Mon Général, c'est la seconde fois depuis votre désignation comme Directeur général de la gendarmerie nationale, le 1er septembre 2016, que nous avons le plaisir de vous recevoir.
Avant de commencer, je voulais vous faire part de notre sympathie dans la regrettable polémique qui vient d'éclater au sujet d'une enquête en cours. Nous voulons nous redire notre confiance et notre amitié.
Vous savez à quel point notre commission reste attachée à la Gendarmerie nationale, même depuis qu'elle relève pour son emploi du ministère de l'intérieur et non plus de celui chargé de la défense. En effet, ses personnels restent en majorité des militaires et c'est ce qui constitue, malgré des velléités de rapprochement qui tendent parfois à omettre cette spécificité indispensable, sa principale différence avec l'autre force de sécurité intérieure, la police nationale. En outre, la Gendarmerie remplit également des missions militaires, il est vrai minoritaires dans son activité globale, mais qui nous intéressent tout particulièrement.
Cette audition nous permettra de faire le point sur la menace terroriste et sur le rôle joué par la gendarmerie nationale dans l'analyse de cette menace présente sur la plus grande partie du territoire national. La gendarmerie a perfectionné au cours des dernières années l'organisation de sa fonction « renseignement » pour mieux capter les « signaux faibles » de la radicalisation. Outre le rôle de renseignement assumé par toutes les unités, il existe désormais 73 « antennes du renseignement territorial » (ART) qui regroupent 150 gendarmes. Cette organisation a-t-elle permis de mieux déceler les phénomènes de radicalisation ? Existe-t-il un véritable continuum entre gendarmerie et police, entre le renseignement capté sur le terrain et le travail des services spécialisés, permettant de faire circuler l'information de manière fluide jusqu'au service le mieux à même d'y donner les suites les plus adaptées ? Nous savons que cela n'a pas toujours été le cas par le passé.
En ce qui concerne l'activité de la gendarmerie, nous sommes naturellement préoccupés par l'application de la directive européenne « Temps de travail ». Pourriez-vous faire le point sur les quelque 6 000 ETP qu'a déjà couté cette mise en oeuvre, et sur la suite ?
La gendarmerie travaille également sur une modernisation permanente de la gendarmerie et de ses outils informatiques. Celle-ci permet d'abord d'accroître la productivité des personnels, mais aussi de les décharger en partie des taches les plus répétitives au profit de celles qui ont du sens. Quelles sont les principales évolutions en cours dans ce domaine ? Les crédits prévus au programme gendarmerie nationale pour 2018 permettront-ils de poursuivre cet effort ?
Enfin, nous avions été très attentifs l'année dernière à l'annonce de l'expérimentation des Brigades territoriales de contact (BTC) qui doivent permettre de revitaliser le lien entre les gendarmes et les citoyens et à associer davantage les élus à l'action de la gendarmerie dans les territoires. Où en est cette expérimentation et se poursuivra-t-elle en 2018 ?
Je vous laisse à présent la parole pour nous présenter les principaux axes du budget de la gendarmerie pour 2018, avant de la passer à nos rapporteurs, Philippe Paul et Yannick Vaugrenard, puis à l'ensemble des membres de la commission.
Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'inviter à échanger avec vous sur le budget de la gendarmerie nationale, ainsi que sur les priorités qui sont les siennes. Je souhaitais également vous remercier pour le soutien de l'ensemble de la commission à l'égard des enquêteurs mis en cause dans une affaire récente. Dans cette dernière, je pense d'abord à l'enfant : nous travaillons et nous nous mobilisons pour elle. C'est un travail d'importance, associant de nombreux enquêteurs, mais aussi une communauté locale et des citoyens qui ont participé aux recherches. Je souhaite remettre au centre du débat le plus important : cette enfant et la manifestation de la vérité.
Les priorités de la gendarmerie nationale sont influencées par la menace terroriste. Cette dernière a impacté nos modes de fonctionnement et d'action. Toutefois, elle n'efface pas le reste de l'activité, notamment celle concernant la délinquance quotidienne, comme la lutte contre les cambriolages, ou encore l'insécurité routière. Il nous faut intégrer dans un spectre plus large l'ensemble des menaces de manière à pouvoir y faire face. Afin d'assurer la sécurité des citoyens, notre action s'articule autour de trois points : la sécurité des personnes, celle des biens, et enfin la sécurité numérique et des données.
La sécurité des personnes est la mission la plus classique : elle renvoie à la fois à la menace de la délinquance, mais aussi à la menace terroriste. Or, nous sommes confrontés aujourd'hui à un terrorisme qualifié de « low-cost » : parfois il se sert d'armes sophistiqués, ou d'explosifs, mais aussi d'armes du quotidien. Ce terrorisme est présent sur la totalité de notre territoire et doit être pris en compte. Nous avons évolué à la fois au plan ministériel et dans l'organisation de la gendarmerie nationale.
Au plan ministériel, tout d'abord, une capacité d'intervention partagée a été mise en place et un schéma national d'intervention a été élaboré, dans lequel s'inscrivent les grandes forces d'intervention : le RAID pour la police nationale, la BRI pour la préfecture de police, le GIGN pour la gendarmerie nationale.
Les antennes régionales de ces différentes forces ont également évolué. On a remplacé le principe de la compétence territoriale par le principe de proximité. Il y a quelques années, le GIGN intervenait dans les zones de gendarmerie, le RAID dans celle de la police. Aujourd'hui, la synectique rapide des attentats et des crises nous obligent à remettre en cause cette dichotomie. Désormais, l'unité la plus proche, quel que soit sa zone de compétence, intervient sur l'évènement qui a lieu. Cela représente un changement majeur dans le fonctionnement des forces d'intervention.
Nous avons également durci la capacité d'intervention et de protection de nos unités territoriales. Aujourd'hui, n'importe quelle patrouille, comme nos camarades des armées, peut se retrouver confronter à une action terroriste. Nous devons mettre en place des dispositifs de protection individuelle, mais aussi collective, notamment grâce à des véhicules davantage renforcés. Dans les unités, la capacité de riposte a été augmentée. Je pense notamment à l'instauration de PSIG (peloton d'intervention et de surveillance de la gendarmerie) durcis dits « PSIG-Sabre » dans chaque compagnie territoriale - nous en avons 450 en tout. Nous avons transformé un tiers des PSIG en PSIG-Sabre, comportant un plus grand nombre de professionnels, des moyens offensifs et défensifs plus importants, et une plus grande mobilité. Ce plan, qui doit s'achever en 2018, doit permettre, via l'existence de 150 PSIG-Sabre de répondre sur tout le territoire à une menace terroriste, dans un délai de 20 minutes - délai fixé par le Ministre de l'Intérieur.
Nous avons également travaillé en matière de renseignement, qui est un point central dans la lutte contre le terrorisme. Les unités territoriales effectuent un travail de recherche d'informations. Elles se nourrissent des contacts avec les personnels actifs, mais aussi avec les réservistes mobilisés ou non. Cette information est ensuite remontée au niveau de la gendarmerie départementale, mais aussi du service départemental de renseignement territorial. Celui-ci est un service partagé regroupant militaires de gendarmerie et fonctionnaires de police. Les informations sont ensuite travaillées, analysées, et transformées en renseignement. Aujourd'hui, la gendarmerie représente 10 % des effectifs du renseignement territorial.
Les signaux faibles collectés sur le terrain par les gendarmes et la sécurité publique et traduits en renseignement sont transmis au niveau central - à la direction générale de la sécurité intérieure si la menace est précise, laquelle procède aux actions nécessaires afin de la neutraliser. Le domaine du renseignement a fait l'objet depuis quelques années d'une évolution majeure. En effet, il y a encore peu, étaient juxtaposées la chaîne de renseignement de la police nationale et celle de la gendarmerie. Aujourd'hui, nous avons une chaîne partagée, jusqu'au plus haut niveau des structures et institutions, permettant la production de renseignements communs.
La menace terroriste n'est pas la seule, s'agissant des menaces contre les personnes et les biens. Nous avons également la délinquance quotidienne, dite de masse. Les cambriolages sont ainsi en augmentation régulière due à un double effet : la délinquance de proximité, d'opportunité, qui est aujourd'hui minoritaire ; et une délinquance organisée, majoritaire, avec souvent une structure pyramidale et commandée de l'étranger. Elle investit une région ou un département et progresse ensuite de manière quasi-militaire. Nous avons démantelé un certain nombre d'organisations, avec des donneurs d'ordre se situant à l'étranger, des structures d'encadrement sur le terrain national et régional, puis des cadres de contact et enfin, des hommes et des femmes de main. Ce sont d'ailleurs souvent des mineurs, ce qui pose des problèmes juridiques, par exemple pour la mise sous écrou. Ces mineurs sont aujourd'hui formés pour commettre des actes de délinquance, avec des objectifs journaliers de résultat. Sur ces phénomènes délinquants, nous travaillons en lien avec l'office central de lutte contre la délinquance itinérante qui est un organe conjoint police/gendarmerie nationale. Nous faisons également appel au service central du renseignement criminel, qui agrège la totalité des données et des modes opératoires, ainsi que toutes les procédures établies pour détecter l'existence d'un tel phénomène dans une zone. Ces outils permettent une analyse de situation extrêmement importante que nous souhaitons développer. Ils nous permettent en effet d'avoir une connaissance sur les phénomènes d'aujourd'hui, mais surtout de prévoir ceux de demain. Ce qui est en jeu, c'est la prédictibilité des lieux de délinquance. Ainsi, en Aquitaine, nous sommes actuellement en train de travailler sur la capacité à prévoir l'occurrence de tels phénomènes. La totalité des données en matière de délinquance et de criminalité ont été intégrée à une application, tout comme celles relatives à la météo, ou encore les données socio-économiques, et économiques. Pour l'instant, nous nous concentrons sur les cambriolages, afin d'affiner la méthodologie. Bien évidemment, ce n'est pas une science exacte, mais cet instrument doit nous permettre de nous aider et d'orienter les patrouilles.
Ainsi, à partir d'un phénomène existant, celui de l'atteinte aux biens, nous modernisons la gendarmerie nationale. La modernisation est désormais inscrite dans nos réflexions et nos modes d'actions.
La sécurité des biens est aussi celle de la sécurité des échanges sur notre territoire. Il y a une importante circulation de valeurs, notamment à l'approche des fêtes, avec des chargements importants. Il était essentiel pour nous de réfléchir à sécuriser ces mobilités. C'est un axe stratégique important pour assurer la sécurité des citoyens qui circulent, dans les transports publics notamment dans et en dehors des métropoles, ainsi que celles des frets sensibles. Nous nous sommes rapprochés des opérateurs qui procédaient déjà à une géolocalisation de leurs cargaisons, par exemple les cargaisons de tabac. Il est important pour nous d'agréger ces données et de se faire communiquer le plus rapidement possible les alertes lorsqu'il y a un incident. A partir de celle-ci, nous pouvons alors alerter la patrouille la plus proche.
Nous développons en ce moment le dispositif NÉOGEND : d'ici la fin de l'année 2017, nous allons attribuer à chaque gendarme départemental une tablette ou un smartphone, qui comprend la totalité des outils métiers existants. Pour ainsi dire, le gendarme amènera son bureau avec lui sur le terrain. Il aura accès à sa messagerie opérationnelle, à sa documentation, à l'ensemble des fichiers existants auxquels il est habilité à accéder. Cet outil est déjà en place à titre expérimental dans le département du Nord et dans la région Bourgogne. Le gendarme peut, en prenant une pièce d'identité, interroger immédiatement la totalité des fichiers existants et avoir la réponse en quelques secondes. Auparavant, il fallait à chaque fois interroger un à un les fichiers. Cela permet un important gain de temps. Ainsi, un bus de 45 personnes pourra désormais être contrôlé en une vingtaine de minutes, contre deux heures aujourd'hui. D'autres facilités ou applications pourront être intégrées dans ce dispositif, comme le dispositif « tranquillité vacances ». Grâce à la cartographie et sa géolocalisation, le gendarme saura où se trouvent les maisons vides pendant les vacances et à quel endroit il n'a pas été depuis plus de 48 heures. Lorsque la zone est affichée en vert, cela signifie qu'un gendarme y est passé il y a moins de 24 heures ; en rouge, le délai de la dernière visite est de 48 heures ; et en noir, il doit impérativement y aller. NÉOGEND propose une aide au fonctionnement pour rendre un meilleur service public au citoyen.
Nous travaillons sur d'autres applications, notamment sur les procès-verbaux d'accident. Aujourd'hui, ce travail prend une demi-journée, pour faire les photos, les croquis d'accidents. Demain, avec cet outil, les photos seront géolocalisées, intégrées dans une annexe et permettront de faire automatiquement le croquis. Le procès-verbal est donc déjà avancé lorsque le gendarme rentre à la brigade. Une application semblable, GENDNOTE, est déjà utilisée : le gendarme, à l'occasion de ces patrouilles et en contact avec la population, est amené à prendre des déclarations. Jusqu'à présent, il le faisait sur un carnet de notes, qu'il devait ensuite recopier. Aujourd'hui, il peut prendre des notes directement sur son smartphone ou sa tablette, qui sont intégrées dans un logiciel de rédaction de procédure, ainsi que dans les bases. Son procès-verbal est donc prérempli, en intégrant ce qu'il a noté sur le terrain. En outre, cette application permettra d'alimenter les données statistiques. Les évolutions des technologies permettent ainsi de faire évoluer le métier du gendarme.
Cela doit notamment lui permettre d'aller au contact de la population. C'est pour moi un axe majeur. Il faut que la population et les élus voient davantage les gendarmes. Une certaine distance a pu se créer, pour diverses raisons : la volonté de développer les nouvelles technologies, ou encore la création des communautés de brigades, qui a entraîné la dissolution d'un certain nombre d'unités. Ainsi, dans les dix dernières années, près de 600 brigades territoriales ont été dissoutes. De ce fait, on a abandonné certaines parties du territoire, dans lesquelles la gendarmerie continue certes à être présente, mais pas de la même façon. Le moment est venu - et le Ministre de l'Intérieur a validé cette approche - de renforcer le contact avec la population, qui est, à mon sens, l'ADN de notre métier. Le gendarme doit prendre le temps pour aller vers les autres, contacter les élus, les informer de ce qui se passe, échanger avec eux, et surtout recueillir le renseignement. C'est pourquoi, nous avons mis en place depuis le début de l'année une trentaine de brigades de contact, dont la seule mission est d'aller au contact de la population. Elles ont été déchargés de toutes les autres missions, sauf urgence : la police de la route est faite par la brigade motorisée, l'intervention est faite par le PSIG, les accidents sont traités par quelqu'un d'autre,.... Nous avons fait un premier retour d'expérience, à la fois en interne, mais également et surtout sur la façon dont ces nouvelles brigades sont perçues par les élus et la population locale. En effet, la gendarmerie n'existe pas pour elle-même, mais pour la population qu'elle est chargée de protéger. Les retours des élus sont, dans leur quasi-totalité, très positifs. Bien évidemment, il y a des points sur lesquels nous devons travailler. Les gendarmes concernés ont, pour leur part, l'impression de retrouver leur métier. L'objectif pour moi est de poursuivre sur cette lancée, pas forcément en multipliant les brigades de contact, mais en laissant la main à mes commandants de groupement au niveau départemental, afin qu'ils trouvent la solution la plus adaptée au territoire. Ce qui est important est de garder cette idée de contact, mais c'est au niveau local, en liaison avec les commandants d'unités subordonnées que la meilleure solution doit être trouvée. Elle s'intégrera naturellement dans la sécurité du quotidien telle que le Président de la République l'a annoncée récemment. Il y a la même logique de proximité et de retour vers la population.
Enfin, en ce qui concerne la sécurité numérique, nous travaillons avec le service central de surveillance criminelle et le service de lutte contre la cybercriminalité sur le Dark net afin d'identifier et de traquer les infractions. Nous sommes également en relation avec l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, qui est plus spécialement chargé de suivre tous ces phénomènes. Chaque jour, 1,9 million d'atteintes, d'escroqueries de toute nature ont lieu sur internet. C'est une nouvelle criminalité qui se développe à la faveur de ces territoires numériques. Aujourd'hui, il ne viendrait à l'idée de personne de laisser traîner son code de carte bleue sur son bureau. Or, sur internet, on le donne à beaucoup de monde, sans savoir réellement qui est de l'autre côté. Ces nouveaux territoires sont à la fois des opportunités magnifiques, mais aussi des vulnérabilités importantes sur lesquelles nous devons travailler. Les objets connectés représentent également un enjeu important. On peut s'intégrer, pirater un véhicule, qui n'est pour certains aspects qu'un simple ordinateur. Des interférences avec l'ensemble des objets connectés, pour des raisons malveillantes sont également possibles. Nous avons vu récemment, à travers des virus comme WANNA CRY, qu'ils peuvent mettre en jeu la sécurité de nos concitoyens ou bloquer des entreprises. Il nous faut ainsi lutter en permanence contre une criminalité imaginative. C'est la raison pour laquelle j'ai mis en place depuis le 1er mai 2017 une mission numérique, ainsi qu'un conseil scientifique chargé de suivre les évolutions technologiques. Un observatoire central chargé de suivre toutes les nouvelles technologies concernant la sécurité et la délinquance a également été créé.
Enfin, je finirai mon intervention par l'outre-mer. Il y a plusieurs sujets de préoccupations. À Mayotte, nous avons une situation sociale qui conduit à des tensions régulières. Je pense également à la Guyane et aux Antilles où la situation est difficile. En Calédonie, doit être organisé l'année prochaine le référendum d'autodétermination, et nous avons déjà un certain nombre de fermentation, d'agressions, de tirs contre les gendarmes. C'est d'ailleurs l'endroit en France où il y a le plus de tirs directs contre les gendarmes. Aujourd'hui, 25 escadrons sur 109 sont présents en permanence dans les outre-mer. Vous voyez l'importance que j'y attache.