Intervention de Bernard Cazeau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 octobre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Audition du général andré lanata chef d'état-major de l'armée de l'air

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau :

L'avion A400M coûte 136 millions d'euros. Or l'an dernier, il semble qu'un seul avion ait été en capacité de voler. Où en sommes-nous ?

Général André Lanata, Chef d'État-major de l'Armée de l'air. - En ce qui concerne l'annulation l'été dernier de 850 millions d'euros de crédits, je ne vais pas vous dire qu'il n'y a aucune conséquence. Je dis que les conséquences à court terme sont limitées, mais il faudra que la loi de programmation militaire se charge de lisser ces dernières à moyen terme. Deux types de dispositions ont été prises, l'une puisant dans les fonds de trésorerie. Ces derniers devront à un moment être reconstitués. L'autre touche le domaine capacitaire. Afin de faire face à cette annulation, nous avons agi sur certaines commandes qu'il restait à passer avant la fin de l'année. Il s'agit en particulier, pour l'armée de l'air, d'un décalage de la commande des kits de rénovation des Mirage 2000D. C'est également l'absence d'un capteur supplémentaire sur les avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), un report de la charge utile du renseignement d'origine électromagnétique sur Reaper, et un report de la commande d'un hélicoptère CARACAL. Toutefois, les conséquences sont limitées dans l'immédiat : en ce qui concerne l'aéromobilité et les Mirage 2000D, nous avons conduit des négociations avec la société Dassault. La livraison des premiers avions modifiés est légèrement repoussée, sans toutefois décaler l'échéancier global de livraison. Le plan de livraison, dans son ensemble, devrait être maintenu. Il en est de même pour le Rafale F4 : une nouvelle négociation avec l'industriel a conduit à décaler légèrement les études, sans toutefois avoir d'impact sur le déroulement de l'opération dans sa totalité. De même, les ALSR seront moins performants sans leur capteur supplémentaire, mais cela n'empêchera pas de commencer à exploiter ces appareils en utilisant leurs capteurs optroniques et c'est là l'essentiel pour nos opérations. Le retard pris concernant la charge utile de renseignement électromagnétique sur Reaper ne me préoccupe pas particulièrement, car ce déploiement aurait dû être mécaniquement décalé en raison des retards concédés dans les échanges avec l'administration américaine. Nous ne faisons ainsi qu'enregistrer un retard que nous aurions subi en toutes hypothèses. Le CARACAL concerne les forces spéciales de deux armées : l'armée de terre et l'armée de l'air. Nous en avons acquis 18, commandés en deux fois : tout d'abord en 1999, puis quelque uns ont été achetés dans le cadre des mesures prises après les attentats du 11 septembre 2001. Sur ces 18 appareils, deux ont été détruits en opération, les seize autres se répartissent entre nos deux armées. Il s'agit par ailleurs d'une flotte vieillissante : un certain nombre d'appareils sont en retrofit, ce qui induit un certain niveau d'immobilisation. Dès lors, afin de préserver la mobilité de nos forces spéciales en opération, il faut limiter le retard dans la livraison de l'appareil remplaçant une des machines détruites en opération. C'est la raison pour laquelle la commande doit être passée en début d'année 2018.

Je perçois vos interrogations à la suite de mon intervention relative à la situation des ressources humaines de l'armée de l'air et elle rejoint votre question concernant de potentielles restructurations. Je répondrai ainsi par la même occasion à la question de M. Roger. J'estime que l'armée de l'air manque d'effectifs, compte tenu des déflations excessives que nous avons subies. Des travaux sont en cours pour y palier. Ainsi, dans le cadre de la loi de programmation militaire, une augmentation des effectifs a été accordée au ministère des Armées. Les arbitrages n'ont pas été rendus au sein du ministère et je ne suis par conséquent pas en mesure de juger des besoins restants à couvrir afin de rétablir la cohérence interne à l'armée de l'air. J'observe toutefois une certaine dureté de la situation. J'étudie par ailleurs de nombreuses voies pour soulager la tension pesant sur les effectifs, comme le recours à la sous-traitance, ou l'allégement d'un certain nombre de charges. Je pense par exemple au processus de navigabilité qui pèse beaucoup sur nos mécaniciens et sur lequel nous avons peut-être été trop exigeants, ce qui conduit à une mobilisation de nombreuses ressources humaines. Enfin, en dernier recours, il y a l'hypothèse des restructurations. Toutefois, tant qu'il n'y a pas davantage de visibilité sur ces différents chantiers, je ne peux pas en parler davantage. Il ne faut pas l'exclure par principe, mais il est trop tôt pour évoquer ce sujet. Dans tous les cas, si nous devions arriver à cette solution, ce serait en ultime recours. Car après avoir fermé 17 bases aériennes au cours de ces 10 dernières années, d'une part, je connais le prix humain de telles décisions. D'autre part, nous ne disposons plus en métropole que de 15 plateformes aéronautiques majeures. J'estime donc qu'il faut maintenant être prudent dans de nouvelles réductions, l'enjeu consistant à pouvoir faire face à tous les scénarios de crise. Une base aérienne que l'on ferme ne se rouvre plus. Or les bases aériennes constituent des outils de gestion de crise remarquables : disposant de moyens de protection dédiés, de systèmes d'information puissants, de soutiens adaptés, une plateforme aéronautique est en mesure de répondre à de très nombreux scénarios de crise.

Je vais essayer de regrouper les questions concernant l'A400M. Les difficultés rencontrées par nos capacités de transport sont liées au renouvellement de nos flottes et sont donc la conséquence directe des choix faits dans les programmations militaires précédentes. Le renouvellement tardif de la flotte n'a pas offert un tuilage suffisant qui aurait permis de se mettre à l'abri de défauts de jeunesse des nouveaux appareils. Cela ne veut pas dire que ces derniers sont acceptables, mais nous payons aujourd'hui les risques pris en programmation. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle aujourd'hui nous avons besoin de recourir à de nombreux affrètements pour satisfaire nos besoins opérationnels, qui sont eux-mêmes sources de nouveaux risques. Nous savons d'où nous venons : les Transall ont plus de 40 ans, les C130 plus de 30 ans. L'A400M est censé venir palier la situation de ces flottes vieillissantes. Cet avion n'est pas complétement au rendez-vous, pour deux raisons. Tout d'abord, les standards tactiques, c'est-à-dire les capacités opérationnelles de l'A400M sont en retard. Ici, c'est l'industriel qui est en défaut. Aussi, le précédent Ministre avait lancé le plan Hexagone, afin que soient livrés six avions répondant à un premier standard tactique pour fin 2016. Cet objectif a été atteint, et permet d'effectuer des premières missions tactiques prioritaires comme des posés sur terrains sommaires ou encore des largages de charges. Le travail doit se poursuivre avec l'industriel afin d'améliorer ces premiers standards techniques. Je préconise ainsi un nouveau jalon au plan Hexagone, visant non pas à définir un nouveau standard, mais s'articulant autour d'une capacité, c'est-à-dire un nombre d'avions, un jalon calendaire et un nouveau « paquet » de fonctionnalités opérationnelles. En effet, l'A400M ne peut se limiter au seul transport logistique. Certes, c'est intéressant, mais le coeur de métier du transport aérien militaire, ce sont les missions tactiques et de combat que nous conduisons sur nos terrains d'opération : posés de nuit sur des terrains sommaires, transport de forces spéciales, opération aéroportée, à l'image de ce que nous faisons au Sahel actuellement.

La deuxième difficulté résulte d'un problème de fiabilité des avions, ce qui a conduit l'an dernier à une disponibilité catastrophique en raison des moteurs notamment. Là aussi, nous avons eu un échange franc avec l'industriel. La disponibilité est remontée : d'un appareil disponible en moyenne en 2016, nous sommes passés, début 2017, à cinq avions. Ce nombre est assez remarquable, car une partie de la flotte était immobilisée en retrofit chez l'industriel, en raison du rattrapage des standards tactiques. En effet, la flotte existante doit être modifiée par l'industriel pour être mise à niveau afin de disposer d'une flotte homogène. Je n'accepte pas d'avoir des A400M différents : ils doivent tous avoir la même capacité et les mêmes fonctionnalités, pour nos équipages. L'A400M a connu une nouvelle crise au début de l'été en raison d'un nouveau fait technique. La disponibilité est en train de remonter : elle est de trois à quatre appareils aujourd'hui et nous espérons atteindre six appareils sur les onze composant la flotte. Le travail se poursuit. Je dois aussi vous dire, pour être complet, que je crois en cet appareil ; et mes équipages aussi. Mais il faut que chacun se mette au travail et aide l'armée de l'air à satisfaire ses besoins opérationnels. Lors de la crise consécutive au passage de l'ouragan IRMA, grâce à l'A400M, nous avons pu nous rendre sans escale en 10 heures dans les Antilles pour y déposer des charges significatives. Cela change la donne, nos capacités et la façon de concevoir nos opérations. Un même avion peut partir le lundi pour les Antilles, revenir pour partir le mercredi au Sahel et finir le vendredi en Jordanie. Un Transall a besoin de quatre jours pour se rendre aux Antilles, et autant de temps pour en revenir. En outre, il ne peut pas transporter la même charge.

Je souligne que la question du transport aérien ne se limite pas à celle de l'A400M. Vous savez en effet que les MRTT, avions multi-rôle, ont vocation à satisfaire aussi bien nos besoins cruciaux de ravitaillement en vol que ceux du transport aérien stratégique. Notre parc d'avions C135 est vieillissant, atteignant dans ce domaine les limites du supportable. Ici également la situation dans laquelle nous nous trouvons est la conséquence des choix faits lors des lois de programmation militaires précédentes. Des charges de maintenance supplémentaires en résultent. Ainsi pour les C135, cette charge a doublé en 10 ans, passant de 20 heures à 40 heures de maintenance par heure de vol. Ces avions ont en effet plus de 50 ans et font face à des faits techniques impromptus et imparables que nous ne sommes pas en mesure d'anticiper et de gérer. L'industrie rencontre en effet des difficultés à soutenir ces appareils, tout simplement parce qu'elle est « passée à autre chose ». Nous sommes ainsi contraints d'inventer, avec de nouveaux acteurs industriels, des solutions de réparation, ce qui évidemment prend davantage de temps et génère des indisponibilités rédhibitoires.

J'en viens aux perspectives du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. Tout d'abord, je fais deux constats : la situation de certaines flottes est objectivement mauvaise ; ce n'est toutefois pas le cas de toutes les flottes comme par exemple celui de l'aviation de chasse. Je constate également qu'à un niveau macroscopique, le MCO aéronautique réalise une performance supérieure à celle prévue par la LPM, malgré la pression opérationnelle et en dépit de la charge de soutien à l'export que les choix de programmation n'avaient pas anticipé. Je viens de vous en fournir plusieurs illustrations.

Compte tenu des enjeux considérables, budgétaires et opérationnels, portés par le maintien en condition opérationnelle des équipements aéronautiques, je voudrais vous faire part de quelques convictions. Première conviction, le pilotage du MCO par le facteur opérationnel est celui qui a permis la remontée d'activité. C'est pourquoi je pense nécessaire d'être prudent concernant toute approche fonctionnelle qui éloignerait la finalité opérationnelle du pilotage du MCO.

Deuxième conviction, la performance du MCO dépend aussi - et peut-être surtout - des choix de programmation : l'âge des parcs, le manque de pièces de rechange, l'absence d'appareils en volant de gestion, l'insuffisance des ressources humaines et des crédits d'entretien programmés, les immobilisations pour chantier de retrofit pèsent sur la disponibilité des flottes.

Troisième conviction, les équipements récents ont un coût de soutien plus élevé, en partie parce que leurs performances sont supérieures. Il ne faut pas aujourd'hui regretter la conséquence de nos choix. Par ailleurs, nous n'avons probablement pas suffisamment accordé d'attention à ce facteur dans la conception de nos programmes d'armement. Il s'agit là d'un axe de progrès mais dont les effets ne se feront sentir qu'à long terme.

Quatrième conviction, les opérations pèsent sur la performance du MCO : usure accélérée compte tenu de la sévérité des conditions d'emploi (C-130, hélicoptères, CASA), consommation de potentiel accélérée, attrition au combat (CARACAL), dispersion des ressources logistiques et de maintenance (quatre bases aériennes projetées au lieu d'une prévue).

Cinquième conviction, si nous avons certainement des progrès à faire en interne du ministère, certains industriels sont défaillants dans leur performance.

Sixième conviction, il n'y a pas un sujet MCO aéronautique, il y a autant de sujets qu'il y a de flottes. La situation de la flotte A400M n'a rien de comparable à celle du Tigre ou de l'ATL2.

Septième conviction, les temps du MCO sont longs : les effets de l'effort sur l'EPM dans l'actualisation de la LPM en 2015 ne se feront sentir qu'à partir de 2018 (cinq ans pour engranger les effets de la modification du plan de maintenance du Tigre, deux ans entre la commande et la livraison d'un réacteur ou d'un radar de Rafale). Ainsi il faut donner de la sérénité à ce système et se mettre en situation de mesurer les effets des réformes entreprises depuis plusieurs mois.

Je peux vous garantir que tous les acteurs sont mobilisés pour améliorer la performance globale du MCO aéronautique, et en particulier la disponibilité des flottes en situation critique.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, plusieurs axes d'amélioration sont d'ores et déjà identifiés : amélioration de la gouvernance haute consistant à renforcer le rôle de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère la Défense (SIMMAD), meilleure approche du soutien d'une flotte sur la totalité de son cycle de vie et la globalité des activités de maintenance, effort de simplification en matière de navigabilité, développement de systèmes d'information performants et surtout commun à tous les acteurs - ce n'est pas le cas aujourd'hui -, politique contractuelle visant à réduire le nombre de contrats et inciter à une meilleure performance industrielle, élaboration de plans spécifiques pour les flottes critiques, etc.

Mais au-delà de tous ces axes, je reste convaincu que les choix de la LPM seront primordiaux pour définir le niveau d'EPM et les ressources humaines garantissant les équilibres. Les conclusions du rapport d'audit demandé par la Ministre contribueront enfin à nous aider à renforcer et à accélérer ce processus d'amélioration.

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