Intervention de Pierre Médevielle

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 novembre 2017 à 8h30
Agriculture et pêche — Usage du glyphosate : communication de m. pierre médevielle au nom du groupe de travail composé en outre de mm. yannick botrel pierre cuypers daniel gremillet et claude haut

Photo de Pierre MédeviellePierre Médevielle :

Monsieur le président, mes chers collègues, depuis 2015, la Commission européenne, chargée du renouvellement de l'autorisation du glyphosate, semble complètement prise au piège de la médiatisation à outrance de ce dossier.

Pendant deux ans, les réunions se sont multipliées avec un résultat toujours infructueux. Il aura fallu le revirement de l'Allemagne - qui ne va pas sans lui poser quelques problèmes politiques d'ailleurs - pour sortir de cette crise et obtenir la majorité requise de dix-huit pays représentant 55 % des États membres et 65 % de la population.

Parmi les États ayant approuvé la proposition de la Commission consistant à renouveler pour cinq années l'autorisation du glyphosate, on trouve, outre l'Allemagne, la Pologne, l'Espagne, le Royaume-Uni et les pays de l'Est.

La France a voté contre, de même que l'Italie, la Belgique, l'Autriche et la Grèce.

On peut regretter que ce dossier, qui aurait dû conserver en priorité une dimension technique et scientifique, soit devenu une véritable affaire politique, qui fera date.

La Commission européenne a sollicité le vote des États membres selon une procédure dite de « comitologie » en soumettant sa proposition au Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, dans lequel ils sont tous représentés.

Au demeurant, le Parlement européen, qui n'est pas partie prenante dans la procédure d'exécution, s'était lui aussi invité dans ce dossier par le biais de deux résolutions non contraignantes.

La seconde, notamment, qui demandait précisément l'interdiction totale du glyphosate au terme d'un délai de grâce de cinq ans, a offert une porte de sortie à la Commission européenne.

La Commission européenne, je le rappelle, est souveraine pour les substances actives, tandis que la mise sur le marché des produits est du ressort des États membres. En France, c'est l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui délivre les autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les spécialités qui utilisent ces substances.

À mes yeux, la position française a paru bien incohérente, avec la demande d'un nouveau délai de trois ans seulement, préalable à une interdiction définitive, à condition de trouver des solutions de remplacement.

Depuis hier, la France, par la voix de M. Benjamin Griveaux, a adopté une attitude plus raisonnable, se rapprochant de celle de notre ministre de l'agriculture, avec qui je me suis entretenu. Cette position originale a pu faire penser à une opération politique destinée à soutenir M. Nicolas Hulot.

Je pense que nous avons fait fausse route dès le départ dans ce dossier en nous bornant à essayer de démontrer les propriétés cancérigènes du glyphosate, qu'il n'a manifestement pas. Les travaux de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) le confirment.

Certains responsables avouent même sans difficulté que le glyphosate a été surclassé cancérigène sous la pression médiatique.

D'après l'Institut américain du cancer, qui a mené aux États-Unis une étude durant vingt-cinq ans auprès de 54 000 agriculteurs, il existerait peu de doutes : le glyphosate n'aurait pas les propriétés cancérigènes qu'on signale. On le classe d'ailleurs aujourd'hui officiellement, au niveau européen, entre la viande rouge et la charcuterie. Beaucoup d'entre nous doivent donc être en danger !

Il était temps de retrouver lucidité et sérénité afin de pouvoir travailler avec le pragmatisme requis dans ce type de dossier.

Il aurait mieux valu rechercher l'impact environnemental du glyphosate sur les milieux aquatiques ou humides, comme les rizières, notamment du fait de la présence d'excipients comme la tallowamine, tensioactif toxique pour les poissons et les batraciens.

À ce problème s'ajoute, dans certains pays, le fait que l'eau que l'on boit vient directement de rivières ou de fossés, et n'est pas traitée comme en Europe.

L'usage massif du glyphosate a été relevé dans certaines régions des États-Unis. Des quantités importantes charriées par le Mississipi se déversent, par exemple, dans le Golfe du Mexique, dont un tiers est, pour ainsi dire, « mort écologiquement ».

Pour sa part, l'ANSES n'a d'ailleurs pas hésité à supprimer 137 AMM de produits associant le glyphosate et la tallowamine.

L'autre question fondamentale figurant au coeur de ce dossier concerne les solutions de substitution. Le glyphosate est le pesticide de synthèse le plus utilisé dans le monde - 800 000 tonnes épandues, dont 8 500 tonnes en France, où deux tiers des agriculteurs y ont recours. Il n'existe pour l'heure aucune alternative aussi efficace sur le chiendent et le chardon. Si une alternative existait, ce marché représentant un tel volume financier, les industriels l'auraient sans doute déjà développée.

En cas d'interdiction du glyphosate, il faudrait alors avoir recours à des solutions agronomiques comme la prévention, le labour, la rotation des cultures ou le désherbage mécanique. Toutes ces solutions ont bien sûr un coût et un impact environnemental. Plusieurs passages de tracteurs sont en effet nécessaires sur les mêmes parcelles.

De plus, l'abandon du glyphosate, en dehors du coût que l'on ne maîtrise pas complètement, serait lourd de conséquences : l'association des producteurs de blé juge inévitable, en cas d'interdiction, une diminution de 5 % minimum de la production, alors que nos exportations sont déjà fortement concurrencées sur les marchés internationaux.

Pendant ce temps, nos concurrents, comme le Canada, continueraient à utiliser le produit en toute tranquillité. On peut donc se poser des questions sur la position du Gouvernement, qui peut paraître incohérente alors que celui-ci est favorable au CETA. En France, des estimations publiées dans la presse ont chiffré à 2 milliards d'euros la diminution de nos exportations. Ce n'est vraiment pas le moment, compte tenu de l'état de notre balance commerciale !

Quant à la valeur de la production nationale, elle pourrait être réduite de 3 milliards d'euros, se répartissant en trois tiers : un tiers pour le blé, un tiers pour la betterave et un tiers pour la viticulture.

Les pistes actuelles pour réduire l'usage du glyphosate sont, pour l'essentiel, au nombre de deux. La première consisterait à associer le glyphosate avec un excipient totalement biodégradable, ce qui limiterait considérablement son impact sur l'environnement. La deuxième piste apparaît encore plus intéressante : il s'agit du développement d'un épandeur intelligent, équipé de micro-caméras, qui reconnaît les mauvaises herbes et asperge uniquement celles-ci de désherbant. D'après les premiers résultats, on pourrait s'attendre à une diminution d'épandage de 20%.

L'abandon du glyphosate entraînerait aussi un surcoût pour l'entretien des voies ferroviaires, qui passerait ainsi de 30 millions d'euros à environ 300 millions d'euros par an.

Enfin, je me demande si l'interdiction à l'échéance de trois ans de cet herbicide ne sera pas considérée comme la mesure environnementale de trop pour le monde agricole. Rappelons-nous de l'écotaxe et des Bonnets Rouges...

En définitive, au terme d'un interminable marathon administratif, politique et scientifique, le bilan de gestion du dossier du glyphosate peut laisser perplexe.

L'enjeu de santé publique, conjugué aux inquiétudes de l'opinion publique, prévaut manifestement, mais dans quelles conditions ? Les dommages collatéraux sont potentiellement dévastateurs.

La réputation de la Commission européenne ressort pour le moins ternie de cette crise. Le processus de décision européen est apparu aux yeux de tous durablement paralysé. S'y ajoute le discrédit des agences scientifiques européennes.

Dès lors, nous risquons une crise de confiance généralisée, avec une remise en cause systématique de toutes les décisions européennes prises sur des bases scientifiques.

Il nous faut absolument restaurer la confiance dans des institutions comme l'ANSES, alors que nous ne sommes jamais allés aussi loin en matière d'évaluation de ces substances. C'est paradoxalement à ce moment que survient cette crise.

L'ANSES a mis en oeuvre, en France, un système tout à fait original de phytopharmacovigilance, basé sur le même schéma que le système de pharmacovigilance humaine. Il comporte des alertes venant du territoire, ce qui lui donne une grande réactivité. L'agence l'a d'ailleurs prouvé en supprimant les 137 AMM du glyphosate associé à la tallowamine.

Par ailleurs, peut-être ne recourons-nous pas suffisamment à l'OPESCT, à qui il faudrait donner suffisamment de moyens pour intervenir dans ce type de dossiers.

J'ai été désigné par l'OPECST pour traiter de ce sujet. Retrouvons la sérénité. Il faut essayer d'éviter que ces sujets scientifiques deviennent des sujets politiques. On l'a vu pour le Lévothyrox, qui est une non-affaire.

Je vous remercie.

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