Intervention de Corinne Imbert

Commission mixte paritaire — Réunion du 5 décembre 2017 à 19h00
Commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance relative à la profession de physicien médical et l'ordonnance relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert, rapporteure pour le Sénat :

Le projet de loi porte à la fois sur la profession de physicien médical et la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé. La plupart de ses dispositions ont fait consensus à la fois chez les acteurs concernés, et dans nos deux assemblées : je ne m'y attarderai donc pas, pour en venir directement à la plus sensible des questions posées par ce projet de loi, celle de l'accès partiel.

Vous le savez, le Sénat, suivant en cela l'avis quasi-unanime des professionnels de santé, a supprimé les dispositions relatives à la procédure d'accès partiel. S'il semble donc que notre désaccord soit consommé sur le sujet, permettez-moi cependant de vous rappeler brièvement les raisons qui ont poussé notre assemblée à se prononcer en ce sens. Je pense en effet que la question est d'importance, compte tenu des conséquences majeures qu'elle pourrait entraîner pour l'organisation et la cohérence de notre système de santé - et qu'elle aurait d'ailleurs mérité un débat préalable bien plus approfondi.

Nous avons en premier lieu été frappés par le degré d'impréparation entourant la mise en place d'une évolution aussi fondamentale. À l'heure où il nous est demandé de ratifier cette ordonnance, on ne dispose toujours d'aucun d'élément d'évaluation sur le nombre de professionnels susceptibles de formuler une demande en France, ou sur la nature même des professions qui pourraient être concernées. Comment, sans connaître les professions en jeu, le Gouvernement peut-il prétendre avoir préparé un texte d'application garantissant la sécurité de l'ensemble des situations ? Il me semble que l'on avance ici à l'aveugle, en autorisant et en réglementant un dispositif dont nous ne connaissons pas la réelle portée concrète.

En second lieu, cette mesure nous a semblé de nature à désorganiser en profondeur l'organisation de notre système de santé. Il ne s'agit pas ici de faire un procès d'intention aux professionnels formés dans d'autres pays, dont nous ne remettons pas en cause la compétence ; c'est sur la compatibilité de l'accès partiel avec l'organisation et l'efficacité de notre système de santé que nous nous interrogeons. Il nous a de ce point de vue semblé que la reconnaissance d'un accès partiel ne pourra qu'aboutir à une fragmentation des professions, dont on peine encore à mesurer toutes les conséquences.

Nous redoutons ensuite que les éventuels problèmes de qualité et de sécurité des soins ne frappent d'abord les patients les moins informés, et donc les populations les plus fragiles. On pourrait même craindre, sans céder à une trop forte méfiance, que ces professionnels ne puissent être opportunément recrutés par des établissements de santé en pénurie de personnels, ou par nos collectivités frappées par la désertification médicale : cela serait évidemment de nature à renforcer les inégalités territoriales de santé.

Plusieurs difficultés pratiques ont enfin été pointées : d'abord le surcoût potentiel pour la sécurité sociale, si des patients se trouvent contraints de consulter deux professionnels au lieu d'un, compte tenu de la limitation des compétences du premier ; ensuite, l'effet d'aubaine pour les formateurs étrangers notamment, alors que la formation des personnels médicaux et paramédicaux fait déjà l'objet d'un marché très disputé dans certains pays de l'UE ; enfin, la question de la sécurité réellement garantie au patient, alors que des difficultés importantes sont d'ores et déjà constatées dans le cadre de la procédure de reconnaissance automatique, s'agissant notamment de la compétence linguistique des professionnels ou de leur niveau réel de formation.

Le décret publié le 3 novembre dernier ne nous a guère rassurés sur l'ensemble de ces points, s'agissant notamment des compétences d'encadrement et de contrôle dévolues aux ordres. Je rejoins par ailleurs M. Milon quant au fait que la publication de ce décret est désobligeante vis-à-vis du Parlement.

Je tiens enfin à souligner que le Sénat a bien pris la mesure des obligations communautaires pesant sur la France ; il ne saurait être taxé d'irresponsabilité sur ce point. Il nous a cependant semblé que notre responsabilité consistait au contraire à ne pas faire passer la satisfaction d'une obligation d'ordre juridique avant l'intérêt des patients. J'ai d'ailleurs pu observer, au cours des auditions que j'ai conduites, que l'ensemble de ces observations était largement, sinon unanimement partagé par les différents acteurs du monde de la santé. Il est par ailleurs révélateur que les arguments invoqués à l'appui de la ratification de cette ordonnance ne portent que sur les obligations communautaires de la France, et non sur l'intérêt intrinsèque de la procédure d'accès partiel.

Il nous paraît dès lors invraisemblable de sacrifier, contre l'avis de tous les acteurs de la santé, la cohérence de notre système de santé et la qualité des soins à des considérations essentiellement juridiques. Je le dis d'autant plus volontiers que d'autres pays, comme l'Allemagne, ont fait un autre choix de transposition : il nous semble donc qu'une nouvelle négociation aurait encore été possible et même souhaitable, et nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas choisi cette voie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion