Intervention de Claude Kern

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 décembre 2017 à 17h35
Énergie — Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : avis motivé de mm. claude kern et michel raison

Photo de Claude KernClaude Kern :

Je présenterai d'abord le contexte politique, tandis que Michel Raison exposera l'analyse juridique.

Le dispositif auquel nous vous proposons d'opposer un avis motivé tend à rendre le droit de l'Union applicable aux gazoducs reliant un État membre à un pays tiers. Cette extension géographique du droit interne s'explique par un contexte politique à expliciter en tout premier lieu.

En effet, bien que la Commission européenne ait écrit benoîtement que « le choix d'un acte modificatif reflète le caractère limité de la présente proposition », la motivation politique expliquant les modifications souhaitées par la Commission revêt une grande importance. Il s'agit du gazoduc Nord Stream-2, bien que cet ouvrage ne soit pas mentionné dans le corps de la proposition.

Cette observation me conduit à une petite parenthèse historique. Le gazoduc South Stream devait relier le territoire russe à la Bulgarie - et à la Roumanie dans sa toute première mouture - en contournant l'Ukraine par le fond de la mer Noire. En définitive, le harcèlement des autorités bulgares par la Commission européenne finit par avoir raison de South Stream, officiellement abandonné le 1er décembre 2014. Un itinéraire alternatif à South Stream a été très rapidement trouvé par Gazprom avec Turkish Stream, qui devrait approvisionner le sud-est de l'Union européenne à compter du 1er janvier 2020.

Parallèlement, le consortium Nord Stream, présidé par l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, a élaboré un nouvel accord, destiné à doubler le gazoduc existant. Sans surprise, cette nouvelle infrastructure a été appelée Nord Stream-2, avec une nouvelle entité juridique à la clé, uniquement constituée par des acteurs économiques de droit privé. Son tour de table associe Gazprom, BASF, E.ON, Shell, l'autrichien OMV et Engie.

Signé le 18 juin 2015 en marge du forum économique international de Saint-Pétersbourg, le projet Nord Stream-2 tend à doubler le gazoduc Nord Stream, portant ainsi la capacité de cette liaison à 110 milliards de mètres cubes par an au lieu des 55 milliards antérieurement. Ce projet est donc légèrement plus modeste que ne l'était South Stream : avec 63 milliards de mètres cubes par an, celui-ci compensait très précisément la fin de tout transit par les gazoducs ukrainiens. Cette nouvelle géographie gazière de l'Union a suscité une levée de boucliers provenant pour l'essentiel d'Europe centrale, mais aussi d'Italie.

Dans ces conditions, la Commission européenne a tenté de reprendre la main sur le dossier. Il n'y avait là rien de simple, puisque le caractère strictement privé du consortium limite les moyens de la Commission pour influencer l'avenir de ce gazoduc, presque entièrement situé en dehors du territoire de l'Union. Telle était d'ailleurs la raison d'être de la nouvelle entité.

Pour cette raison, la Commission européenne a tenté de contourner le consortium en demandant au Conseil, le 12 juin 2017, un mandat de négociation avec la Russie. Cette demande est intervenue trois mois après une « fuite » ayant rendu public l'avis formulé par le service juridique de la Commission européenne. La conclusion du document était formelle : le droit de l'Union ne s'applique pas à un gazoduc assurant la liaison entre le réseau d'un État membre et celui d'un État tiers. À l'appui de la demande présentée au Conseil, la Commission a néanmoins fait valoir la nécessité d'assurer le respect du droit de l'Union - en fait, la directive de 2009 - pour éviter les effets dommageables pour le marché intérieur du gaz que pourrait provoquer une infrastructure relevant à la fois du droit allemand et du droit russe. Elle a souligné la possibilité d'un conflit entre les règles juridiques applicables par des États distincts, dont l'un n'est pas membre de l'Union. Assez curieusement sur le plan logique, la Commission européenne a également invoqué le « vide juridique » entourant le projet Nord Stream-2. Enfin, elle a mentionné un risque de dépendance accrue des États membres envers un même fournisseur, en l'occurrence Gazprom. Cette situation serait contraire à la politique de diversification, conduite pour conforter la sécurité d'approvisionnement en gaz.

La volonté d'extérioriser le droit de l'Union jusqu'au-delà des frontières n'a pas convaincu le Conseil. Réuni le 19 octobre dernier, celui-ci a donc refusé à la Commission européenne le mandat qu'elle avait demandé. Il n'y avait là aucune surprise, puisqu'une autre « fuite » intervenue le 2 octobre avait révélé un document qui aurait dû rester confidentiel, où le service juridique du Conseil avait étrillé le projet de la Commission.

Le jour même de cette décision, M. Juncker a annoncé le recours à « une méthode communautaire plus orthodoxe ». En clair, il a annoncé la proposition de directive à laquelle nous estimons qu'il convient d'opposer un avis motivé, pour les raisons que Michel Raison va maintenant vous exposer.

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