Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 décembre 2017 à 17h35
Énergie — Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : avis motivé de mm. claude kern et michel raison

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Il est vrai que les États-Unis profitent du contentieux entre l'Union européenne et la Russie au sujet de l'Ukraine pour donner un avis sur le projet Nord Stream 2.

Je trouve cela choquant, car j'y vois une intrusion dans la politique intérieure de l'Union européenne. Le fait de fabriquer à partir du gaz de schiste des produits énergétiques qu'ils voudraient vendre à un moment donné à l'Union n'est sans doute pas étrangère à la position des États-Unis.

L'exportation de pétrole brut a longtemps été interdite aux États-Unis, mais cet embargo a été récemment levé. Le pays a une certaine autonomie énergétique. Nous constatons une certaine vision de la géopolitique, une extrême réactivité, mais pas toujours une grande objectivité dès que les intérêts nationaux sont en jeu.

Le gazoduc Nord Stream-2 comporte une dimension géopolitique majeure. Toutefois, comme l'ont dit les rapporteurs, il faut raisonner sur le long terme. Or, à partir de la réserve gazière du côté de Chypre, demain ou après-demain, il y a aura une alimentation de l'Europe par le sud. Certes, la Turquie risque de se manifester. Mais cela rééquilibrera la prééminence de Gazprom dans l'approvisionnement énergétique européen. Il ne faut pas non plus oublier les quelque 50 à 60 milliards de mètres cubes annuels en provenance de l'Algérie et de la Tunisie.

En tout état de cause, nous devons trouver un subtil équilibre entre le fait de pouvoir assurer des accords commerciaux avec un grand voisin turbulent, mais qu'il ne vaut mieux pas laisser totalement isolé, et la protection contre une dépendance énergétique.

Lors de la COSAC à Tallin, il y a quelques jours, j'ai constaté que certains pays d'Europe du Nord sont inquiets. L'Estonie regarde la Russie avec une grande objectivité, en se préparant au cas où. D'autres pays baltes, comme la Lituanie, la regardent avec appréhension, voire agressivité. De manière générale, les uns et les autres considèrent que nous sommes un peu trop tolérants à l'égard de la Russie.

À l'issue du débat, la commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution portant avis motivé.

Le 8 novembre 2017, la Commission européenne a publié la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2009/73/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, référencée COM(2017) 660 final.

Cette proposition tend à modifier huit articles de la directive 2009/73/CE du 13 juillet 2009. La principale modification (article 2) porte sur la définition du concept d'interconnexion, pour l'étendre aux lignes de transport « entre des États membres et des pays tiers jusqu'à la limite du territoire de l'Union », alors qu'il désigne actuellement une ligne de transport qui franchit la frontière entre deux États membres, à seule fin de relier les réseaux de transport. La nouvelle définition est cohérente avec la modification introduite aux articles 34, 36, 41, 42 et 49 de la directive 2009/73/CE, via des alinéas quasiment identiques, tendant à imposer l'application de la directive modifiée à ces interconnexions « de manière cohérente jusqu'à la frontière du territoire de l'Union ». Les modifications apportées aux articles 9 et 14 autorisent les États membres à tolérer la possession par l'entreprise verticalement intégrée de l'interconnexion avec le réseau d'un pays tiers lorsqu'elle appartient déjà à une entreprise verticalement intégrée. Dans le même esprit, la nouvelle rédaction de l'article 49 permet de déroger à l'application du nouveau régime juridique en faveur des gazoducs achevés avant la date d'entrée en vigueur de la directive modificatrice.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- l'édiction de règles communes aux États membres régissant le marché du gaz n'est pas en soi contraire à l'idée d'une Union de l'énergie, dont il approuve le principe ;

- toutefois, l'énergie étant une compétence partagée, il convient de limiter l'intervention de l'Union aux objectifs qui ne peuvent pas être atteints de façon suffisante par les États membres, mais qui peuvent l'être mieux au niveau de l'Union ;

- les modifications proposées interviennent dans un domaine régi jusqu'à présent par des accords internationaux, qui peuvent être intergouvernementaux ou commerciaux, ce dernier cas étant celui du gazoduc Nord Stream 2 ;

- elles ne sont pas de nature à renforcer la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union ;

- elles aboutissent à interférer dans les compétences des États membres au titre de la négociation des accords internationaux et d'accords commerciaux portant sur la réalisation d'infrastructures ;

- elles conduisent à étendre le domaine d'application du droit de l'Union en dehors de ses frontières, sans que cette extension ne trouve une base juridique dans les traités européens ;

- si l'application de ces dispositions empêchait la réalisation d'un gazoduc, il en résulterait une atteinte à la souveraineté de l'État membre concerné pour déterminer les conditions générales de son approvisionnement énergétique ;

- au surplus, les gazoducs sous-marins sont actuellement régis par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, qui n'autorise pas les parties à contrôler l'utilisation commerciale de ces infrastructures ;

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