Intervention de Alexandre Saubot

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 décembre 2017 à 9h00
Projet de loi ratifiant diverses ordonnances pour le renforcement du dialogue social — Table ronde des organisations patronales

Alexandre Saubot, vice-président du Medef en charge du pôle social :

Nous avions eu l'occasion de le dire en juillet dernier, les organisations patronales, et le MEDEF que je représente, portent une appréciation positive sur les orientations prises dans le cadre de la loi d'habilitation ainsi que sur le texte des ordonnances telles qu'elles ont été publiées. Toutefois, nous avons également quelques regrets.

La philosophie de ces ordonnances s'articule autour de deux points. Le choix a été fait du dialogue social, au plus près du terrain, en essayant de lever un maximum de contraintes pesant sur cet exercice. Il a ainsi été décidé d'ouvrir des espaces de liberté. Tout part du principe que les employeurs et les représentants des salariés sont les plus à même de construire des accords, de trouver des équilibres et des solutions dont les entreprises ont besoin pour être à la fois économiquement plus performantes et socialement plus accueillantes. Nous soutenons ce choix et nous avons constaté sa traduction dans un certain nombre de dispositions. Nous regrettons toutefois que les mesures visant à encourager le dialogue social dans les entreprises de moins de cinquante salariés n'aient pas été élargies aux entreprises employant entre 50 à 300 salariés lorsqu'elles sont dépourvues de délégués syndicaux. Mais, dans l'ensemble, les ordonnances vont dans le bon sens.

Le deuxième objectif, au-delà des fantasmes et des inquiétudes exprimés, est de mettre notre droit du contrat de travail et la gestion de ce dernier, notamment dans le pouvoir d'appréciation du juge, aux mêmes standards que ceux existant dans les pays européens. En effet, lorsque des investisseurs doivent choisir un lieu d'implantation, et s'interrogent sur l'attractivité d'un pays, ils doivent voir la France pour ce qu'elle devrait être - une terre d'opportunités par ses salariés de qualité, ses infrastructures, ses compétences et ses ingénieurs -, et non une terre de contraintes.

Vous allez débattre du projet de loi de ratification de ces ordonnances en janvier. Permettez-moi de souligner certaines modifications apportées à l'Assemblée nationale qui laissent poindre, certes de manière discrète mais bien présente, ce tropisme français faisant que l'on a du mal à faire confiance. Aussi, alors même que la philosophie de ce texte était que la loi devait fixer les grands principes et ouvrir des espaces de liberté, et alors même que ces derniers n'ont pas encore vu le jour, la tentation de penser qu'ils pourraient donner lieu à quelque chose de déséquilibré, de dangereux, apparaît. Dès lors, il y a une tentation de restreindre ces espaces.

Je prendrai deux exemples. À l'Assemblée nationale a été réintroduit le contrôle d'opportunité de l'administration sur la rupture conventionnelle collective, qui simplifie et sécurise les plans de départs volontaires. Or, ce contrôle d'opportunité n'existe pas aujourd'hui, par exemple pour les plans de sauvegarde de l'emploi. Mais ici, au motif que cet espace de liberté ainsi créé pourrait être détourné de son objectif d'origine, il a été décidé de l'établir. C'est la meilleure façon de décourager les acteurs d'utiliser cet outil. Le dispositif tel qu'il existe pour les plans de sauvegarde de l'emploi a montré son efficacité. Pour la rupture conventionnelle collective, basée sur le volontariat et qui ne doit donner lieu à aucun licenciement contraint, il est important de garder des marges de manoeuvre. Aussi, l'administration ne devrait disposer que d'un pouvoir de contrôle sur le respect des contraintes fixées par la loi. Je ne voudrais pas qu'à travers ce dispositif nous nous retrouvions avec un outil construit avec les meilleures intentions du monde, mais qui au final ne serait pas utilisé par peur que l'administration, puis le juge, ne viennent faire peser des contraintes qui n'étaient pas dans l'esprit du texte d'origine.

Le deuxième exemple concerne les règles de fixation du budget pour le nouveau comité social et économique. Jusqu'à ces ordonnances, toute augmentation de ce budget devenait pérenne par le biais d'un effet cliquet. Cela avait pour effet de décourager l'employeur de faire des gestes positifs les bonnes années car il devait les maintenir l'année suivante même si la situation financière devenait plus difficile. Le principe porté par le texte initial de l'ordonnance est celui de la libre fixation, par accord, du budget du CSE pour permettre, lorsque les affaires vont bien, de pouvoir faire des efforts, d'accompagner des projets, mais lorsque l'entreprise connait des difficultés, de baisser ce budget à des niveaux économiquement soutenables. Un amendement a réintroduit un mécanisme de cliquet qui va de nouveau faire peser un risque sur cette faculté de construire au plus près du terrain des solutions acceptées par tous. Il s'agissait en effet de pouvoir faire mieux et plus quand la situation économique de l'entreprise le permettait, et de ne pas se sentir piégé en cas de ralentissement économique. L'histoire récente de l'économie française et mondiale l'a montré : notre environnement est moins prévisible, plus variable et alterne désormais avec une fréquence plus grande les bonnes et moins bonnes années. Si l'on souhaite une entreprise innovante, avec des salariés récompensés et des profits partagés, il faut donner à nos entreprises tous les leviers disponibles pour disposer de marges d'adaptation à la conjoncture économique.

De même, un amendement a posé le principe d'une priorité de réembauche d'un salarié en contrat de chantier. Or, ce contrat n'est accessible que par accord de branche. C'est ainsi à la branche de fixer les contreparties et outils adaptés à la réalité du terrain et, si elle l'estime nécessaire, de mettre en place dans son secteur ces contrats de chantier. Ainsi, s'il n'y a pas d'accord de branche, il ne peut y avoir de contrat de chantier. Dès lors, à quel titre la loi vient-elle fixer une contrepartie pour la priorité de réembauche, sans connaître la réalité du secteur, sans savoir les équilibres que les gens souhaiteront trouver ? On vient ainsi limiter la capacité de négociation, préempter une contrepartie possible, qui peut être utile et pertinente dans certains secteurs, mais en avoir beaucoup moins dans d'autres. Si on souhaite acter le principe de faire confiance aux acteurs sociaux, laissons-les construire ce dont ils ont besoin et répondre à un certain nombre de préoccupations. Je tiens à rappeler que pour signer un accord, il faut être deux : les organisations patronales et les organisations syndicales dans les branches, l'employeur et les représentants des salariés dans une entreprise. Tout ce qui est ajouté sans motif d'intérêt général supérieur vient limiter cette capacité de dialogue concret. C'est la meilleure façon de ne pas donner sa pleine mesure à la responsabilité et à l'intelligence des acteurs.

Je souhaite également mentionner, suite à l'adoption en commission d'un amendement à l'Assemblée nationale, la suppression de l'information du juge sur l'indemnité de licenciement versée au salarié lorsqu'il applique le barème impératif. L'ordonnance initiale, dans la perspective d'un encadrement des dommages et intérêts accordés par le conseil des prud'hommes à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, prévoyait que le juge puisse savoir ce qui avait été versé à l'employé au moment du licenciement. Il avait alors la faculté, et non l'obligation, de prendre en compte l'indemnité de licenciement dans le calcul de l'indemnité versée pour réparer le préjudice du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi cette disposition a été amendée.

De même, au titre de ces petites modifications qui reviennent sur les principes posés par les ordonnances, on peut noter la possibilité d'exercer un droit de rétractation dans le cadre de la rupture conventionnelle collective, calqué sur la rupture conventionnelle individuelle. Or la rupture conventionnelle collective est déjà encadrée par une négociation et une validation par l'administration, qui permettent une gestion des délais et l'appréciation par chacun de la situation. Avec ce droit de rétractation individuelle, on vient allonger la procédure et l'on fait courir un risque juridique qui ne nous semble pas approprié.

Au final, la philosophie de ces ordonnances nous semble intelligente. Nous regrettons, même si ce sont des modifications à la marge, les amendements qui y ont été apportés à l'occasion du débat à l'Assemblée nationale. Ils viennent en effet préempter l'intelligence des acteurs et la confiance que l'on peut leur faire pour trouver les meilleures solutions. Il est dommage, avant même d'avoir permis aux partenaires sociaux d'exercer les nouvelles capacités qui leur étaient proposées, d'apporter d'emblée un certain nombre de contraintes ou de contrôles. J'espère que le Sénat se prononcera pour le respect des grands principes auxquels nous sommes tous attachés : la restauration au maximum d'un espace de liberté, et à tout le moins, attendre que l'une des parties ait fait un usage abusif, intempestif ou dommageable de ces libertés pour venir les restreindre.

Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CPME. - La CPME, que je représente, partage l'avis du MEDEF. Il y a dans ces ordonnances des motifs de satisfaction pour les PME. Je dois insister sur le fait que ces textes sont le fruit d'une longue concertation. Cette dernière s'est inscrite dans la durée, elle s'est faite sous forme de réunions bilatérales avec le Gouvernement ; nous avons également beaucoup échangé avec le Parlement. En outre, cette consultation n'a pas été que formelle. S'agissant de la loi d'habilitation, entre la première version et la version adoptée par le Parlement, il y a eu des évolutions, notamment sur le rôle des branches professionnelles. Je vais vous donner un exemple concret : dans le texte, il est finalement prévu que tous les accords de branche doivent prévoir des stipulations spécifiques pour les PME. C'est un point important pour nous, qui n'existait pas auparavant. Nous avons souhaité qu'une attention particulière soit portée à nos entreprises dans les accords de branche car ces dernières jouent un rôle de régulateur économique et social.

Cette prise en compte historique des spécificités des PME vient rompre avec la frustration que nous avions ressentie par le passé, en particulier lors de la loi dite « El Khomri ». Celle-ci contenait un certain nombre de dispositions que nous jugions intéressantes mais dont nous n'avons pas pu profiter : en effet, la plupart d'entre elles nécessitaient la conclusion d'un accord d'entreprise. Or, dans les PME, la présence syndicale est très réduite. Dès lors, les dispositions de la loi « El Khomri » ont profité davantage aux grandes qu'aux petites entreprises. Ce n'est pas le cas avec ces ordonnances.

La question du dialogue social est fondamentale. Ainsi, lorsqu'il y a des délégués syndicaux, le dialogue passe par eux, mais en leur absence, si l'entreprise est dotée de représentants du personnel, ils auront désormais la faculté de pouvoir conclure un accord. On peut maintenant négocier avec les représentants du personnel, élus par leurs pairs au sein de l'entreprise. C'est une avancée importante que nous réclamions depuis longtemps. En outre, ce texte prend non seulement en compte les PME mais aussi les TPE. Les ordonnances offrent la faculté, dans les entreprises de moins de 20 salariés et en l'absence de représentants élus, de pouvoir recourir au référendum. Cette faculté de négociation directe ne signifie en rien que l'on contourne les syndicats mais on prend en compte la réalité : ces derniers sont très peu présents dans les PME.

Nous sommes convaincus que les ordonnances vont permettre de renforcer le dialogue social dans les petites entreprises : le nombre d'accords va fortement augmenter.

Aujourd'hui, dans la plupart des petites entreprises, le chef d'entreprise dialogue directement avec ses salariés car ce sont des structures à taille humaine, où les accords tacites étaient fréquents. Ils ne pouvaient pas être inscrits dans un texte. Mais les gens s'entendaient en matière d'organisation du temps de travail par exemple. Dorénavant, les choses pourront se faire en toute transparence, en toute légalité via des accords d'entreprise, dans l'intérêt conjoint du chef d'entreprise et des salariés.

Le rôle des représentants du personnel est également appelé à évoluer. En effet, jusqu'à présent, ils étaient essentiellement dans un rôle de revendication. Désormais, ils devront apprendre à négocier, ce qui représente une avancée majeure. Ce texte représente également, à mon sens, une opportunité pour les syndicats. Il va falloir former les représentants du personnel aux techniques de négociation, mais aussi sur le plan juridique. Les organisations syndicales devront être davantage dans une offre de services et moins dans la revendication et la protestation pure et simple. Il s'agit pour eux d'une opportunité s'ils savent s'en saisir.

Un autre volet important est la sécurisation de la rupture du contrat de travail, notamment par la barémisation des dommages et intérêts, qui a fait couler beaucoup d'encre. Auparavant, des petites entreprises se retrouvaient condamnées à payer des sommes importantes, ce qui dans certains cas, pouvait mettre en péril leur survie même. En outre, on constatait une grande hétérogénéité entre les différents conseils de prud'hommes, avec des condamnations qui pouvaient varier dans la proportion de un à quatre. Le barème va donner de la lisibilité et de la clarté aux chefs d'entreprise et aux salariés. En effet, le caractère aléatoire de la situation actuelle joue parfois en faveur de l'employeur, parfois en faveur du salarié.

Une diminution du contentieux est également attendue de cette mesure. Aujourd'hui, l'intérêt commun des employeurs et des salariés est de trouver un accord, de pouvoir se séparer dans des conditions normales grâce à une discussion, sans aller jusqu'au conflit. Ces dommages et intérêts constituent le troisième étage de la fusée et complètent, en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse, les indemnités légales et conventionnelles. S'ils ont fait l'objet d'un plafonnement, les indemnités légales ont été revues à la hausse, dans des proportions qui nous ont semblé un peu excessives mais que nous pouvons comprendre.

Sur la question de la fusion des institutions représentatives du personnel, nous y étions favorables. C'est pour nous une mesure de rationalisation. Les représentants dans ce comité social et économique vont avoir un rôle moins compartimenté que celui des représentants dans les anciennes instances. Ils auront ainsi une vision plus globale. Nous espérons que les rapports et les discussions au sein de l'entreprise pourront être plus constructifs. Nous pensons que tout le monde sera gagnant dans cette nouvelle organisation.

Je me permettrai toutefois de signaler un bémol sur cette question : ce texte a laissé de côté la question des seuils sociaux, notamment celui de 50 salariés. C'est un constat et non un jugement de valeur, nous avons aujourd'hui 2,4 fois plus d'entreprises de 49 que de 51 salariés. Ce n'est pas un hasard. En effet, nous avons estimé que le franchissement du seuil de 50 salariés déclenche 35 obligations administratives et financières supplémentaires. Cela n'encourage pas les entreprises à grandir, alors même que l'on se plaint régulièrement du fait que notre tissu économique est constitué d'un trop grand nombre de petites entreprises et qu'il manque d'acteurs économiques de taille moyenne et intermédiaire. Ce seuil constitue un facteur de blocage que ce texte a malheureusement occulté.

Enfin, j'attirerai votre attention - et je partage l'avis d'Alexandre Saubot - sur les modifications apportées au texte initial des ordonnances par l'Assemblée nationale. Dans le même ordre d'idée, je souhaite vous signaler le rétablissement par amendement du droit d'alerte détenu jusqu'à présent par les délégués du personnel pour les atteintes aux personnes dans les entreprises de moins de 50 salariés. On peut en comprendre les raisons. Mais on est parti d'un texte où l'on faisait confiance aux entreprises et il ne faudrait pas que, petit à petit, en retirant ou ajoutant des éléments, on dénature la philosophie initiale des ordonnances visant à renforcer les acteurs du dialogue social.

Nous sommes conscients de la responsabilité et du rôle qui sont les nôtres, après avoir défendu la loi d'habilitation et les ordonnances. J'ai même la faiblesse de penser que nous avons permis une prise de conscience, sans vouloir en revendiquer l'unique paternité, pour un certain nombre de dispositions. Nous devons faire en sorte que les entreprises s'approprient ce texte et que l'on voie les résultats positifs en matière de dialogue social mais aussi d'accélération de la croissance et de l'emploi.

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