Intervention de Sonia de La Provôté

Réunion du 4 décembre 2017 à 10h00
Loi de finances pour 2018 — Culture

Photo de Sonia de La ProvôtéSonia de La Provôté :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’évolution globale des crédits dévolus à la culture est rassurante. Je ne m’étendrai donc pas longuement sur le sujet, qui a été bien présenté par nos rapporteurs, dont je salue au passage l’excellence du travail.

La mission « Culture » comprend les programmes « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », « Création » et « Patrimoines ».

En ce qui concerne la transmission des savoirs et l’aide à la création, l’équilibre est respecté par rapport aux années passées. C’est une bonne chose, car le monde de la culture, dans son ensemble, a besoin de cet équilibre. J’appuierai donc mon propos sur les sujets particuliers qui nous interrogent.

Le premier sujet, vous vous en doutez, est le pass culture, qui mérite que l’on s’y attarde. Si nous mesurons bien son objectif politique, il n’en reste pas moins que nous nous demandons toujours vers quoi nous nous engageons.

Le présent projet de loi de finances prévoit de consacrer 5 millions d’euros pour initier la mise en œuvre de cette promesse de la campagne présidentielle. Ces 5 premiers millions sont destinés à la consultation des jeunes, à la recherche de partenaires, à la mise au point d’une application et à des expérimentations prévues en fin d’année.

On peut dès à présent lancer l’alerte sur plusieurs points.

D’abord, sur le plan financier, le pass culture devrait être financé à hauteur de 140 millions d’euros. Or le budget triennal prévoit seulement une augmentation de 50 millions d’euros sur l’ensemble de la mission. Le pass ne pourra donc être financé que par un redéploiement de crédits. Par conséquent, il apparaît utile d’anticiper, dès à présent, le contenu de ces redéploiements pour identifier quelles orientations budgétaires, et donc quelles politiques, pourraient à l’avenir faire les frais de ce choix.

Ensuite, en ce qui concerne les contenus, quels seront les objectifs culturels proposés dans le cadre du pass culture ? Il ne faut pas que celui-ci, qui part d’une bonne intention, devienne à l’usage le vecteur privilégié d’une offre culturelle standardisée qui ne donnerait accès qu’à une culture strictement calquée sur les goûts et appétences habituels du jeune ; on connaît la puissance des algorithmes individuels et l’usage dévoyé qui en est fait en la matière.

Notre souhait est bien que le jeune puisse accéder à une offre culturelle différente, moins spontanément attractive, mais source d’un enrichissement culturel et personnel à coup sûr bien meilleur. Autrement dit, l’objectif est bien celui d’un accès à d’autres propositions que celles qui inondent le marché privé de la culture, qui est dominé, notamment, par les offres des GAFA. Cet objectif, en réalité, est majeur. Si l’on y parvient, ce sera un puissant soutien de la diversité culturelle.

Enfin, sur la méthode, le pass culture n’a de sens que s’il est adossé à des dispositifs pédagogiques et de médiation. Ces dispositifs devront accompagner le jeune dans le temps, jusqu’à ses dix-huit ans et au-delà, bien sûr, afin de lui apporter le meilleur. Cela pose la question d’une politique très construite articulant la culture et l’éducation. Les deux ministères ont d’ailleurs fait savoir qu’ils souhaitaient travailler ensemble. Par-delà l’affichage, il faudra expliciter quels moyens financiers et humains seront mutualisés entre les deux ministères. Il faudra aussi clarifier les moyens et les outils pédagogiques et de médiation qui seront mis en œuvre en fonction de l’âge et du parcours de l’enfant, puis du jeune.

Le second sujet sur lequel je souhaitais appeler à la vigilance est celui des conservatoires. Si l’on ne peut que se réjouir de l’augmentation, à hauteur de 3 millions d’euros, des crédits qui leur sont alloués, on est encore loin d’avoir rattrapé le niveau atteint par ces crédits avant 2012. En outre, l’essentiel de ces nouveaux crédits est fléché vers le plan Chorales. La hausse budgétaire devient ainsi toute relative.

Nous ne sommes pas opposés, bien au contraire, au plan Chorales ; c’est même une bonne idée. Néanmoins, la question du recentrage des conservatoires sur leur vocation première, à savoir l’enseignement artistique, doit être posée ici avec fermeté. Il est nécessaire de réaffirmer la vocation de ces lieux, qui sont des références, d’où partent les formateurs et où se construit l’excellence ; c’est leur rôle.

Le risque est la dispersion des missions des conservatoires, qui n’auront pas les moyens de tout faire. Il faudra veiller à ce que leur cœur de métier soit préservé. Le budget qui leur est octroyé pour leurs missions premières reste extrêmement contraint. La part étatique du financement des conservatoires atteindra cette année 20 millions d’euros. Elle était de 35 millions d’euros il y a cinq ans !

Une fraction seulement des sommes qui seront déployées pour le pass culture aurait pu couvrir une partie de cet écart. Peut-être eût-il été utile, du moins dans un premier temps, de hiérarchiser les priorités pour conforter l’existant indispensable. En attendant, la réalité oblige les conservatoires à être principalement financés par les collectivités. Or celles-ci ne pourront pas pallier les besoins supplémentaires.

On peut donc affirmer que ces 3 millions d’euros d’augmentation n’ont rien d’un plan Conservatoires. Le sujet reste entier. Les conservatoires sont des pôles de ressources et de référence, et ils devront être confortés dans leurs territoires d’implantation.

J’en viens à la création. La priorité donnée à la vie culturelle dans les territoires et le renforcement des aides à la diffusion des œuvres est une bonne chose, car la diffusion est assez souvent ce qui fait défaut dans les territoires. Néanmoins, ce choix ainsi que l’orientation renforcée vers les labels appellent à une certaine vigilance en ce qui concerne la création et l’accompagnement des artistes. En effet, si l’on veut maintenir ce qu’on appelle « l’effervescence culturelle », ce qui fait la vitalité de la vie artistique dans tous les territoires, il faudra pallier la baisse des moyens des collectivités territoriales, dont les arbitrages en matière culturelle deviennent de plus en plus difficiles.

En outre, la disparition des emplois aidés, nombreux dans les structures culturelles, est un élément supplémentaire de fragilisation, par exemple pour le spectacle vivant.

Il faut donc de la vigilance, car la diversité et la liberté culturelles sont un combat plus qu’actuel, surtout face au risque porté par de grands groupes qui concentrent l’offre et proposent de plus en plus une culture uniformisée.

Enfin, en matière de patrimoine, le budget dans l’ensemble est positif ; il appelle néanmoins quelques remarques.

En premier lieu, la baisse des crédits alloués aux musées sanctionne en réalité la réussite des grands musées, qui sont parvenus à diversifier leurs ressources. Pour autant, rien n’est jamais inscrit dans le marbre, et les efforts consentis ne doivent pas occulter les besoins à venir.

En second lieu, nous nous réjouissons qu’une part des gains de la Française des jeux finance enfin le patrimoine, même si la fourchette reste large : 5 millions ou 20 millions d’euros, ce n’est pas tout à fait la même chose ! Il est pertinent d’avoir fléché cette participation vers la Fondation du patrimoine, dont le système est souple et réactif, et l’implantation territoriale performante. Ce sera particulièrement utile pour la protection du patrimoine non classé, patrimoine vernaculaire présent surtout dans les communes rurales : les églises, les halles, les lavoirs ou encore les granges. C’est tout ce qui appartient à notre mémoire collective. Les besoins sont grands.

Il faut malgré tout appeler l’attention de chacun sur l’enjeu que représente la mutation en cours du patrimoine. Qu’est-ce qui fait patrimoine ? On parle ainsi, à présent, du patrimoine du XXe siècle, dont les contours sont à déterminer avec précision. Je pense que le patrimoine de la reconstruction, qui concerne beaucoup de centres-villes et centres-bourgs, méritera d’être, pour une grande part, sauvegardé. Ce qui fait patrimoine relève de grands ensembles urbains, ce qui implique des coûts. On ouvre ici tout un pan de la dépense publique et de l’accompagnement de l’État, qui peut prendre des dimensions majeures. Il faudra donc déterminer, dans ce bâti gigantesque, dans ce nouveau patrimoine, ce qui mérite d’être accompagné et ce qui ne le nécessite pas. Nous devons, en tout cas, envisager dès à présent le coût potentiellement colossal de cette préservation pour trouver les ressources complémentaires nécessaires.

La commission de la culture entreprendra également de dresser un état des lieux de l’utilisation du mécénat, puisqu’il faudra aussi des ressources dans ce domaine. Il est indispensable que de nouveaux moyens soient trouvés pour les entreprises et les établissements publics nationaux. La réflexion sur les moyens est d’autant plus urgente que, pour l’heure, rien ne semble devoir remplacer la disparition de la réserve parlementaire et le rétrécissement des financements des conseils départementaux, appelés eux aussi à des arbitrages budgétaires de plus en plus complexes. Pour les petites communes, cela s’avère particulièrement vital.

On peut donc se réjouir de la préservation globale des crédits du patrimoine et, encore plus, de la création d’un fonds incitatif, doté de 15 millions d’euros, réservé aux collectivités territoriales à faibles ressources financières, même si nous estimons dès à présent que ce fonds sera probablement insuffisant.

En conclusion, j’indique que le groupe Union Centriste soutient les orientations financières globales du présent budget, mais il attend que, dès 2018 et dans le cadre du budget pour 2019, des clarifications soient apportées sur le pass culture, sur le devenir et l’accompagnement de la création, sur le soutien aux artistes, sur la proposition d’un véritable plan Conservatoires et, enfin, sur le suivi et l’adéquation des moyens mis en œuvre pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine. Nous sommes donc favorables à ces crédits, sous les réserves précitées.

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