Comme vous le savez, les armées font face depuis deux ans à un engagement opérationnel d'une intensité bien supérieure à la norme prévue par le Livre blanc de 2013, à savoir, pour la Marine, deux missions permanentes :
- la dissuasion nucléaire avec au moins un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) en patrouille depuis 1972 et la participation des Rafale Marine et du porte-avions à la composante aéroportée ;
- la défense maritime du territoire qui mobilise environ 3 000 marins dans la protection de nos approches, de nos ports et, depuis l'été dernier, de nos navires à passagers.
En outre, cinq autres opérations sont devenues permanentes depuis octobre 2015 - alors que le Livre blanc n'en prévoyait que deux:
- dans le Nord de l'océan Indien et dans le golfe Arabo-Persique, la Marine exerce une présence le long d'une artère maritime vitale et lutte avec nos alliés contre l'important trafic de drogue qui contribue au financement des réseaux terroristes ;
- en Méditerranée orientale, face à la Syrie, un bâtiment nous renseigne sur la situation de ce théâtre afin d'entretenir l'autonomie d'appréciation de notre pays ;
- en Méditerranée centrale, la Marine est présente dans le cadre de l'opération européenne Sophia de lutte contre les réseaux de trafic de migrants qui l'amène aussi à intervenir pour éviter les pertes de vies humaines en mer ;
- dans le golfe de Guinée, la Marine mène une mission de prévention et de transfert de savoir-faire en matière de sécurité maritime ; 100 000 de nos concitoyens vivent dans cette zone d'où proviennent 22 % de nos importations pétrolières, dans laquelle opèrent une centaine de grandes entreprises françaises (Total, Bourbon, etc.), et par laquelle transitent les deux tiers de la logistique de la force Barkhane ;
- et enfin, dans l'Atlantique Nord, la Marine fait face depuis quelques années à une pression sous-marine très forte.
Je souhaiterais, à ce titre, souligner la qualité exceptionnelle des équipages des unités françaises. Vous rappeliez, monsieur le président, l'implication de la Marine après le passage de l'ouragan Irma : vingt-quatre heures après cette catastrophe, deux frégates, deux avions et deux hélicoptères étaient présents à Saint-Martin et Saint-Barthélemy pour mettre en place les premiers secours. Une fois les besoins recensés, le Tonnerre se préparait à Toulon avec à son bord mille tonnes de fret, plus de cent véhicules (bulldozers, tractopelles) et des centaines de militaires des trois armées, qui ont été débarqués dix jours plus tard sur les lieux de la catastrophe, par moyens amphibies, au plus près du besoin.
Je prendrai un deuxième exemple qui témoigne de la disponibilité et de l'efficacité de nos marins : dans le golfe Arabo-Persique, le Jean Bart, frégate antiaérienne, a connu un incendie dans sa salle des machines ; l'équipage est parvenu à éteindre cet incendie puis à réparer les dommages causés quelques jours plus tard. Cette frégate est déployée aujourd'hui dans le golfe Arabo-Persique où elle participe notamment à l'escorte du porte-avions américain Nimitz. S'agissant de nos moyens de lutte sous la mer, nos frégates multi-missions et les équipages qui les arment ont un niveau sans égal dans le monde, grâce à leur degré de maîtrise tactique et à la technicité des sonars et de ces bâtiments de conception française.
La compétence exceptionnelle de nos marins, qui assurent la réussite de nos missions, ainsi que leur engagement et leur professionnalisme ont toutefois un coût. Vous avez pris connaissance de la Revue stratégique, qu'Arnaud Danjean a présentée devant votre commission, et du tableau qu'elle dresse : le terrorisme militarisé, le retour des Etats-puissances... Ces menaces ne devraient pas diminuer à court terme. La lutte contre le terrorisme est l'affaire d'une génération, et une génération c'est un marathon ! Nous venons en quelque sorte d'en courir le premier kilomètre sur le rythme d'un 400 mètres ; le projet de loi de finances pour 2018 est donc indispensable pour accompagner le surcroît d'efforts et soutenir le rythme.
Je constate que dans ce projet de loi de finances un effort significatif est réalisé pour l'entretien programmé du matériel, qui augmente de 13 % et qui suit l'augmentation de l'activité. Un jour de mer ou une heure de vol en plus représentent en effet des besoins d'entretien supplémentaires.
S'agissant du renouvellement de nos unités, des livraisons sont attendues, en particulier celle d'une cinquième FREMM et la sortie d'arrêt technique du Charles de Gaulle. À plus long terme, des commandes devraient être passées, comme celle d'un cinquième sous-marin d'attaque Barracuda - qui devrait être livré vers 2028 - et d'un patrouilleur pour les Antilles, du même type que les deux patrouilleurs livrés en Guyane, lequel viendra combler une rupture capacitaire qui existe depuis 2010.
Enfin, cette loi de finances permettra la poursuite et la mise en oeuvre, en année pleine, d'une revalorisation significative des compensations liées aux absences opérationnelles et à l'embarquement, ainsi que l'entrée en vigueur des premières mesures du « Plan famille » annoncé par la ministre des Armées.
À plus long terme, la Marine doit gagner en robustesse. Ce travail devra être mené dès l'an prochain dans le cadre de la loi de programmation militaire. J'identifie pour la Marine quatre enjeux principaux :
- d'abord retrouver une flotte cohérente, c'est-à-dire sans impasse capacitaire. Depuis 2010, il n'y a plus de patrouilleur de la Marine aux Antilles ; nos Alouette III volent pour certaines depuis 50 ans et nos pétroliers sont à simple coque ; s'ils étaient civils, ils seraient interdits depuis 2015 ! Le renouvellement des patrouilleurs, des hélicoptères et des pétroliers a trop attendu. Je veux accélérer leur remplacement en proposant des solutions innovantes ;
- puis augmenter notre format. Nous avons le même nombre de frégates qu'il y a vingt ans, alors que le nombre de théâtres d'opérations a quasiment doublé. Le Livre blanc de 2013 prévoyait de baisser encore ce format, ce qui ne me paraît pas raisonnable. A terme, le format à atteindre est, a minima, celui de 2008 avec dix-huit frégates, dix-huit avions de patrouille maritime et dix-huit patrouilleurs ;
- lancer rapidement les études préliminaires à la construction d'un nouveau porte-avions, a minima pour remplacer le Charles-de-Gaulle Je pense que l'ambition de retrouver la permanence d'un groupe aéronaval à partir de 2030 est raisonnable et à la portée de notre pays ;
- enfin, il est essentiel de consolider notre modèle de ressources humaines. Être marin militaire, c'est un métier à part, vous le constaterez en embarquant à bord de nos unités. On choisit un mode de vie difficile avec un rythme de travail élevé, et pour affronter cela il faut être jeune. La moyenne d'âge des marins embarqués est de 30 ans, celle des militaires de 35 ans et celle de la population active de 40 ans. Conserver cette moyenne d'âge à 30 ans est pour moi un impératif qui nécessite des efforts particuliers. Ce n'est sans doute pas un hasard si le premier régime social au monde est celui fondé par Colbert en 1673 pour les marins. Par ailleurs, puisque vous évoquiez tout à l'heure la question de la fidélisation, sachez que nos métiers sont attractifs pour le monde extérieur, à tel point que nos atomiciens, électroniciens, informaticiens sont très sollicités. Or, sur une FREMM dont l'équipage compte une centaine de marins, un seul être vous manque et tout est dépeuplé ! Il nous faut donc nous battre pour fidéliser nos marins. Je vois en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, des bâtiments de combat modernes rester à quai faute d'équipage ou faute d'avoir le spécialiste requis pour permettre au bâtiment d'appareiller.
Voilà mes « amers », à la fois pour le budget 2018 et la loi de programmation militaire. Les ressources humaines en constituent le point essentiel car pour moi, chaque marin compte.