Madame Laborde, je vous remercie d’avoir souligné à quel point l’éducation artistique et culturelle permettait de lutter contre les fractures sociales. Nous accentuerons également le pilotage ministériel de cette politique. Jusqu’à présent, les crédits étaient dispersés : nous avons souhaité les rassembler au sein d’un seul et même programme et les renforcer.
Pour développer la pratique artistique, nous généraliserons à court terme un outil simple et concret : les chorales. Je m’exprimerai prochainement, avec le ministre de l’éducation nationale, sur la mise en œuvre d’un plan Chorales. Les partenariats entre les écoles et les conservatoires sont féconds, je l’ai constaté récemment encore lors de mon déplacement à Rouen à vos côtés, madame la présidente de la commission de la culture. Je souhaite aussi qu’une Fête de la musique à l’école voie le jour, dont la première édition aura lieu le 21 juin 2018.
Par ailleurs, nous développerons dès l’année prochaine les jumelages entre établissements scolaires et établissements culturels locaux : nos structures labellisées, les structures soutenues par les collectivités, comme les conservatoires, et les lieux patrimoniaux. L’objectif est d’avoir 100 % d’écoles jumelées d’ici à 2022, pour favoriser les sorties et les activités culturelles.
Évidemment, nous soutiendrons aussi toutes les actions entreprises hors temps scolaire. Monsieur le président Éblé, monsieur Hugonet, je vous confirme le soutien à DEMOS. Dans le prolongement de cet effort en direction des jeunes, nous commencerons à mettre en place le pass culture, un passeport culturel pour accompagner l’entrée dans l’âge adulte et la citoyenneté. C’est précisément parce qu’il s’inscrit dans le sillon du parcours d’éducation artistique et culturelle suivi par les jeunes, de la maternelle au lycée, que ce passeport a un sens. Il n’est pas une mesure isolée.
Plusieurs d’entre vous – Mme Robert, M. Bargeton, Mme de la Provôté, M. Hugonet – ont souligné la nécessité de mener une réflexion approfondie sur le périmètre, la mise en œuvre et le financement de ce pass. Nous avons d’ores et déjà engagé une telle réflexion, et nous la poursuivrons tout au long des prochains mois.
La méthode d’élaboration du pass est évidemment déterminante pour sa réussite. À cette fin, nous avons créé une start-up d’État pour le concevoir, chargée de construire l’outil et de déterminer les contours de l’offre dans les prochains mois, en concertation avec les différentes parties prenantes : les futurs usagers d’abord, c’est-à-dire les jeunes, les partenaires potentiels de l’offre, publics et privés, et les collectivités territoriales, bien sûr, nombre d’entre elles ayant déjà lancé des expériences de ce type. Cette méthode de coconstruction est la meilleure voie pour aboutir à un outil en phase avec les usages. Le périmètre de l’offre et le financement seront définis au fur et à mesure de la concertation, en fonction des propositions qui seront mises sur la table par nos partenaires potentiels.
Nous partons sans a priori. Nous avons choisi une méthode innovante, qui fera grandir le pass pas à pas, de façon incrémentale. Cette méthode, je l’ai dit, s’appuie sur la coconstruction, seule manière selon nous de bâtir une politique qui soit en phase avec les usages et qui préserve la diversité culturelle, et non pas une politique qui soit plaquée par le haut.
Un premier grand événement de concertation aura lieu dans deux semaines : un « open lab » – en bon français, un laboratoire ouvert – sera organisé le 18 décembre à la MC93 en Seine-Saint-Denis. Il marquera le lancement de la construction du pass.
Comme je l’ai déjà indiqué, nous lancerons une première version opérationnelle du pass en septembre prochain. Par ailleurs, 5 millions d’euros sont prévus dans le budget pour 2018 afin de franchir ces différentes étapes.
Le deuxième relais de notre politique culturelle de proximité, ce sont les bibliothèques, car elles sont un service public ouvert à tous et accessibles sur tout le territoire. On en dénombre plus de 16 000, soit autant que de points de contact de La Poste. Ainsi, 90 % de nos concitoyens en ont une à moins de vingt minutes de chez eux. Elles sont le premier réseau culturel de proximité.
Comme vous le savez, j’ai confié une mission à Érik Orsenna, qui me rendra ses conclusions d’ici à la fin de l’année. L’objectif est d’aider les bibliothèques à ouvrir « plus ». L’État apportera un accompagnement financier. Un financement supplémentaire est bien sûr prévu, monsieur Hugonet, puisque l’État abondera la dotation globale de décentralisation pour les bibliothèques de 8 millions d’euros dès 2018. Je sais que vous vous êtes mobilisée, madame Robert, en faveur de cet objectif, et je vous en remercie.
Cependant, tout ne se résume pas à des moyens financiers. L’objectif est également d’aider les bibliothèques à ouvrir « mieux », pour devenir ce que j’appelle des « maisons de services publics culturels », c’est-à-dire des lieux qui proposent, comme elles sont déjà nombreuses à le faire, plus que le seul prêt de livres : des services d’aide aux devoirs, des cours de français ou de langues étrangères, des ateliers d’aide à la rédaction de CV. Il s’agit de faire des bibliothèques des lieux de lien, le lien étant si important pour la société aujourd'hui.
Nous accompagnerons ce mouvement dès l’année prochaine. Les DRAC se rendront disponibles pour réunir les différentes parties prenantes – élus, bibliothécaires, structures sociales et associations locales – et accompagner les projets d’ouverture.
J’ai fixé un objectif : je souhaite que, à la fin de l’année 2018, nous ayons aidé 200 bibliothèques, soit deux par département, à s’engager dans une transformation.
Le troisième relais de notre politique culturelle de proximité, c’est le patrimoine, car c’est l’une des ressources culturelles les plus équitablement réparties sur notre territoire. Sur près de 45 000 monuments historiques protégés en France, la moitié se situe dans des communes de moins de 2 000 habitants. Sa mise en valeur peut nous aider à insuffler de la vie là où les commerces ferment, là où les transports en commun se font rares, là où l’exclusion frappe.
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur pour avis, j’ai présenté le 17 novembre ma stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine, laquelle comprend quinze grandes mesures. Elle s’appuiera sur un budget renforcé. Les moyens dédiés à l’entretien et à la restauration du patrimoine s’établiront à 326 millions d’euros en 2018, soit une hausse de 5 % par rapport à 2017. Un tel niveau n’a jamais été atteint depuis dix ans.
Ce budget sera sécurisé sur la durée du quinquennat : les 326 millions d’euros seront reconduits chaque année. J’ai bien entendu que vous seriez vigilants s’agissant de l’effectivité de cette reconduction. Monsieur Nachbar, j’en prends une nouvelle fois l’engagement devant vous.
Nous ferons un effort particulier en faveur des petites communes et des territoires en situation de désertification, car le patrimoine, y compris le patrimoine industriel, comme cela a été dit, peut y être un levier de revitalisation essentiel.
La stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine prévoit ainsi la création dès 2018 d’un fonds spécifique de 15 millions d’euros pour la restauration du patrimoine situé dans des communes de moins de 10 000 habitants.
Une expérimentation sur la revitalisation des centres-villes anciens est actuellement conduite dans dix-sept villes de France, dans le prolongement des propositions faites par votre ancien collègue, Yves Dauge. Plusieurs ministères participent à cette expérimentation, dont le ministère de la culture, qui y consacrera 9 millions d’euros l’année prochaine.
Nous allons conseiller les collectivités concernant leurs plans de restauration patrimoniale, notamment, et le développement de lieux culturels de proximité. Nous allons par ailleurs engager un travail avec les architectes des Bâtiments de France, les ABF, pour faire évoluer leur rôle. Ce point a été soulevé par le rapporteur. Je souhaite qu’ils puissent intervenir davantage en amont des autorisations, qu’ils jouent un rôle de conseil, afin de fluidifier les délivrances. Un groupe de travail réunissant des ABF et des élus sera lancé dans les prochains jours. Il me fera des propositions au début de 2018.
La stratégie pluriannuelle prévoit également la création d’un loto du patrimoine par la Française de jeux pour le patrimoine en péril. Il pourrait rapporter environ 20 millions d’euros. Une plateforme est en ligne depuis deux semaines déjà sur le site du ministère de la culture, dans le cadre de la mission qui a été confiée à Stéphane Bern sur le patrimoine en péril. Elle permet aux citoyens de signaler des monuments près de chez eux.
Pour conclure sur le patrimoine, qui est un axe prioritaire sur lequel nous nous rassemblons, j’indique que les crédits seront bien consommés en 2017 et que je serai vigilante à cet égard en 2018. Vous avez raison, la bonne exécution des crédits est essentielle. J’ajoute que les crédits ne baissent pas. J’aurai l’occasion, madame Monier, d’y revenir au cours de l’examen des amendements.
Enfin, j’en viens au quatrième relais fondamental de notre politique, par lequel j’aurais d’ailleurs dû commencer, à savoir les artistes et les créateurs. J’aurais pu commencer par eux, parce qu’il n’y a pas de vie culturelle sans eux et parce qu’ils savent, mieux que personne, établir ce lien de proximité que nous convoitons entre les œuvres et nos concitoyens.
Leur budget sera conforté l’an prochain et porté à près de 780 millions d’euros. Il sera marqué notamment par une hausse des crédits en faveur des structures labellisées.
Les moyens nouveaux dégagés, à hauteur de 6 millions d’euros, seront réservés aux projets qui touchent les publics et les territoires éloignés : résidences dans des zones rurales ou des quartiers, projets hors les murs, festivals itinérants…
Pour soutenir la création, nous allons continuer de veiller aux conditions de vie des professionnels. Nous avons trouvé une solution pour compenser la hausse de la CSG pour les artistes-auteurs. Le Gouvernement a choisi de mettre en œuvre un dispositif par voie réglementaire permettant aux caisses gérant les prestations sociales des artistes et auteurs de compenser cette hausse. C’est une très bonne nouvelle, dont je tenais à me réjouir à nouveau devant vous.
Je dirai également un mot des artistes et des techniciens intermittents du spectacle. Nous serons extrêmement attentifs à l’accord de 2016.
M. le rapporteur spécial Bargeton a rappelé l’importance du Fonds d’urgence pour le spectacle vivant. J’ai le plaisir de vous confirmer qu’il est prolongé en 2018 et qu’il sera doté de 4 millions d’euros. Le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD, a vocation à en prendre le relais. Nous discutons avec le ministère de l’intérieur la reconduction de son intervention.
Pour vous rassurer, madame Laborde, je vous confirme que je suis attentive au FONPEPS. La pleine adaptation de ce fonds à l’enjeu majeur de la consolidation de l’emploi et la mise en œuvre de mesures pérennes lui permettront de donner sa pleine mesure. L’engagement de l’État, à hauteur de 90 millions d’euros d’autorisations d’engagement, est intact.
Toujours pour soutenir la création, nous allons l’aider à gagner en visibilité. Nous investirons dans de nouveaux lieux de diffusion. Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur spécial, la Cité du théâtre aux Ateliers Berthier est à cet égard un exemple parlant. Cette Cité réunira l’Odéon, la Comédie-Française et le Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Nous veillerons au respect du calendrier et des coûts, respect dont vous avez rappelé l’importance. Par ailleurs, comme vous, je serai attentive à la diffusion nationale des spectacles.
Pour gagner en visibilité, je souhaite également que nous lancions en 2018 l’équivalent des Journées du Patrimoine pour la création. Il s’agirait de journées portes ouvertes et de visites pour les citoyens dans des lieux dédiés à la création partout en France : établissements publics, mais aussi ateliers d’artiste, galeries, fonds d’art contemporain. Nous allons y travailler.
Je tiens à dire que j’ai été sensible aux difficultés dont l’Association pour le soutien du théâtre privé, l’ASTP, nous a saisis. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. L’État et la Ville de Paris feront un effort conjoint pour compléter son budget en 2018.
Pour soutenir la création encore, nous allons aider les filières à se structurer. J’ai présenté lundi dernier le rapport que j’avais commandé au mois de juin dernier à Roch-Olivier Maistre sur le projet de Maison commune de la musique, rapport dont je partage la teneur. Il confirme la pertinence d’un opérateur public au service de toutes les musiques et formule dix recommandations. Le ministère organisera dans les semaines qui viennent une concertation rapide avec les organisations professionnelles pour en discuter. J’annoncerai en début d’année les décisions que le Gouvernement aura prises sur cette base. Je souhaite naturellement mettre à profit ce temps de réflexion pour engager une discussion avec le Parlement. Vous le savez, Roch-Olivier Maistre propose la création d’un établissement public, à partir de ce qu’est aujourd’hui le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, le CNV. Si une telle mesure devait être adoptée, elle devrait être entérinée dans une loi.
Nombreux sont les parlementaires qui se sont mobilisés à la suite de la parution de ce rapport, au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Je salue ceux qui sont présents aujourd’hui. Nous aurons l’occasion de poursuivre cette discussion.
Pour soutenir davantage la création, nous allons l’accompagner encore plus à l’international. À cet effet, je mobiliserai l’Institut français. Je rappelle que le ministère a retrouvé une cotutelle avec le ministère des affaires étrangères ; vous en avez débattu il y a quelques jours.
Nous allons par ailleurs renforcer largement le soutien à la musique française, qui est en pleine effervescence. Nous avons ainsi décidé de doubler l’année prochaine la subvention du ministère au Bureau export. Nous y reviendrons là encore à l’occasion d’un amendement. Nous souhaitons aller plus loin au cours de ce quinquennat pour accompagner la musique française, avec toute l’ambition qu’elle mérite. En 2019, la subvention de l’État sera de 2, 7 millions d’euros, grâce au soutien du Parlement, que je tiens à remercier.
Parallèlement à cette initiative, le CNC va réformer son aide aux vidéoclips musicaux, qui sera portée à 3 millions d’euros. C’est une première en Europe, et un soutien important à la filière musicale, à l’heure où 82 % des internautes, des jeunes, déclarent aller sur YouTube pour regarder et écouter des vidéoclips musicaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, derrière le projet de budget pour 2018, plus que le projet d’un ministère, se joue celui de la France : c’est une promesse de civilisation que nous offrons à nos enfants.
Pour finir, permettez-moi de vous rappeler l’histoire d’un jeune homme, Janek, le narrateur d’Éducation européenne, de Romain Gary. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il vit des mois terré au fond d’un trou, dans la forêt, parmi les résistants polonais. Dans le cauchemar de la peur, du froid et de l’obscurité, sa survie tient à trois choses : à l’amour de celle qu’il rencontre, à l’amitié de ceux qui l’entourent et à la culture. Il trouve « sa raison d’être », au sens premier, dans les poèmes qu’il lit, dans les airs de piano qu’il part écouter au péril de sa vie et dans la grâce d’un violoniste qui, en quelques notes, fait « sortir le monde du chaos ». « Au commencement mourut la haine », écrit-il, « aux premiers accords, la faim ».
L’amour et l’amitié ne relèvent pas de nous – quoique… –, la culture, si ! Elle peut changer des vies. Voilà la détermination que montre ce budget !