Intervention de Jean-Raymond Hugonet

Réunion du 4 décembre 2017 à 10h00
Loi de finances pour 2018 — Culture

Photo de Jean-Raymond HugonetJean-Raymond Hugonet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, force est tout d’abord de reconnaître l’effort accompli en faveur de la culture, en particulier en faveur de la mission « Culture », dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques. En effet, s’agissant des crédits budgétaires sur lesquels s’exerce le contrôle de la représentation nationale, le budget global pour 2018 du ministère de la culture est relativement stable, voire en légère augmentation – selon les interprétations –, là où 58 % des communes françaises ont été contraintes de réduire la voilure.

Au-delà des questions budgétaires, notre groupe partage votre vision, madame la ministre, qui fait de la culture l’un des fondements de l’éducation. À cet égard, je salue votre volonté et celle de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de faire davantage entrer la culture à l’école, qui est le lieu privilégié pour permettre à tous, notamment à ceux qui en sont le plus éloignés, d’accéder à l’éducation artistique et culturelle. C’est la raison principale pour laquelle le groupe Les Républicains votera les crédits de la mission « Culture ».

Si cette relative stabilité est à souligner, l’évolution des équilibres internes au budget soulève toutefois nombre d’interrogations et d’inquiétudes.

Le travail en profondeur de la commission de la culture, dont je salue la bienveillante présidence de Catherine Morin-Desailly, a d’ailleurs suscité de nombreux débats, extrêmement intéressants et passionnés, dans lesquels, par-delà nos sensibilités diverses, nous avons dû constamment tenter de démêler ce qui pouvait relever de l’effet d’annonce ou d’une réalité crédible.

Prenons par exemple le point fort de ce budget, qui est sans aucun doute l’effort qu’il assume en direction des territoires. Il est vrai que les crédits déconcentrés en faveur des collectivités et des citoyens sont en hausse de 6 %, à 860 millions d’euros, ce dont nous nous félicitons. En vérité et dans le détail, si vous souhaitez véritablement aider les petites collectivités rurales à entretenir leur patrimoine historique avec un fonds dédié à hauteur de 15 millions d’euros seulement, j’ai bien peur que ne vous soyez loin du compte, surtout lorsque l’on connaît, parce que l’on a été élu local, le coût monstrueux de la moindre reprise en sous-œuvre d’un bâtiment, si tant est que la DRAC ait daigné vous donner préalablement une autorisation dans les délais impartis…

Si l’on ajoute à cette situation préoccupante la suppression de la réserve parlementaire, qui permettait de venir en appui des nombreuses demandes, de graves difficultés sont en vue, comme l’a souligné Philippe Nachbar, parce que la politique patrimoniale dépasse le simple cadre culturel. Elle contribue à réduire la fracture territoriale et recrée de l’attractivité économique ou touristique dans des communes, souvent rurales, qui possèdent un patrimoine. Entretenir ce patrimoine et rénover les centres historiques dégradés est donc une absolue nécessité.

Nous avons par ailleurs d’autres interrogations.

Comment ne pas être favorable à la rentrée scolaire en musique et au plan Chorales, sachant combien la musique peut apporter à notre jeunesse ? Je suis bien placé pour en parler…

Comment ne pas être tout autant favorable à l’ouverture des bibliothèques le dimanche ? Là encore, les moyens réels sont-ils à la hauteur de l’ambition collective ? Nous en doutons !

Aujourd’hui, ce sont des communes exsangues et sans cesse montrées du doigt comme dépensières qui doivent pourtant financer, sur leur budget de fonctionnement, des musiciens intervenants ou des personnels du secteur culturel. Certes, vous avez confié, au mois de septembre dernier, une mission à l’académicien Érik Orsenna et les évaluations sont en cours, mais, encore une fois, aucun budget spécifique n’est prévu.

Au titre des satisfactions, je tiens à saluer, madame la ministre, votre annonce du principe de compensation de la hausse de la CSG pour les artistes-auteurs, qui contribuent activement au dynamisme et au rayonnement culturel de notre pays. C’était une préoccupation de notre groupe, et je me félicite qu’elle ait été entendue par le Gouvernement. Il est en effet vital que les écrivains, les compositeurs, les photographes, les traducteurs, les sculpteurs, qui vivent des droits d’auteur et qui ne cotisent pas à l’assurance chômage, ne subissent pas l’impact d’une hausse de la CSG, alors même qu’ils contribuent activement au dynamisme et au rayonnement culturel de notre pays.

Malheureusement, au-delà de certains motifs de satisfaction, des sujets d’inquiétude, déjà évoqués en commission, demeurent. Il me paraît essentiel d’en rappeler ici quelques-uns.

Je pense au financement des travaux du Grand Palais ou d’autres grands chantiers patrimoniaux, sans parler de l’état de délabrement du palais Garnier qui pose question. Je pense aussi à la baisse des autorisations d’engagement des crédits consacrés aux musées ou à la fin du mécanisme de soutien à la sécurisation des salles de spectacle. Je pense également au manque de reconnaissance des enseignants des écoles d’art régionales, à la baisse des crédits alloués à la Philharmonie, qui, à travers ses trente orchestres du Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale, le DEMOS, offre aux plus jeunes un accès à la musique, ou encore au devenir des engagements du Gouvernement s’agissant du financement des conservatoires.

Je conclurai mon propos en revenant sur la création du pass culture, dont les contours demeurent flous. Le Gouvernement veut donner à chaque jeune de dix-huit ans un pass de 500 euros destiné à financer des entrées dans des musées ou des monuments historiques, des places de spectacle, des livres ou de la musique. Soit ! La mission chiffre le coût final à l40 millions d'euros, alors que son périmètre n’est pas encore calé. Son coût pourrait, en réalité, se chiffrer à plusieurs centaines de millions d’euros.

En outre, les milieux culturels s’inquiètent, à juste titre, du fait que ce pass puisse générer un effet d’aubaine pour les géants internationaux qui ne financent pas la culture en France, comme Netflix et Amazon, sans parler des risques de détournements frauduleux observés par exemple en Italie, où cette mesure a déjà été tentée.

Par ailleurs, même si tout le monde a bien compris que le jacobinisme a la vie dure, il eût été certainement utile d’observer attentivement et d’analyser préalablement ce qu’il se fait déjà dans certaines régions françaises, notamment en Pays de la Loire, région chère au président de notre groupe, Bruno Retailleau, où ce type de dispositif existe depuis bientôt vingt ans. Les expérimentations et initiatives locales sont autant de laboratoires qui font la richesse de notre pays. Les ignorer, même si c’est la mode, est une erreur, et le Sénat est dans le rôle de représentant du territoire que lui confère l’article 24 de la Constitution lorsqu’il le rappelle.

Comment ne pas sourire lorsqu’un présentateur, ô combien médiatique, réussit à obtenir en un clin d’œil le désormais fameux loto du patrimoine, alors que des sénateurs, certes moins médiatiques mais d’une compétence avérée, le recommandaient depuis des années sans avoir plus de chances au grattage qu’au tirage ?

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