Intervention de Xavier Bertrand

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 6 décembre 2017 à 9h00
Table ronde sur le canal seine-nord europe

Xavier Bertrand, président du conseil de surveillance de la société du Canal Seine-Nord Europe :

Voulez-vous que je vous explique pourquoi ce projet est si important ou que je vous dise où nous en sommes ?

Plusieurs sénateurs. - Les deux !

Pourquoi la voie d'eau sur cette partie du territoire ne fonctionne-t-elle pas ?

Quand vous allez de Paris à Lille ou à Dunkerque par la route, vous prenez l'autoroute à partir du périphérique jusqu'au péage de Senlis. Ensuite, vous continuez jusqu'au péage de Fresnes-lès-Montauban et vous arrivez à Lille. Sur la voie d'eau, c'est comme si vous aviez l'autoroute jusqu'au Senlis ; ensuite, vous prenez une départementale, puis vous rejoignez l'autoroute au péage de Fresnes-lès-Montauban jusqu'à Lille. Voilà pourquoi la voie d'eau, aujourd'hui, sur cette partie du territoire, ne permet pas de transporter des containers sur des péniches de 130 mètres.

Les 107 kilomètres représentent l'autoroute entre le bassin de la Seine et le canal du Nord ; c'est l'autoroute entre les deux péages.

Je vais parler chiffres, mais des chiffres avancés par les industriels, et non pas par des politiques. Les travaux du canal, c'est 7 000, 8 000 ou 10 000 emplois, mais ce n'est pas le plus important. Le plus important, c'est après l'ouverture du canal, c'est-à-dire toutes les connexions avec les ports intérieurs, sans même parler de Dunkerque. L'autre aspect, ce sont les plateformes logistiques, qui concentrent les gisements d'emplois. Elles seront au nombre de quatre : Noyon, Nesle, Peronne, Marquion.

Tout le monde attend de savoir quel sera le montage juridique et financier de ces plateformes pour attirer les emplois. Je le dis très clairement : il n'y aura pas, au moins dans le demi-siècle qui vient, de projet aussi structurant pour la région des Hauts-de-France.

Soit ce projet voit le jour rapidement, dans les temps, et nous permet de retrouver une dynamique économique, soit on sera toujours à essayer de faire de notre mieux pour que cette région ne s'enfonce pas. Ce n'est pas la même chose avec et sans le canal.

D'autres questions sont posées : l'État aménageur existe-t-il encore ? Pour Paris, y a-t-il une région entre la capitale, la frontière belge et l'Angleterre ? Ces questions se posent véritablement quand on voit les choix d'aménagement qui sont faits depuis maintenant quelque temps.

Je ne cherche querelle à personne, mais je tiens juste à ce que les engagements soient respectés. Or la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui est un vrai scandale : trois Présidents de la République, deux en exercice et un candidat, ont indiqué que ce projet se ferait et ne serait jamais remis en question. Pourtant, on s'est aperçu, à l'occasion de la pause décrétée, que ce projet était en danger de mort, parce que le temps qui passe est l'ennemi de ce dossier, parce qu'il y a des acquisitions à faire, des marchés à passer, des études à réaliser ; il y a surtout une Europe qui commence à en avoir assez des atermoiements français.

Ce projet, tout le monde s'accorde à dire qu'il est essentiel, et pourtant, il a failli disparaître. Il a fallu, je l'assume, même si cela n'est pas très honorable, engager un bras de fer avec l'État. Je l'ai fait avec le soutien des présidents de conseils départementaux, au-delà de toute considération politique. Nous avons donc profité de la venue du Président de la République à Amiens pour convoquer nous-mêmes un conseil de surveillance, ce qui n'est pas notre rôle, afin de forcer la main à l'État. Seulement, aujourd'hui, il n'y a pas de discussion à la loyale.

Nous avons fait connaître nos lignes rouges : l'engagement financier des collectivités locales, aussi important que celui de l'État, 1 milliard d'euros, et la question de l'emprunt de 776 millions d'euros. Nous avons indiqué que les collectivités locales étaient prêtes à préfinancer le canal, l'État ayant des difficultés budgétaires les deux ou trois premières années. Nous acceptons d'être le banquier de l'État, et de garantir l'emprunt afin qu'il n'affecte pas les divers soldes « maastrichtiens ». L'État était d'accord, mais aujourd'hui il ne joue pas franc-jeu avec nous. Il se défausse, en disant qu'il ne restera pas, contrairement à ce qui avait été dit, comme administrateur dans la société de projet. Où est l'État aménageur ?

Je ne demande pas de l'argent en plus ; je demande juste que les choses soient claires. L'Europe verse sa participation en deux tranches, avec une tranche conditionnelle. Elle nous demande de nous débrouiller pour assumer le milliard d'euros supplémentaires. Nous ne participons pas aux discussions d'État à Europe : comment dès lors pouvons-nous défendre notre projet ? Non, je ne fais pas confiance à l'État français pour nous accorder ces garanties.

Nous sommes prêts à prendre le relais, encore faut-il qu'il y ait un accord sur les recettes. Le milliard d'euros de l'État n'étant plus financé avec des crédits budgétaires, il faut imaginer un nouvel impôt, une nouvelle taxe, avec une assiette régionale. Je voudrais que nous soyons associés à sa définition. On nous répond : vous serez associés, mais il y aura une seule solution...

L'occasion m'est donnée de mettre cela sur la place publique. Un arbitrage doit être rendu au niveau politique. Mais qu'on ne nous roule pas dans la farine ! Nous ne prendrons pas ce projet à n'importe quelles conditions. L'État endosse un grand risque, car, en ne jouant pas franc-jeu, en revenant une fois de plus sur les engagements pris, il laisse planer un doute sur sa volonté de conserver un rôle aménageur. Est-ce qu'il y a un véritable aménagement du territoire dans ce pays ? Y a-t-il encore du respect pour les collectivités locales ? L'avenir réside-t-il uniquement dans les nouvelles technologies ou les infrastructures en dur comptent-elles encore ? On a pris plus que notre part, et je demande que nous soyons respectés. (Applaudissements du groupe Les Républicains.)

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