Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai pu vous présenter, un peu plus tôt, les grands axes de ma politique culturelle, que je veux d’émancipation, pour ceux qui se sentent aujourd’hui sur le bord de la route, et de cohésion, à l’heure où il arrive à notre société de douter.
Les médias, les livres et les industries culturelles y jouent évidemment un rôle crucial, parce qu’ils sont, d’ores et déjà, ancrés dans le quotidien de la plupart de nos concitoyens.
À l’heure du numérique et alors que quelques grands acteurs dominent le marché, notre principale responsabilité est de veiller à la diversité des œuvres et des contenus, auxquels nos concitoyens ont effectivement accès, et à l’indépendance de ceux qui les diffusent.
Si vous me le permettez, je souhaiterais consacrer une large part de ce propos liminaire à la présentation de notre projet en faveur de l’audiovisuel, et plus particulièrement du secteur public. Ce dernier joue, en termes de diversité et d’indépendance, un rôle irremplaçable dans notre paysage médiatique et culturel et dans notre modèle démocratique. Vous avez été nombreux à le souligner.
Depuis plusieurs années, le virage numérique pose à notre politique traditionnelle de profonds défis et nous sommes déterminés à engager les transformations qui permettront d’assurer la pérennité de notre modèle.
Le Sénat a déjà travaillé sur ces questions et des propositions fortes ont été formulées, dès 2015, par deux d’entre vous, MM. les sénateurs Leleux et Gattolin. Nombre d’entre elles font écho à nos propres réflexions.
Je ne reviendrai pas sur les pistes de travail qui ont été rendues publiques le mois dernier, alors qu’elles n’avaient pas vocation à l’être. Je le répète devant vous : le document qui a été publié n’était pas une ébauche de feuille stratégique, mais un document de recensement des principales propositions mises sur la table ces dernières années. Ces pistes de travail seront enrichies par de nouvelles discussions et par les propositions que j’ai demandé aux sociétés de l’audiovisuel public de me faire.
Nous assumons notre volonté de transformation. Nous avons engagé un travail de recensement et de réflexion, mais je prendrai le temps de la concertation. J’ai reçu, un à un, la majorité des dirigeants la semaine dernière et je recevrai les autres cette semaine.
La volonté de transformation est largement partagée, parce que l’avenir du service public en dépend. Nous sommes donc dans un dialogue on ne peut plus constructif.
Les enjeux sont multiples.
Il s’agit d’abord d’adapter notre modèle de régulation aux nouvelles réalités du secteur. La législation et la réglementation ont vieilli. Elles ont été conçues dans les années quatre-vingt, à une époque où il n’y avait que six chaînes de télévision, diffusées par voie analogique.
Trente ans après, tout a changé : le nombre de chaînes, la profusion des contenus, le numérique, l’arrivée des géants de l’internet, les écrans connectés, partout et tout le temps.
Notre législation a été modifiée à de nombreuses reprises, mais elle reste marquée dans son inspiration par ce temps qui fut celui de la rareté, auquel a succédé l’ère de l’abondance, dans laquelle nous sommes dorénavant.
Aujourd’hui, les règles sont très contraignantes pour la télévision en termes de contenus et de financement, alors qu’elle n’est plus le média dominant ; en revanche, elles sont quasi inexistantes pour les plateformes. Je partage l’analyse de M. Assouline : l’ensemble du modèle des médias est bousculé par la révolution numérique.
Depuis mai dernier, nous avons commencé, au niveau tant national qu’européen, à faire évoluer notre modèle pour y intégrer ces médias numériques.
Au niveau national, nous avons lancé une consultation sur l’évolution de la réglementation en matière de publicité à la télévision. Les services du ministère sont en train d’examiner les réponses.
Nous avons aussi ouvert le chantier de la réforme de la chronologie des médias, qui est une priorité pour adapter notre modèle aux nouveaux usages et sécuriser l’avenir de notre système de financement des œuvres.
J’ai confié une mission de médiation à M. Dominique D’Hinnin pour faire aboutir les discussions au sein de la profession, qui étaient bloquées depuis trop longtemps. Je lui ai donné un maximum de six mois pour trouver un nouvel accord. À défaut, le Gouvernement prendra ses responsabilités et n’exclut pas de proposer une solution législative, en lien étroit avec le Parlement qui a déjà travaillé sur cette question.
Des avancées importantes ont eu lieu sur la contribution des acteurs numériques au financement de la création, comme l’a rappelé Mme Mélot. Je pense notamment à l’entrée en vigueur, au mois de septembre, des taxes dites YouTube et Netflix, qui élargissent la taxe vidéo affectée au CNC à toutes les plateformes.
J’ai enfin annoncé, il y a quelques semaines, que le Gouvernement s’engageait franchement en matière de lutte contre le piratage.
Comme l’a indiqué Mme Laborde, le piratage des œuvres et des contenus est un fléau que nous devons combattre par tous les moyens. J’y travaille avec mon collègue Mounir Majhoubi, secrétaire d’État chargé du numérique, ainsi qu’avec l’ensemble des ministères concernés.
Le programme de travail est clair : nous devons évaluer l’existant, renforcer nos actions de lutte contre les sites contrefaisants et développer fortement les actions de pédagogie et de sensibilisation dès le plus jeune âge. Vous vous doutez bien que je porterai une attention toute particulière à ces sujets.
Au niveau européen, je me suis engagée, comme l’a indiqué Mme Robert, en faveur de la protection du droit d’auteur et de la reconnaissance du droit voisin au profit des organismes de presse – c’est l’une des clés pour assurer un modèle économique viable à la presse en ligne.
En mai, j’ai participé aux négociations sur la directive Services de médias audiovisuels, dite SMA, qui est actuellement en discussion entre les institutions européennes. Nous espérons que ces négociations aboutiront au premier semestre 2018. La transposition de cette directive devrait avoir lieu prochainement en France : elle ouvrira la possibilité d’une refonte de la régulation audiovisuelle, qui est issue de la loi de 1986.
En parallèle de ces chantiers de modernisation légale et réglementaire, nous allons engager une réforme de fond de l’audiovisuel public. Elle repose sur une vision, l’affirmation de missions prioritaires et une méthode de transformation.
Une vision, d’abord. Les médias de service public jouent un rôle indispensable dans le paysage médiatique et dans notre société en général. Je le redis devant vous avec force. À l’heure où les sources de contenus se multiplient et où l’information circule de façon abondante, ils ont une valeur de référence pour nos concitoyens. Ils offrent un repère essentiel. Nous voulons conforter leur rôle, dans un environnement qui évolue fortement.
Cela suppose de réaffirmer les missions prioritaires de l’audiovisuel public. Pour répondre à M. Karoutchi, elles se sont enrichies au fil des années.
Au-delà du traditionnel triptyque « informer, cultiver, divertir », l’audiovisuel public est aujourd’hui un acteur de premier plan en matière de soutien à la création et à la diffusion de la culture, d’information, de services de proximité et de rayonnement international de la France.
Dans le contexte des profondes mutations que nous connaissons, l’audiovisuel public a sa carte à jouer pour affirmer sa singularité par rapport non seulement aux chaînes privées, mais aussi aux nouveaux géants du numérique.
Premièrement, il doit faire le pari de la création et proposer des programmes qui se distinguent dans un univers d’offre surabondante.
Deuxièmement, il doit être à la pointe de l’offre numérique et multicanal pour s’adapter aux nouveaux usages et se tourner davantage vers les jeunes générations.
Troisièmement, enfin, il doit développer une stratégie ambitieuse à l’international.
Ce positionnement stratégique nécessite de profondes transformations, dont certaines sont déjà engagées par les équipes dirigeantes, comme l’a rappelé M. Assouline. Le Gouvernement est déterminé à accompagner ces changements.
Je voudrais aussi dire un mot de la méthode. Ces défis devront, vous le savez, être relevés dans un contexte contraint pour les finances publiques, le Gouvernement s’étant engagé, en toute responsabilité, dans une politique de redressement des comptes publics.
L’audiovisuel public doit contribuer à l’effort collectif, ce qui suppose d’ajuster les dotations prévues dans les contrats d’objectifs et de moyens conclus par le précédent gouvernement.
Le budget de l’audiovisuel public sera de 3, 9 milliards d’euros l’année prochaine. L’effort d’économies demandé est réel, je ne le conteste pas : il s’élève à 36 millions par rapport à 2017 et 80 millions par rapport aux COM, mais je rappelle, comme cela a été dit, que cet effort fait suite à plusieurs années de hausse – l’augmentation était de 100 millions les deux dernières années.
Cet effort est soutenable : il représente moins de 1 % du budget de l’audiovisuel public et il ne remet aucunement en cause le soutien de l’État. Le budget 2018 reste supérieur à ceux de 2016 et de 2015.
Monsieur Ouzoulias, en ce qui concerne les magazines d’information de France 2, je note que la présidente de France Télévisions a d’ores et déjà annoncé que leur fréquence serait maintenue.
Dans ce contexte budgétaire, j’ai fixé quatre impératifs stratégiques à court terme : soutien à la création et à l’offre culturelle ; information de référence ; transformation numérique de l’offre pour accélérer les mutations et s’adresser davantage aux jeunes ; rayonnement international de la France.
Cette dernière priorité se traduit très concrètement, comme l’a relevé Mme Garriaud-Maylam, par les budgets d’ARTE et de France Médias Monde, qui sont les deux seuls à augmenter en 2018 – cela représente un effort important que je tiens à souligner. Je reviendrai sur la question de France Médias Monde à l’occasion de la discussion des amendements.
Pour préparer l’avenir, je souhaite que l’audiovisuel public s’engage dans une dynamique de transformation plus structurelle, sujet que plusieurs d’entre vous ont abordé – Jean-Pierre Leleux, Céline Boulay-Espéronnier, Laurent Lafon, David Assouline. Cette dynamique s’appuie sur trois leviers : la réflexion sur le périmètre des missions et l’efficacité de leur mise en œuvre ; le financement ; la gouvernance.
En ce qui concerne la réflexion sur le périmètre des missions et l’efficacité de leur mise en œuvre, elle fait actuellement l’objet d’un travail interministériel, associant mon ministère à ceux de l’économie et des comptes publics, et j’ai demandé aux sociétés de l’audiovisuel public de me faire des propositions, qu’elles m’ont rendues à la mi-novembre.
Cette réflexion se poursuivra jusqu’au début de l’année 2018. À ce stade, le travail porte notamment sur les coopérations et les synergies, ainsi que sur les meilleures complémentarités qui peuvent être trouvées entre les acteurs du secteur, à l’image de ce qui a été engagé avec France Info.
Monsieur Gattolin, l’information est au cœur des missions de service public de France Télévisions et de Radio France : il est donc logique qu’un canal d’information en continu fasse partie de leur offre.
Certains parmi vous considèrent qu’il faut regrouper tout ou partie des différentes sociétés de l’audiovisuel public. Si nous n’écartons aucune piste pour l’avenir, je vous indique qu’à ce stade, rien n’est arrêté. Ce débat peut avoir lieu et ce sera le cas le moment venu.