Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 septembre 2017 à 14h30
Projet de loi de finances pour 2018 — Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 - projet de loi de programmation des finances publiques - Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vais vous présenter les principales conclusions des deux avis que nous avons adoptés le 24 septembre dernier. Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil, François Monier, rapporteur général, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint et Paul Bérard, rapporteur.

Comme vous le savez, le Haut Conseil est une jeune institution, créée en 2013. Elle est née du traité qui a réformé en 2012 la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne et plus particulièrement de la zone euro en réponse aux crises des dettes souveraines. La France a rapidement adapté son organisation et ses règles à ce nouvel ordre budgétaire, notamment grâce à la loi organique de 2012. Les dix-neuf pays de la zone euro et la plupart des autres pays de l'Union ont désormais mis en place des comités budgétaires indépendants. Si leurs missions précises et leurs contours institutionnels diffèrent selon les États, ils visent tous à apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques et des trajectoires des finances publiques associées aux textes financiers.

J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter vingt avis et je vais vous présenter les deux suivants. Nos avis s'appuient sur l'ensemble des informations disponibles et sur celles communiquées par les administrations dans le cadre de procédures écrites, puis orales. Nous réalisons des auditions de personnalités qualifiées. C'est la deuxième fois que le Haut Conseil se prononce sur un projet de loi de programmation, la première remontant à 2014 sur le projet de loi qui portait sur la période 2014 à 2019.

Au terme de l'article 13, nous devons apprécier l'estimation du PIB potentiel proposée par le Gouvernement, nous devons ensuite nous prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées à ce projet et nous devons enfin examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif d'équilibre structurel à moyen terme retenu et des engagements européens de la France.

Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c'est-à-dire celle pouvant être réalisée sans engendrer d'effets inflationnistes ou désinflationnistes. La croissance potentielle correspond à la croissance du PIB potentiel. Entre le PIB potentiel et le PIB effectif, il existe un « écart de production » qui permet de mesurer la position de l'économie dans le cycle. Cet écart de production est négatif dans les périodes d'activité médiocre, comme celle que nous vivons depuis une dizaine d'années. Il permet alors de prendre la mesure de capacité de rebond du pays. À l'inverse, un écart positif est constaté dans les périodes de bonne conjoncture, ce qui permet d'anticiper un ralentissement de la croissance. Appliqué au domaine des finances publiques, l'écart de production permet d'identifier la composante conjoncturelle du déficit et ce solde conjoncturel traduit l'impact du cycle économique et la sensibilité des différentes composantes du budget à la conjoncture. Le solde structurel se calcule par différence et correspond à la part du solde budgétaire indépendant de la position de l'économie dans le cycle : il résulte donc directement des orientations de la politique budgétaire. Ces deux notions d'écart de production et de croissance potentielle ne sont pas des données statistiques ou comptables. Elles procèdent d'estimations qui peuvent toujours être critiquées. L'ampleur exceptionnelle de la crise financière et les difficultés à apprécier ses conséquences sur l'économie invitent à considérer les écarts de production avec prudence. Ces derniers font l'objet d'importantes révisions ex post. Les incertitudes sur les écarts de production se transmettent par construction à la mesure du solde structurel qui dépend également de la sensibilité des recettes à la croissance.

Bien qu'incertaine et fragile dans l'estimation de son niveau, la mesure du solde structurel n'en est pas moins indispensable pour calculer la part, dans l'amélioration ou la détérioration des soldes budgétaires, de ce qui relève de la politique budgétaire elle-même et de ce qui relève de la conjoncture.

J'en arrive aux estimations du Gouvernement. L'estimation de l'écart de production de 2016 est sensiblement réduite par rapport à celle retenue dans le programme de stabilité d'avril 2017 : moins 1,5 % du PIB au lieu de moins 3,1 %. Selon cette estimation, nous sommes au-dessous du PIB potentiel mais nous en sommes moins éloignés que lors des évaluations antérieures. Cette forte révision à la baisse va dans le sens des observations formulées à plusieurs reprises par le Haut Conseil selon lesquelles cet écart était largement surestimé dans les textes financiers de ces dernières années.

Quand l'écart de production négatif est surestimé, le déficit structurel, lui, est minoré. La révision opérée par le Gouvernement conduit à rehausser sensiblement l'estimation du déficit structurel à 2,5 points de PIB en 2016 contre 1,5 point dans les estimations précédentes. La nouvelle estimation de l'écart de production se situe dans la partie basse des évaluations des organisations internationales, mais le Haut Conseil la juge plus réaliste : en augmentant l'estimation des déficits structurels, elle révèle aussi la nécessité d'un effort accru pour redresser les finances publiques, à partir du moment où la composante structurelle est plus importante.

Les hypothèses de croissance potentielle du Gouvernement sont révisées à la baisse pour les années 2017 à 2020 par rapport au programme de stabilité d'avril 2017 : 1,25 % pour chacune des quatre années au lieu de 1,3 % à 1,5 % dans le dernier programme de stabilité. Ce scénario se situe dans la moyenne des estimations disponibles. Nous considérons qu'il constitue une base raisonnable pour asseoir la programmation des finances publiques à moyen terme.

J'en viens à la deuxième mission assignée par la loi organique : l'appréciation des prévisions macroéconomiques associées au projet de loi pour la période 2018 - 2022.

Le Gouvernement retient des taux de croissance du PIB peu différenciés sur toute la période, soit 1,7. Par rapport aux projections de moyen terme présentées en avril dernier dans le programme de stabilité, les prévisions de croissance sont légèrement relevées pour 2017 et pour 2018 (1,7 % au lieu de 1,5 %) et pour 2019 (1,7 % au lieu de 1,6 %). La prévision est en revanche inchangée pour 2020 (1,7 %). Le scénario de croissance du Gouvernement conduit à une fermeture de l'écart de production négatif à l'horizon 2020 puis à un écart de production positif et croissant en fin de période. Compte tenu des tendances à l'oeuvre, la croissance devrait en effet être supérieure à son rythme potentiel en 2017 et 2018. Pour la première fois depuis 2011, l'écart de production est donc en voie de réduction. La fermeture totale au cours de la période de projection est vraisemblable, en l'absence de nouvelle crise majeure. Le scénario de croissance du Gouvernement n'appelle donc pas d'observation à l'horizon 2020. En revanche, le passage à un écart de production positif en fin de période constitue une hypothèse plutôt optimiste, même si on ne peut exclure qu'un tel scenario se réalise. L'hypothèse de croissance retenue dans le scénario pour les années 2021 et 2022, si elle est neutre sur la trajectoire du solde structurel présenté, conduit toutefois à réduire le déficit effectif affiché et à présenter une trajectoire de dette publique plus favorable.

J'en viens à la troisième mission, celle qui nous impose de nous prononcer sur la cohérence de la programmation, notamment au regard des engagements européens de la France. Dans notre avis, nous présentons la nature de ces engagements, qui résultent du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire de 2012, mais également du pacte de stabilité et de croissance ainsi que des règlements européens.

La France est, après l'Espagne, le pays de la zone euro dont le déficit public est le plus élevé. Ces deux pays étaient les seuls de la zone euro à connaître encore en 2016 un déficit supérieur à 3 % du PIB et ce sont, depuis hier, les deux seuls pays à demeurer dans la procédure de déficit excessif, la Grèce en étant sortie. À cet égard, la trajectoire présentée par le Gouvernement respecte la recommandation faite à la France depuis 2015 par le Conseil de l'Union européenne de ramener son déficit effectif au-dessous de 3 points du PIB en 2017. Sous réserve de l'appréciation de la Commission européenne et du Conseil, la France pourrait alors sortir de la procédure de déficit excessif en 2018 et entrer dans le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance. Dans ce cadre, le déficit structurel doit être réduit, jusqu'à atteindre l'objectif de moyen terme de solde structurel qui est fixé à moins 0,4 point de PIB par le projet de loi de programmation. Sur ce point, le Haut Conseil souligne que la trajectoire s'écarte des engagements européens de la France en retenant un ajustement structurel annuel inférieur à celui prévu par les règles européennes. Le règlement européen prévoit en effet un ajustement structurel supérieur à 0,5 point du PIB par an pour les États membres qui n'ont pas atteint leur objectif à moyen terme et dont la dette est supérieure à 60 % du PIB. Or, l'ajustement structurel n'est que de 0,3 point de PIB en moyenne entre 2018 et 2022. Dans la trajectoire présentée par le Gouvernement, il est même limité à 0,1 point en 2018. Une conséquence de cet effort limité est de repousser l'atteinte de l'objectif de moyen terme de solde structurel au-delà de l'horizon de la programmation.

Lorsqu'ils examinent la programmation d'un État membre, la Commission et le Conseil disposent de marges de flexibilité. Ils peuvent tenir compte de la mise en oeuvre de réformes structurelles majeures ou de circonstances inhabituelles pour l'autoriser à s'écarter temporairement de sa trajectoire d'ajustement, mais le Haut Conseil, pour sa part, ne saurait préjuger de l'issue de cet examen.

J'en arrive à notre deuxième avis. Comme chaque année en septembre, le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Tout d'abord, les prévisions macroéconomiques. Dans un contexte européen favorable, l'activité en France s'est sensiblement redressée au cours des trois derniers trimestres à la faveur d'une demande intérieure qui est tirée par l'investissement des entreprises et les dépenses des ménages et d'une contribution moins négative des échanges extérieurs à la croissance. De plus, les résultats des enquêtes de conjoncture dont l'amélioration se poursuit, indiquent des perspectives d'activité favorables à court terme. Pour 2017, l'acquis de croissance au deuxième trimestre est de 1,4 % si bien qu'une croissance de 0,4 % aux troisième et quatrième trimestres suffirait pour atteindre la prévision du Gouvernement à 1,7 %. En conséquence, le Haut Conseil considère que cette prévision est prudente.

Pour 2018, le scénario du Gouvernement repose sur le maintien de la dynamique actuelle de l'environnement international et sur une progression toujours soutenue de la demande intérieure. La prévision à 1,7 % est proche de celle des organisations internationales. Le Haut Conseil considère que cette prévision est raisonnable. En outre, il estime que les prévisions d'emploi et de masse salariale du Gouvernement pour 2017 et 2018 sont prudentes, tandis que les prévisions d'inflation pour ces deux années sont raisonnables. Au total, il considère que le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement est prudent pour l'année 2017 et qu'il est raisonnable pour 2018.

J'en arrive à la cohérence du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Dans l'attente du vote de la loi de programmation portant sur 2018 - 2022, la loi de programmation pour la période 2014 - 2019 reste en vigueur. Toutefois, l'appréciation de la cohérence avec cette dernière a perdu largement de sa signification. Le Haut Conseil avait souligné en juin dans son avis sur le projet de loi de règlement pour 2016, que la loi de programmation de 2014 ne fournissait plus un cadre pertinent pour une juste appréciation de la trajectoire des finances publiques, en raison notamment du caractère peu vraisemblable des hypothèses de PIB potentiel.

Au-delà, la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances avec les orientations pluriannuelles de solde structurel présenté dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 est assurée, par construction, puisque les deux projets sont présentés simultanément.

Il convient à nouveau d'insister sur l'ajustement et l'effort structurel en 2017 et en 2018. L'ajustement structurel, c'est-à-dire la variation du solde structurel, serait faible en 2017 et 2018, respectivement de 0,2 point et de 0,1 point. Il en est de même pour l'effort structurel, (0,1 puis 0,2 point de PIB) qui représente la partie de l'ajustement structurel directement liée à un effort en dépenses ou à de nouveaux prélèvements obligatoires. En 2018, cet effort structurel résulterait d'un effort sensible sur les dépenses de 0,4 point de PIB quasiment compensé par des mesures nouvelles de baisse de prélèvements obligatoires (0,3 point de PIB). Comme je vous l'indiquais dans la présentation de l'avis relatif au projet de loi de programmation, le Haut Conseil constate que les ajustements structurels prévus pour 2017 ou 2018 s'écartent des engagements européens de la France. Les ajustements structurels devront être débattus au niveau de la Commission et du Conseil dans le cadre des marges de flexibilité qu'ils se donnent.

Enfin, le Haut Conseil s'est attaché à identifier les risques qui affectent les prévisions de recettes et de dépenses pour 2017 et 2018 sur la base des informations dont il dispose. Une remarque préalable par rapport à l'audit de finances publiques de la Cour des comptes, publié en juin dernier : un certain nombre d'informations nouvelles sont apparues. L'appréciation du Haut Conseil prend en compte naturellement l'ensemble de ces informations nouvelles qui concernent en particulier l'amélioration sensible de la conjoncture économique, ainsi que les recettes fiscales effectivement constatées. En outre, l'actuel Gouvernement a pris au cours de l'été, des mesures de correction en dépenses à la suite de cette publication.

Pour ce qui est des recettes fiscales, le Gouvernement a révisé à la hausse l'estimation de leur montant en 2017 par rapport au programme de stabilité d'avril, ce qui conduit à une élasticité de ces recettes de 1,3 pour 2017 contre 1 avant l'été. Les prélèvements sociaux, notamment, ont été revus à la hausse en lien avec un relèvement d'un demi-point de la prévision de la masse salariale. Le Haut Conseil considère que, au vu des rentrées fiscales de ces derniers mois, les recettes tirées des prélèvements obligatoires en 2017 pourraient être supérieures à ce qui est attendu dans le projet de loi de finances. À titre d'exemple, les recettes de TVA, avec une croissance sur les sept premiers mois de l'année de plus de 5 % à champ constant, apparaissent plus dynamiques que prévu.

Pour 2018, les mesures nouvelles représentent environ 7 milliards d'euros de baisse nette des prélèvements obligatoires. Ces mesures correspondent à la somme des décisions prises par le précédent Gouvernement, qui ont un effet en 2018, et à celles prises par l'actuel Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2018, à savoir l'accroissement du taux du CICE, la baisse de l'impôt sur les sociétés, l'exonération d'une fraction de la taxe d'habitation, la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière. Elles sont partiellement compensées par des hausses de fiscalité, parmi lesquelles l'accroissement de la fiscalité énergétique, celle portant sur le tabac et la bascule des cotisations salariales sur la CSG.

Sous réserve des incertitudes qui portent sur le chiffrage des mesures nouvelles, le Haut Conseil estime que l'hypothèse d'élasticité des recettes au PIB retenue pour 2018 supposée égale à 1 en 2018 après 1,2 en 2016 et 1,3 en 2017, et donc la prévision de recettes tirées des prélèvements obligatoires, est prudente. Il relève que les objectifs de maîtrise de la dépense pour 2018 sont plus exigeants que ceux des années précédentes. Il note qu'un effort visant à une budgétisation plus réaliste a été effectué sur le budget de l'État, notamment en ce qui concerne l'allocation aux adultes handicapés, la prime d'activité, l'hébergement d'urgence, l'aide médicale d'État. Il reste néanmoins quelques sous-budgétisations pour certaines dépenses comme les Opex, ou bien des apurements communautaires, même si le Gouvernement a prévu des sommes supérieures à celles inscrites pour 2017.

Toutefois, des risques significatifs existent sur les économies prévues dans le champ des administrations publiques. C'est le cas pour les collectivités territoriales : leurs dépenses et, plus largement, celles des administrations publiques locales, décélèreraient en passant de 1,8 % en valeur en 2017 à 1,2 % en 2018 sous l'effet de la mise en place de contrats passés entre les représentants de l'État et les plus grandes collectivités territoriales. Cet objectif repose sur le pari que la démarche contractuelle conduira à un infléchissement substantiel des dépenses. Ces risques existent également dans le champ social : le respect de l'Ondam à 2,3 % dans le scénario du Gouvernement nécessitera un quantum d'économies supérieur à ce qui a été réalisé au cours des dernières années

Pour l'État, le Gouvernement fait reposer sa prévision sur des économies substantielles en particulier sur les aides au logement. Ces prévisions devront bien sûr se concrétiser en 2018.

Au total, la prévision du Gouvernement d'un déficit à 2,9 % du PIB en 2017 peut être considérée comme plausible, tandis que celle d'un déficit à 2,6 % en 2018 nous apparaît atteignable. Dans la mesure où les nouvelles estimations du Gouvernement le font apparaître, le niveau du déficit structurel en France est très élevé pour 2018 et sa réduction prévue est faible. Pour respecter les objectifs de maîtrise de la dépense, il sera nécessaire d'être particulièrement strict. Même si les recettes venaient à être meilleures que prévu, le solde effectif s'améliorerait mais pas le solde structurel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion