Intervention de Alexandre Saubot

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 décembre 2017 à 9h00
Projet de loi ratifiant diverses ordonnances pour le renforcement du dialogue social — Table ronde des organisations patronales

Alexandre Saubot, vice-président du Medef en charge du pôle social :

En ce qui concerne les accords de compétitivité, le dispositif a été harmonisé et rationnalisé par les ordonnances. Cela doit permettre de donner enfin une chance de succès à cet outil, notamment en élargissant les motifs de recours et en clarifiant les règles de rupture de contrat de travail d'un salarié qui serait amené à refuser l'application d'un tel accord, lui-même validé par la majorité du personnel. Il me semble que l'une des principales causes d'échec des dispositifs précédents était le trop strict encadrement des motifs de recours, ainsi que les risques juridiques pesant sur les entreprises. En outre, ils ont eu mauvaise presse à la suite de ce qui s'est passé dans une entreprise industrielle de l'est de la France, où des services entiers ont profité de conditions de départ extraordinairement favorables, indépendamment de l'accord majoritaire qui avait pu être donné. Il nous semble que les principaux obstacles au développement de cet outil ont été levés par le texte. Maintenant, et c'est également le cas pour d'autres dispositifs, il est important de pouvoir l'évaluer. Il est ainsi prévu que l'ensemble des accords signés au titre de ces ordonnances seront mis à disposition de tous, au sein d'une base de données après anonymisation de quelques informations sensibles. Il sera ainsi possible d'évaluer les conséquences, les sacrifices, mais aussi les bénéfices et contreparties accordées aux salariés sur tous ces sujets. Une mission d'évaluation des ordonnances, à laquelle chacune de nos organisations participent, a été mise en place. Ainsi, avant la fin du quinquennat, nous devrions être en mesure de faire un premier bilan que nous espérons positif.

Il y a peut-être à l'échelle du monde un déséquilibre du partage de la valeur ajoutée mais ce n'est pas la réalité française. Selon les dernières études, la part des salaires dans la valeur ajoutée en France sur les vingt dernières années est restée relativement stable. On a observé deux grandes variations pour la France : plus de dividendes sont versés mais moins d'intérêts sont payés aux banques. En effet, la structure de financement des entreprises a changé et les taux d'intérêt ont fortement baissé. Cela reflète l'état des marchés financiers et l'évolution des sources et structures de financement des entreprises. On constate par ailleurs une autre évolution : la part des investissements a baissé et celles des impôts a augmenté. On a remplacé de l'investissement privé par - je l'espère - de l'investissement public, avec une efficacité et une performance que je vous laisse apprécier.

En ce qui concerne l'équilibre entre les parties en matière de dialogue social, pour le voir fonctionner notamment dans les PME, beaucoup de choses relèvent aujourd'hui d'un accord tacite. La capacité à les formaliser et les mettre par écrit est plutôt de nature à rassurer les acteurs sociaux et à améliorer la transparence.

Pour ce qui est de l'incitation au développement du dialogue social, il faut que l'on soit parfaitement lucide sur l'opportunité qui nous est offerte. Ce sera à nous, acteurs sociaux, de nous en saisir collectivement. Les acteurs vont-ils se saisir de cette capacité à signer des accords ? Personnellement j'y crois. Mais ce sera le bilan que nous serons amenés à faire dans trois ans qui nous permettra de répondre à cette question.

Jusqu'à présent, la négociation était totalement administrée, avec 14 thèmes de négociation obligatoires, et encadrée par une présence syndicale stricte qui se traduisait dans les PME par une absence de négociation. Les négociations étaient ainsi une gestion des contraintes. Je me mets aujourd'hui à la place du représentant du personnel dans une entreprise de 35 salariés : il va discuter, au nom de ses pairs, d'un certain nombre de pratiques, de thèmes tels que l'organisation du temps de travail, les congés payés, la rémunération. Je pense que, sans accompagnement, sans formation, ce salarié va assez vite se sentir démuni quant à sa capacité de s'engager au nom de ses collègues.

Aujourd'hui, quand on discute d'un rapport rendu obligatoire, qui au final n'intéresse pas grand monde et n'a aucun effet sur l'activité quotidienne des mandants, il est assez facile de le regarder avec distance. Toutefois, lorsque l'on commence à discuter de ce qui va toucher à la vie quotidienne, comme le temps de travail, les salaires, les congés, les investissements, la formation ou l'apprentissage, la pression des mandants va être plus forte. Les représentants du personnel, notamment ceux qui ne sont pas syndiqués dans les entreprises de moins de 50 salariés, seront, je pense, demandeurs de conseil et d'accompagnement. La question est de savoir s'ils seront naturellement amenés à aller chercher ce conseil auprès d'une organisation syndicale qui a développé par sa connaissance des sujets, par sa proximité avec les PME et par une certaine image d'ouverture, la capacité à apporter ce soutien dans l'intérêt bien compris des acteurs. Bien évidemment, une évolution des comportements est nécessaire et doit pouvoir permettre le développement de la présence syndicale. J'imagine que le ministère du travail et les organisations patronales et syndicales seront tout à fait en situation de mesurer ce qui se passera.

En ce qui concerne la participation des salariés à la gouvernance des entreprises et leur présence en conseil d'administration, un certain nombre de dispositions ont été votées sous la mandature précédente et viennent à peine d'entrer en vigueur. Je propose de nous donner un peu de temps pour étudier leurs effets avant de proposer une évolution.

J'ai la conviction que le comité social et économique, instance fusionnée qui abordera l'ensemble des sujets de la vie de l'entreprise, peut devenir un vrai lieu d'échange entre la collectivité des salariés et le chef d'entreprise et, peut-être, atténuer un peu, notamment dans les PME, la réticence des chefs d'entreprise - il ne faut pas se le cacher - à voir des salariés au conseil d'administration. On pourrait ainsi imaginer par la suite la présentation régulière par le secrétaire du CSE des observations qu'il a recueillies aux organes de gouvernance et un échange à ce sujet.

L'intégralité des prérogatives du CHSCT est transférée au nouveau CSE. La capacité de faire et d'agir n'est en rien réduite. Nous avons la conviction que l'entreprise, dans ses responsabilités et ses préoccupations, ne doit pas être divisée. Au contraire, le fait de remettre l'ensemble de ces débats au sein d'un même organe est de nature à parvenir aux bons équilibres et à prendre en compte les bonnes préoccupations. Cela permettra également au chef d'entreprise de ne plus se retrouver dans une situation où une structure comme le CHSCT adopte une position et où un autre organe en a une autre, lui laissant la responsabilité de trancher entre deux avis divergents. Un organe unique est plutôt de nature à améliorer la qualité du dialogue social, ainsi que la capacité des différents acteurs à se saisir de l'ensemble des sujets.

Je reviens rapidement sur la désignation de délégués syndicaux qui n'auraient pas obtenu 10 % des voix aux élections professionnelles. Il s'agit simplement pour une organisation syndicale ayant atteint ce seuil, mais qui aurait perdu certains de ses élus initiaux - parce qu'ils ont renoncé à exercer ce rôle, qu'ils n'ont plus l'appétence pour le faire, ou encore parce qu'ils ont quitté l'entreprise - et afin de ne pas la priver d'une représentation acquise par l'élection, de lui laisser la possibilité de désigner des remplaçants. Ce n'est pas vraiment la disparition de la règle des 10 % mais plutôt la prise en compte de ce qui peut être la vie d'une entreprise. Nous n'avons pas d'objections particulières à ce sujet.

Enfin, en ce qui concerne les décrets d'application des ordonnances, dont certains sont à l'évidence majeurs, j'ai bon espoir que nous soyons consultés. Dans les premiers textes que nous avons pu voir, nous avons pu déceler cette petite tendance naturelle de l'administration à essayer de réduire les espaces de liberté ouverts, sans toutefois jusqu'à remettre en cause l'esprit de la réforme.

En conclusion, ne croyez pas que mon propos soit négatif sur l'ensemble des dispositions. C'est plutôt l'expression de regrets car comme bien souvent, après avoir ouvert des portes et avant même de les tester, il y a une volonté d'essayer de les refermer.

Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. - En ce qui concerne les prud'hommes, bien évidemment, nous sommes favorables à la conciliation. Il ne faut pas oublier qu'une PME est une entreprise à taille humaine où le chef d'entreprise connaît ses salariés, vit avec eux au quotidien. Moins on aura de conflits qui aboutiront à des contentieux, mieux l'entreprise se portera. D'ailleurs, il pourrait être intéressant d'encourager davantage la conciliation par un traitement plus favorable des sommes qui pourraient être accordées dans ce cadre. En outre, le traitement des cotisations sociales pour ces dernières pourraient être plus avantageux.

Une réflexion sur une modification de l'organisation des conseils de prud'hommes doit, à mon sens, être envisagée de manière globale en intégrant également les cours d'appel. En effet, une des critiques relayées sur les conseils de prud'hommes concerne le délai entre l'introduction d'une affaire et son jugement. Les délais pourraient ainsi être réduits, ce qui profiterait à la fois aux salariés et aux employeurs. L'incertitude n'est bonne pour personne.

Je ne suis pas favorable au développement de l'échevinage. Pour nous, il est important d'avoir dans la formation de jugement des chefs d'entreprises de PME qui connaissent la réalité de ces dernières, ainsi que les conséquences directes des décisions qu'ils vont prendre sur les entreprises.

J'en profite pour saluer une disposition apportée par ce texte, laquelle est passée inaperçue mais nous semble importante : la réduction à un an du délai pour introduire un recours en cas de licenciement. Si dans la première année suivant le licenciement l'instance prud'homale n'est pas engagée, cela n'a aucun sens d'introduire une action dans un délai supérieur.

Le texte va donner davantage de lisibilité à tous les acteurs de l'entreprise. Ils craignent par-dessus tout le changement permanent des règles du jeu. Le chef d'entreprise doit pouvoir faire des projections de développement de son activité avec un minimum de certitude, sans que ces règles changent en cours de route.

Le contrat de chantier a été évoqué. Nous avons beaucoup entendu parler lors des débats d'une peur d'embaucher, réelle ou supposée, et dont on peut discuter. Ce que je souhaite vous dire, pour être allé à la rencontre d'entreprises, c'est qu'il s'agit d'un vrai sujet. En effet, lorsque vous êtes à la tête d'une petite structure, si l'opportunité de remporter un marché se présente à vous et que vous ne disposez pas suffisamment de personnel pour remplir les obligations de celui-ci, ou bien vous embauchez quelqu'un et vous vous projetez dans le temps - si vous possédez suffisamment de visibilité pour le faire -, ou bien vous renoncez au marché, et c'est l'ensemble de la Nation qui est perdante. Le contrat de chantier doit permettre aux entreprises de saisir l'opportunité que représentent de nouveaux marchés, sans prendre un risque qu'ils considèrent comme majeur.

On pressent dans les PME françaises des signaux positifs d'évolution de l'économie. Cela reste toutefois très différent entre les secteurs. On voit apparaître une fracture territoriale, avec un développement économique supérieur au coeur des métropoles par rapport aux zones rurales. Il y a également le problème des coeurs de ville. De manière générale, il y a encore des poches de difficultés économiques mais les choses s'améliorent. Paradoxalement, aujourd'hui, la pénurie de compétences est le principal blocage. De très nombreuses entreprises cherchent à embaucher des salariés mais n'arrivent pas à embaucher. Je pense qu'il y a une responsabilité collective pour apporter des réponses aux millions de chômeurs, notamment en matière de formation. J'espère que nous arriverons à trouver des solutions dans les négociations qui s'ouvrent en vue de réformer la formation professionnelle.

Nous ne partageons pas le point de vue selon lequel ce nouveau dialogue social constitue un risque de déséquilibre en faveur du chef d'entreprise. Pour nous, dans les PME, les choses se font ensemble et les salariés ont parfaitement conscience que l'avenir de l'entreprise les concerne de manière directe. Ce n'est donc pas l'opposition d'intérêts des uns contre les autres mais plutôt la construction d'un projet commun. Il y a une conscience élevée qu'en cas de difficultés pour l'entreprise, le chef d'entreprise mais également l'ensemble des salariés sont touchés. Pour moi, avec ces ordonnances, les comportements vont devoir évoluer, aussi bien du côté des chefs d'entreprises, des salariés que des syndicats. Elles donnent l'occasion de faire évoluer l'image de ces derniers à l'intérieur des PME. Ce n'est pas un hasard s'ils n'ont que 4 % de présence dans ces petites structures, où il y a un dialogue direct entre le chef d'entreprise et les salariés, sans avoir nécessairement besoin de recourir à un intermédiaire. En outre, il y a certainement aussi un problème d'image d'un certain nombre d'organisations syndicales. La CPME est convaincue du rôle du dialogue social et de l'utilité des organisations syndicales. Toutefois, si l'on veut que les choses évoluent, il faut que des efforts soient faits des deux côtés.

Nous ne pensons pas non plus que ce texte ignore le lien de subordination entre l'employeur et le salarié. Mais il n'est pas réductible à un lien d'opposition entre ces deux parties. Ces ordonnances essayent de rétablir un lien de confiance pour avancer ensemble au service de l'entreprise. Si le lien de subordination existe et caractérise le contrat de travail, il n'est pas, malgré tout, l'alpha et l'oméga du dialogue social.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion