Intervention de Michel Raison

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 décembre 2017 à 17h35
Énergie — Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : avis motivé de mm. claude kern et michel raison

Photo de Michel RaisonMichel Raison :

Le droit de l'Union s'applique-t-il par-delà ses frontières ? Incontestablement, non, sauf accord intergouvernemental ou accord entre un État tiers et l'Union européenne en tant que telle, représentée par sa Commission. Celle-ci peut-elle conduire une telle négociation ? Pas sans l'aval du Conseil unanime, que celui-ci a refusé. Comment contourner l'obstacle du Conseil ? Telles sont les questions qui se posaient à la Commission européenne le 19 octobre dernier, juste après la réunion du Conseil. La réponse a pris la forme de la proposition de directive à laquelle nous considérons nécessaire d'opposer un avis motivé. Son texte est court, avec un dispositif comportant moins de deux pages.

Concrètement, la Commission propose tout d'abord que le mot « interconnexion », qui figure à l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, cesse d'être réservé aux liaisons transfrontalières reliant deux réseaux nationaux. Désormais, ce concept inclurait les portions de gazoducs reliant le réseau national d'un État membre au réseau national d'un État tiers. Cette modification sémantique utilise une bizarrerie du droit actuel, puisque le mot introduit dans le traité de Lisbonne n'a été défini que dans la directive 2009/73 du 13 juillet 2009. Il suffit donc de modifier cette définition pour étendre le domaine d'application du traité sur fonctionnement de l'Union européenne.

Utilisant cette astuce, pour ne pas dire ce tour de passe-passe, la Commission européenne propose de modifier cinq articles de la directive 2009/73, par une sorte de coordination juridique. Chaque modification tend à obliger telle ou telle autorité d'un État membre à s'assurer que « les dispositions de la présente directive sont appliquées de manière cohérente jusqu'à la frontière du territoire de l'Union » par l'infrastructure visée. Les modifications proposées à trois autres articles relèvent de ce qui est couramment dénommé « la clause grand-père », consistant ici à exempter les infrastructures préexistantes des nouvelles obligations.

La Commission européenne invoque la nécessité d'unifier le cadre juridique des gazoducs « à destination ou en provenance de pays tiers ». Or, les chantiers aux deux extrémités du gazoduc sont placés chacun sous la souveraineté exclusive de l'État dont le territoire accueille le chantier. S'agissant d'une infrastructure sous-marine, comme Nord Stream-2, l'essentiel de l'ouvrage d'art voit son régime juridique totalement déterminé par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite « de Montego bay », signée le 10 décembre 1982. Le cadre juridique est donc parfaitement clair, contrairement à ce que prétend la Commission européenne.

D'autre part, plusieurs articles de la Convention sur le droit de la mer mentionnent « les pipelines », terme qui regroupe les oléoducs et des gazoducs. Un Tribunal international du droit de la mer a été créé pour trancher des contentieux portant sur la mise en oeuvre de cette convention, dont aucune disposition ne permet à un État de vérifier les conditions dans lesquelles un gazoduc est commercialement utilisé par son propriétaire. Par suite, lorsque la directive de 2009 interdit aux propriétaires de gazoducs toute vente du gaz, cette disposition restrictive ne peut pas s'appliquer à la partie immergée du gazoduc. En cas d'infrastructure exclusivement terrestre, comme celle envisagée à la frontière entre la Turquie et la Grèce, prétendre appliquer systématiquement le droit de l'Union à un gazoduc au moins partiellement situé sur le territoire d'un pays tiers se heurterait évidemment à la souveraineté de l'État concerné.

Une liaison directe évite les éventuelles crises induites par des complications impliquant un pays traversé par un gazoduc. Vouloir conforter la sécurité d'approvisionnement, un objectif inscrit à l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, devrait donc inciter la Commission européenne à soutenir le projet Nord Stream-2. L'argument contraire, tiré de la prééminence prétendument renforcée de Gazprom sur le marché gazier intérieur de l'Union, est dépourvu de substance, puisque la construction de ce gazoduc n'empêcherait aucune réalisation et utilisation d'autres infrastructures gazières à destination de l'Union. La Grèce et l'Italie, par exemple, pourraient être desservies grâce aux gisements découverts au large de l'Égypte, sans que Nord Stream-2 ne constitue un obstacle.

Enfin, l'Union européenne doit respecter les choix des États membres s'agissant de leur approvisionnement en énergie. Empêcher la desserte directe d'un État membre par un gazoduc méconnaîtrait manifestement cette limitation.

Quelle que soit la facette juridique envisagée, le principe de subsidiarité trouve donc à s'appliquer. D'où l'avis motivé que nous vous avons soumis.

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