Merci, Madame la présidente, de m'avoir proposé de partager avec toute la délégation mon expérience sur le sujet des violences faites aux femmes.
Je vais donc exposer l'articulation entre les 4ème et 5ème plans de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Rappelons que le premier plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a été élaboré en 2004 pour la période 2005-2007 et partait du constat qu'il ne suffisait pas d'aggraver les sanctions pénales pour faire diminuer le nombre des violences faites aux femmes. En effet, ces violences s'inscrivent dans un long continuum qui nécessite à la fois des actions de prévention, d'éducation et d'accompagnement.
Les statistiques indiquent, invariablement, qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon ou de son ex-compagnon. Je suis cependant quasiment certaine que ces chiffres sont en deçà de la réalité car ils n'intègrent pas les données relatives aux suicides consécutifs aux violences psychiques et psychologiques, ni toutes les maladies engendrées par la consommation de psychotropes, tabac et alcool qui vont généralement de pair avec un état psychologique dégradé.
Pour brosser un tableau schématique :
- les meurtres interviennent dans un nombre non négligeable de cas lors des procédures de séparation, les hommes tuant leur compagne ou ex-compagne au nom de ce qu'ils considèrent comme une « extension du droit de propriété ». Les affaires de meurtres commis par des femmes au sein d'un couple, si elles existent aussi, sont de nature très différente ;
- les violences quotidiennes perpétrées contre des femmes, à leur stade ultime, mènent aussi à leur lot de meurtres ; elles sont donc toutes susceptibles de déboucher sur la mort de la victime de ces violences.
Le premier plan a donc été fondé sur l'idée qu'il fallait une politique globale et concertée autour des violences faites aux femmes. Il faut saluer la continuité de l'action des différents gouvernements, par-delà les alternances politiques, entre le premier plan débuté en 2005 et le 5ème plan initié en 2016 : il n'y a pas eu d'interruption dans la succession de ces plans pour continuer à améliorer la politique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Le 4ème plan a été évalué en 2016 par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh). Cette évaluation a été effectuée dans le cadre de l'élaboration du plan interministériel suivant. Le HCE|fh a dressé un bilan positif et encourageant de la mise en oeuvre du 4ème plan, considérant qu'un cap qualitatif et quantitatif avait été franchi.
Parallèlement au 4ème plan, des avancées législatives majeures ont permis de renforcer l'arsenal à la disposition des pouvoirs publics et des victimes :
- la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR1(*) a renforcé les obligations des acteurs et actrices départementaux afin de favoriser l'accès au logement social pour les femmes victimes de violences, notamment conjugales. Cette loi réduit en particulier le délai de préavis pour la sortie du logement social partagé avec un conjoint violent ; elle contient par ailleurs de nombreuses dispositions qui permettent de lever les obstacles se dressant devant les femmes qui veulent sortir des situations de violences ;
- la loi du 4 août 20142(*) pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a intégré la dimension des violences faites aux femmes handicapées à la politique de prévention du handicap même si, à mon sens, des travaux restent à mener sur ce sujet. Elle prévoit aussi un renforcement du dispositif des ordonnances de protection, une formation des professionnels à la prise en charge des femmes victimes de violences sur laquelle je reviendrai, le développement des obligations des chaînes de télévision et de radio afin d'assurer le respect des droits des femmes et de lutter contre les images dégradantes. Comme je l'évoquais tout à l'heure, l'une des spécificités des violences faites aux femmes est ce continuum menant des violences sexistes quotidiennes au meurtre : c'est bien un ensemble de représentations dans lesquelles les violences sexuelles ou psychiques sont banalisées ou qui mettent en scène des femmes dans des situations dégradantes, qui permettent à la « culture du viol » de prospérer ;
- la loi du 17 août 20153(*) relative au dialogue social et à l'emploi a introduit dans le code du travail de la notion d'agissement sexiste, à l'initiative, je le rappelle, de plusieurs membres de la délégation ;
- la loi du 13 avril 20164(*) visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées pose comme postulat que l'achat, la vente ou le trafic de services sexuels sont des violences à l'encontre des personnes prostituées, majoritairement des femmes.
En parallèle, des campagnes de communication ont permis d'améliorer l'accès aux droits pour les victimes, d'interpeller les auteurs de violences et de faire connaître les sanctions pénales qu'ils encourent : je vous rappelle notamment la campagne portant sur le harcèlement dans les transports.
Les outils visant à répondre à l'urgence et à prévenir la réitération des violences se sont étoffés avec la mise en oeuvre du 3919, devenu un numéro de référence, que l'on essaye d'imposer dans le paysage médiatique afin qu'il devienne aussi connu que le 15. De plus, des actions de formation ont été menées au sein des commissariats, gendarmeries et services d'urgence, avec notamment une mesure importante consistant dans la désignation d'un référent-e dans les services d'urgence des hôpitaux. Il s'agit en général d'un médecin ou d'un membre du personnel infirmier, spécialisé et capable d'identifier parmi les femmes qui se présentent aux urgences celles qui n'osent indiquer spontanément que leurs blessures résultent de faits de violences et en dissimulent l'origine sous couvert de douleurs abdominales ou de chutes.
La formation a concerné aussi les personnels éducatifs, la police municipale, les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs mais aussi ceux de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), dans un souci d'accompagner les victimes de violences commises contre les femmes réfugiées. À cet égard, j'ai posé pour principe que toute femme réfugiée était présumée avoir été victime de viol pendant son parcours. Ces femmes peuvent par exemple subir des relations sexuelles forcées pour prix de leur acheminement par des passeurs. Les femmes réfugiées seraient donc éligibles à l'ensemble des dispositifs que nous avons mis en place pour l'accompagnement psychologique et physique des victimes de violences ; malheureusement, les résultats à cet égard n'ont pas été à la hauteur de mes espérances.
J'en viens maintenant au 5ème plan. Il s'inscrit dans la continuité du 4ème tout en en renforçant les mesures.
Le chiffre de 400 000 personnes formées annoncé par la MIPROF5(*) a été confirmé lors de son audition du 16 novembre dernier par Mme Ernestine Ronai ; connaissant sa rigueur, ce chiffre m'apparaît représentatif du volume horaire de formation, même si d'aucuns le contestent. Rappelons toutefois que les formations délivrées font beaucoup appel à des outils tels que les MOOC, sans toujours nécessiter la participation physique de l'auditeur aux réunions, lesquelles se déroulent d'ailleurs le plus souvent au plan local dans les services et les structures de terrain, de préférence à des formations organisées à Paris. De même, dans les hôpitaux, le référent forme à son tour les autres personnels hospitaliers.
Le 5ème plan définit plusieurs priorités : assurer l'accès aux droits et sécuriser les dispositifs qui ont fait leur preuve pour améliorer le parcours des victimes, faciliter la libération de la parole, la révélation des violences, mieux mettre à l'abri les victimes et répondre à l'urgence en déterminant qui doit rester au domicile de la famille. À cet égard, diverses réponses sont possibles selon les situations, notamment en présence d'enfants, car il faut alors gérer les changements d'établissements scolaires, trouver des centres d'hébergement accueillant femmes et enfants parfois nombreux, auquel cas leur maintien au domicile est préférable, pour autant que les mesures d'éloignement du conjoint violent soient respectées. En ce qui concerne les ordonnances de protection et le téléphone grave danger (TGD), je m'étais attachée à ce que les procureurs qui disposent de TGD les attribuent en totalité, ce qui n'a pas toujours été le cas.
Le 5ème plan entend également alourdir les condamnations des auteurs de violences, non pas en prononçant des peines plus sévères, mais en augmentant le nombre de poursuites diligentées et de condamnations contre ces auteurs. Enfin, nous avons souhaité prendre en compte les violences dans toute leur étendue, élargir la formation à d'autres professionnels, tels que les pompiers, réfléchir à une extension des délais de prescription et améliorer le dépôt de plaintes.
Par ailleurs, l'une des spécificités du 5ème plan est la connexion entre femmes et enfants. Je rappelle que le fait d'inclure dans le champ des violences faites aux femmes les violences faites aux enfants a fait l'objet de réticences dans le passé, tant était prégnante la crainte qu'une plus grande sensibilité aux violences faites aux enfants ne focalise l'attention sur celles-ci, en dissimulant la compréhension des violences faites aux femmes. Par conséquent, l'appréhension des violences faites aux femmes a infiniment mieux progressé que celle des violences faites aux enfants, qui demeurent un véritable tabou. Certes, les enfants maltraités émeuvent tout le monde mais pas au point de désigner la famille comme étant le premier lieu de la violence qui leur est faite et mettre en oeuvre une vraie politique de lutte contre ces violences, tant nous nous heurtons encore aux représentations protectrices et bienveillantes de la famille. Il faut donc déconstruire ces représentations au préalable.
Mon mérite est limité car c'est Édouard Durand, comme toujours lumineux et limpide, qui est l'inspirateur de l'articulation entre la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants dans le cadre des violences intrafamiliales, à travers la formule : « les enfants témoins de violences sont des enfants victimes ».
Le 5ème plan souligne la nécessité d'assurer la protection des mères et des enfants pendant la séparation, et intègre les violences économiques aux violences faites aux femmes, au nombre desquelles le non-paiement des pensions alimentaires.
L'intitulé de mon ministère, à ma nomination comme ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes a suscité de nombreux commentaires désobligeants. Leurs auteurs y voyaient le signe d'une régression digne du pétainisme ! Pourtant, ce regroupement a bel et bien permis de mieux articuler l'ensemble des violences intrafamiliales pour mobiliser de concert les dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes et celles faites aux enfants ; ainsi, l'inclusion dans mon ministère du champ de la famille m'a permis de créer l'Agence de recouvrement des pensions alimentaires (Aripa) qui réduit les violences économiques résultant du non-paiement de celles-ci.
Le 5ème plan s'intéresse aussi à un « angle mort » des politiques publiques antérieures, celui des jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans, installées ou non en couple, et qui, majeures soumises à des violences, ne relèvent plus du traitement des violences faites aux enfants mais ne se reconnaissent pas toujours dans les politiques de lutte contre les violences conjugales, parce qu'elles ne considèrent pas être sous statut conjugal.
Existent ainsi des violences, qui n'en sont pas moins dramatiques, exercées par des garçons au sein de couples non-cohabitants, instables et éphémères. Ces jeunes femmes peuvent aussi souffrir de violences parentales qui perdurent au-delà de leur majorité. Entre 2014 et 2017, nous avons créé 1 500 nouvelles places d'hébergement, mais pas toujours au sein des seuls centres dédiés aux femmes, comme l'auraient souhaité les associations.
Le 5ème plan prévoit la création de 100 solutions d'hébergement spécialisées pour les 18-25 ans. Vous connaissez peut être à Paris l'association FIT « Une femme, un toit », spécialisée dans l'accueil des jeunes femmes victimes de violences et dirigée par Marie Cervetti, aux positions très affirmées, et extrêmement efficace dans son travail.
Des femmes vivant en milieu rural nous ont aussi alertés sur le fait que le monde rural ne bénéficie pas et ne bénéficiera jamais du tissu associatif spécialisé qui existe dans les villes ; aussi, en matière de formation, nous nous sommes appuyés sur l'existant pour mettre en place la formation des intervenants sociaux présents en milieu rural, en convention avec la Mutualité sociale agricole (MSA) et les réseaux associatifs : centres sociaux ruraux, familles rurales, missions locales. Nous avons également prévu la création de permanences d'écoute dans des missions de service public.
Enfin, les violences faites aux femmes ont aussi été incluses dans la campagne « Sexisme, pas notre genre ».
Trois mois après le lancement du 5ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes, a été présenté le premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour 2017-2019, qui formalise l'analyse selon laquelle les enfants sont des co-victimes des violences faites aux femmes.
Constater l'absence de plan interministériel contre les violences faites aux enfants, alors que les plans de lutte contre les violences faites aux femmes en sont déjà à leur 5ème édition, témoigne du retard pris sur ce sujet. Nous l'avons traité sous l'angle des violences sexuelles, de la mémoire traumatique, de l'amnésie post-traumatique et de ses conséquences sur la santé des enfants. Nous avons aussi mené une campagne de sensibilisation « Le signalement n'est pas une délation ». En effet, il est important de dénoncer les faits dont nous sommes témoins de violences à l'encontre d'enfants et de battre en brèche le vieil adage invitant à ne pas se mêler des affaires privées qui se déroulent au sein d'une famille, au motif que les parents sont libres de l'éducation de leurs enfants. L'ouvrage paru dans les années 1970 Crie moins fort, les voisins vont t'entendre est parfaitement révélateur de cet état d'esprit auquel nous devons mettre fin. Les marches blanches en mémoire des victimes ne suffisent pas, il faut éviter que l'irréparable ne soit commis !
J'ai mené campagne pour faire adopter une loi contre les violences éducatives ordinaires, moquée sous la dénomination très réductrice de « loi fessée », à connotation vaguement sexuelle. Or, il faut promouvoir l'éducation non violente des enfants. Cette campagne a suscité des incompréhensions de certains parents quant à l'interdiction qui peut leur être imposée de ne pas frapper leur enfant, notamment de la part d'une frange de la France traditionnelle, comme si l'exercice de violences à portée « éducative » était une des composantes de notre identité ! Cette disposition a été introduite dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté » (PLEC), mais a fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel, qui l'a annulée pour des raisons de procédure, en tant que cavalier législatif. Il faudrait donc que cette mesure puisse être de nouveau examinée et adoptée par le biais d'un autre vecteur législatif.
Le droit des femmes doit passer de sujet sectoriel à transversal ; en effet, au-delà des discours, qu'il s'agisse de celui que prononcera le 25 novembre le Président de la République ou de ceux qui le seront à l'occasion de la journée du 8 mars, force est de constater que l'égalité femmes-hommes et les violences faites aux femmes demeurent des sujets sectoriels qui n'ont pas encore imprégné l'ensemble des politiques publiques. Or une implication interministérielle est nécessaire pour mobiliser toute la société et les acteurs publics contre les violences faites aux femmes. La question des moyens qui y sont affectés est aussi essentielle : au-delà des déléguées départementales aux droits des femmes, les « véritables » services extérieurs du ministère des Droits des femmes ou du secrétariat d'État à l'Égalité femmes-hommes sont les associations. C'est grâce aux associations que se mettent en place les politiques publiques de l'égalité entre femmes et hommes. Or, les subventions qui leur sont attribuées ne représentent qu'une part infime des moyens qui sont affectés à un service extérieur de l'État. C'est pourquoi je demande le maintien et la création des contrats aidés dans tout le milieu associatif dédié aux droits des femmes, d'autant plus que ces associations sont actuellement encore plus sollicitées pour assister des femmes depuis que leur parole s'est récemment libérée.