de CO2 (prime à la conversion) et qui est financé par le malus automobile. Ce CAS va voir ses crédits augmenter de 11,8 % en 2018 pour atteindre 388 millions grâce à un nouveau durcissement du malus.
Les bonus automobiles vont être recentrés sur les véhicules électriques alors qu'ils pouvaient en 2017 être perçus pour l'achat d'un véhicule hybride rechargeable. Le Gouvernement voulait mettre fin à l'aide à l'achat d'un vélo à assistance électrique (VAE) qui devrait coûter 50 millions d'euros en 2017, mais il a cédé à sa majorité à l'Assemblée nationale en prolongeant ce dispositif au-delà du 1er janvier 2018 et en lui allouant 5 millions d'euros. Je vous présente un amendement qui supprime ces crédits en faveur d'un dispositif qui présente d'évidents effets d'aubaine.
Alors que seulement 21 000 primes à la conversion ont été versées depuis le 1er avril 2015, le Gouvernement se fixe l'objectif très ambitieux de 100 000 primes versées en 2018. Si les nouveaux critères d'attribution de cette prime paraissent plutôt pertinents, le Gouvernement devra veiller à leur cohérence avec le seuil d'application du malus et cesser de les modifier tous les ans, ce qui a pour effet de rendre ce mécanisme illisible.
Au total, le budget de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » apparaît très contrasté. Une hausse globale des crédits, notamment en faveur de la transition énergétique, mais de lourdes déceptions concernant la protection de la biodiversité, la lutte contre la pollution de l'air ou bien encore la politique de l'eau, auxquelles il faut ajouter le coup de massue fiscal de la hausse de la fiscalité énergétique.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, et parce que je ne veux pas me placer dans une attitude d'opposition systématique ni systémique au Gouvernement, je proposerai donc à notre commission des finances une position de sagesse sur le vote des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
Je vous propose en revanche d'adopter les crédits des comptes d'affectation spéciale « Aides à l'acquisition de véhicules propres », « Transition énergétique » et « FACé ». Concernant ce dernier CAS, je déplore clairement la baisse de 4,5 % de ses crédits mais vous propose son adoption afin de pouvoir grâce à mon amendement transférer des crédits du programme 794 au programme 793, ce qui constituera une bonne amélioration de l'utilisation de ces crédits.