Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est à la fois avec beaucoup de gravité et d’humilité que je prends part à ce débat sur la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2018. Ce débat place immédiatement le Gouvernement face à ses responsabilités et à ses engagements de campagne.
Gravité ? Oui, la situation toujours plus préoccupante sur le front de l’emploi oblige à la gravité.
Pourtant, si j’écoute Bruno Le Maire, nous sommes en passe d’être sauvés par une reprise ferme et solide. Si la reprise est là, elle me semble néanmoins fort timide et ne permet pas, en tout état de cause, d’améliorer durablement, à elle seule, la situation de l’emploi. Nous le savons, en dessous de 1, 5 % de croissance, le rebond automatique et providentiel attendu en matière d’emploi n’a pas lieu. C’est donc à la structure du marché qu’il faut que nous nous attaquions.
En cela, je trouve la philosophie du Gouvernement intéressante. Elle consiste à favoriser la prise d’initiatives, à libérer les énergies pour créer les emplois de demain et, « en même temps », à protéger les plus faibles dans des périodes dévastatrices sur le plan personnel.
Parce que nous l’avons subi, ou parce que des personnes qui nous sont très proches ou des concitoyens que nous accompagnons le vivent, nous savons que c’est toujours un drame que de perdre son emploi. Je me souviens, d’ailleurs, du déplacement d’Emmanuel Macron, en campagne, sur le site de l’entreprise Whirlpool, à Amiens. Le candidat à l’élection présidentielle a alors assumé un discours bien éloigné de la simplification outrancière, de la réduction de la pensée et de la politique-spectacle.
Oui, il nous faut accompagner l’individu en tant qu’être humain, et non en tant que numéro, vers une formation ou une reconversion – j’insiste sur ce point –, au plus près du terrain, au plus près des bassins d’emploi, au plus près des forces vives de nos territoires, donc des entreprises. Il nous faut être acteurs de cette grande mutation. Il nous faut remettre le travail au cœur de notre société. Si nous restons de simples spectateurs, alors la France demeurera un pays sous perfusion. Il nous faut avoir un temps d’avance sur les métiers et sur l’entreprise de demain, un temps d’avance sur l’accompagnement des jeunes et un temps d’avance dans la prise en charge des personnes en reconversion.
Votre premier budget, madame la ministre, trace une perspective autour de laquelle sera articulé ce quinquennat. Si je salue votre façon de travailler avec les syndicats, qui nous fait entrer dans une forme de dialogue social qui répond aux enjeux du XXIe siècle – ce point positif n’est pas mineur –, je suis en revanche plus sceptique sur vos méthodes à l’égard des acteurs de l’emploi. Pour tout vous dire, je suis même un peu en colère, car votre gouvernement a une vision très jacobine, très centralisatrice de l’action politique.
La politique de l’emploi ne peut pas se concevoir uniquement dans les ministères. Une connaissance aiguë du tissu économique est primordiale. Et qui sont les mieux placés, les plus compétents, les plus à même de travailler à la définition des emplois adéquats par bassin d’emploi que les acteurs locaux ? Il nous faut, à travers eux, encourager la revalorisation des métiers méprisés mais largement pourvoyeurs d’emplois. Il nous faut encourager une définition fine et prospective des besoins des territoires et une gestion prévisionnelle territorialisée des emplois et des compétences.
Je connais pour cela un outil formidable, madame la ministre, créé par Jean-Louis Borloo, nouveau compagnon de route de votre gouvernement : les maisons de l’emploi et de la formation, les MEF.
Elles ne sont pas redondantes avec l’action de Pôle emploi ni avec celle des services de l’État, comme vous l’avez affirmé. Au contraire, elles en sont intrinsèquement complémentaires.
Permettez-moi de vous donner quelques chiffres afin de démontrer, si besoin est, la pertinence de cet outil : 116 maisons de l’emploi portées par 10 354 communes pour 21 millions d’habitants concernés et plus de 1, 5 million d’entreprises partenaires. ; 149 PLIE, ou plans locaux pour l’insertion et l’emploi, au service de 4 400 communes, ont accompagné, l’an dernier, 100 000 personnes très éloignées de l’emploi dont 45 % ont trouvé un emploi durable – soit près d’une personne sur deux, madame la ministre ; 436 facilitateurs de la clause sociale d’insertion, pour la plupart formés par le réseau Alliance Villes Emploi – que je félicite ici pour son travail de fond –, ont développé plus de 11 millions d’heures d’insertion en 2016, soit 30 000 personnes recrutées – dont 72 % dans un emploi durable au bout de 24 mois.
Malgré ces évidences, madame la ministre, malgré ces résultats qui ne sont pas une goutte d’eau, mais un fleuve, vous avez décidé que les crédits d’État dévolus aux maisons de l’emploi passeraient de 21 millions d’euros en 2017, à 10, 5 millions d’euros en 2018, puis à zéro euro en 2019.
Que représentent 21 millions d’euros sur un budget total de 15, 3 milliards d’euros de crédits de paiement ? D’autant que vous pouvez mobiliser les maisons de l’emploi pour mener à bien votre plan d’investissement dans les compétences, le PIC. Vous pouvez également mobiliser les maisons de l’emploi dans le cadre de la politique de la ville. C’est la raison pour laquelle je défendrai, avec un grand nombre de sénateurs, un amendement visant à rétablir le budget des maisons de l’emploi.
Madame la ministre, vous êtes à la tête d’un noble ministère, celui du travail, créé en 1906 par le gouvernement radical de Clemenceau. Ledru-Rollin, devant la Constituante, défendait, dès 1848, le droit au travail : « On a dit, le droit au travail, c’est le socialisme. Je réponds : non, le droit au travail, c’est la République appliquée ».
Eh bien, madame la ministre, appliquez la promesse de la République. Faites confiance aux acteurs locaux et aux entreprises. Donnez des gages aux élus des territoires en réinstaurant ce dialogue local et ces crédits aux maisons de l’emploi !
Si ces gages ne sont pas donnés, en l’état actuel de la mission, vous ne nous laisserez pas d’autre choix que de voter contre votre budget.