Intervention de Claude Kern

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 novembre 2017 à 8h30
Économie finances et fiscalité — Assiette commune et consolidée de l'impôt sur les sociétés accis : communication de mm. claude kern et claude raynal

Photo de Claude KernClaude Kern :

Avec Claude Raynal, nous allons évoquer un dossier ancien qui revoit le jour.

L'idée d'instaurer sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne une même assiette servant de base à l'impôt sur les sociétés (IS) n'est pas neuve. Elle découle du projet même du marché intérieur, dont l'approfondissement passe par l'harmonisation de la fiscalité directe.

L'adoption par tous les États membres d'une définition identique de l'assiette imposable à l'IS doit conduire chaque État membre à taxer la même chose, c'est-à-dire le même périmètre du résultat de l'entreprise. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : l'assiette varie d'un pays à l'autre à cause des règles d'amortissement, des déductions, du crédit d'impôt recherche, etc. Si l'assiette devenait commune à tous les État membres, on pourrait alors valablement comparer le taux de l'impôt sur les sociétés d'un État à l'autre.

Puis viendrait la question de la consolidation de l'assiette, c'est-à-dire la possibilité de déduire des gains d'un établissement, les pertes faites par un autre, les deux établissements relevant d'une même entité. Or par définition, la consolidation n'a de sens que si l'assiette est commune, dans la mesure où on ne peut agréger que des valeurs homogènes.

L'harmonisation de la fiscalité directe passerait donc par une plus grande transparence en termes de compétitivité fiscale - c'est l'assiette commune - et par une limitation de cette concurrence fiscale entre les États membres - c'est l'assiette consolidée et la répartition de cette assiette entre les États membres.

Cette idée simple s'est heurtée à deux obstacles majeurs, d'une part la règle du consensus en matière de fiscalité, d'autre part le désir des États membres de garder la main en matière de taxation des entreprises.

L'idée a donc été remisée, puis relancée en 2001. Après dix ans de réflexion, en 2011, un projet de directive (ACCIS) a vu le jour, mais les États membres ne sont pas parvenus à un accord sur ce projet ambitieux.

Le 25 octobre 2016, la Commission européenne a jugé que la situation, liée à l'affaire de l'imposition des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), se prêtait à rouvrir ce chantier, et elle a formellement relancé le projet ACCIS en introduisant deux propositions de directive visant à établir d'abord une assiette commune, puis une consolidation.

La Commission européenne souhaite parvenir à un ensemble unique de règles permettant d'harmoniser et, surtout, de déterminer de la même manière le résultat imposable d'une société au sein de l'Union européenne. Il s'ensuivrait que les sociétés exerçant des activités transfrontalières devraient alors se conformer à ce nouveau système plutôt qu'aux différents régimes nationaux des pays dans lesquels l'activité est exercée.

Ce mécanisme éviterait l'optimisation fiscale, qui naît du libre jeu de la concurrence fiscale existant entre les États membres. En effet, l'optimisation fiscale se pratique aujourd'hui par le biais du prix de transfert d'une filiale à l'autre des biens ou des services. Le projet actuel de la Commission européenne se fonde aujourd'hui essentiellement sur le principe que les bénéfices doivent être taxés là où ils sont réalisés.

Enfin, si la Commission européenne a jugé que l'environnement était favorable à ce projet, c'est surtout parce qu'une grande partie des États membres sont à la recherche de recettes fiscales supplémentaires. Ils restent convaincus qu'une partie importante de la matière taxable leur échappe, non pas grâce à la fraude fiscale, mais grâce à l'optimisation fiscale intra-européenne et extra-européenne.

D'ailleurs, la Commission européenne insiste sur l'articulation entre les projets ACCIS et les travaux de l'OCDE dans le cadre du plan d'action contre l'érosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices.

Quelles sont les propositions de la Commission européenne ? Elle a scindé le projet en deux directives, une sur l'assiette commune, l'autre sur l'assiette commune consolidée.

Le texte de la Commission européenne prévoit une assiette commune large : tous les produits sont imposables, à moins qu'ils ne soient explicitement exonérés ou déductibles.

Pour la consolidation, elle doit permettre aux entreprises de lisser leurs performances économiques réalisées dans les différents États membres, et de calculer un bénéfice imposable au niveau européen, en compensant pertes et profits réalisés par leurs filiales établies dans les différents États membres. Cette base imposable serait ensuite partagée entre les États membres en fonction de la répartition de la main-d'oeuvre, des immobilisations et du chiffre d'affaires sur le territoire de chaque État.

Quel est le point de vue du Gouvernement ? S'agissant de la compétitivité, il se dégage une forte opposition à l'égard de la consolidation et, en particulier, à cause des transferts de bases et donc des recettes fiscales. C'est la raison qui a conduit la Commission européenne à préconiser en premier lieu la seule assiette commune, mais même ce projet soulève d'importantes difficultés, bien que la France et l'Allemagne se disent très favorables à l'assiette commune, dont on sait pourtant que la mise en oeuvre les désavantagera.

L'adoption de la seule directive relative à l'assiette commune se traduirait par une perte de compétitivité pour les grandes entreprises françaises. Jusqu'à aujourd'hui, les écarts de taux pouvaient à la rigueur être justifiés par une divergence d'assiette. Demain, la comparaison fiscale deviendrait plus simple et plus brutale. Or la France, avec son taux d'IS actuel qui dépasse les 34 % - et même avec son taux cible de 28 % pour 2020 - est un des pays qui présentent, avec la Belgique, le Portugal et l'Allemagne, les taux d'IS les plus élevés de l'Union européenne, sans parler des autres prélèvements acquittés par les entreprises.

S'agissant de la souveraineté des États membres et plus particulièrement de l'inventivité fiscale française, l'adoption de la seule première directive les remettrait en cause de manière brutale. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que Bercy est peu favorable au projet en l'état et propose déjà des modifications qui nuiront à l'universalité de l'assiette.

En effet, il faudrait, selon Bercy, laisser à la discrétion des États membres un « grand nombre d'options » pour maintenir la possibilité de moduler l'amortissement, les réductions d'impôts, le crédit impôt recherche, l'arbitrage entre l'auto-investissement et le recours à l'endettement, la déductibilité des intérêts.

Il faudrait aussi, toujours selon Bercy, envisager des mesures dérogatoires pour certains types d'activités. Au fond, quand on liste l'ensemble des exceptions envisagées par la France, et sans attendre celles que les autres États membres présenteront, on comprend que, si on y fait droit, l'assiette commune n'aura de commun que le nom.

Enfin, s'agissant de la consolidation, la répartition s'annonce difficile. L'assiette commune de l'IS a vocation à être, dans un second temps, consolidée au niveau de l'ensemble de l'Union européenne pour chaque entreprise ou groupe d'entreprises concerné. Une fois déterminée, l'assiette imposable consolidée serait répartie entre les différents États membres, et chaque État membre appliquerait aussi son taux d'imposition national à la part qui lui revient.

Plusieurs problèmes se posent cependant.

Le projet de directive a exclu dans la formule de répartition les immobilisations incorporelles - brevets, licences, marques. Or les entreprises françaises se caractérisent par l'importance des incorporels dans leur chaîne de valeur. La formule de répartition entraînerait une baisse de recettes fiscales pour la France.

La clé de répartition ne résout pas le problème rencontré avec l'imposition des GAFA et des entreprises numériques qui, elles aussi, ont d'importants actifs incorporels et surtout pas de main-d'oeuvre.

Enfin, l'établissement du chiffre d'affaires par pays pour les entreprises numériques est un exercice difficile.

À ces problèmes s'ajoute la plus ou moins grande efficacité du recouvrement et du contrôle d'un pays à l'autre. Or la directive prévoit un guichet unique dans le pays où l'entreprise a sa résidence fiscale. Ainsi, le produit de l'impôt sera recouvré dans un État membre et, parfois, distribué dans un autre.

Voilà le projet ambitieux de Bruxelles. Comme vous vous en souvenez, Pierre Moscovici, lors de son audition, nous a dit que les deux projets préparaient le terrain à une taxation équitable des GAFA.

Je cède la parole à Claude Raynal, qui va évoquer la proposition d'Alain Lamassoure.

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