Intervention de Didier Marie

Réunion du 12 décembre 2017 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 14 et 15 décembre 2017

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochain nous propose un ordre du jour « matriochka », c’est-à-dire quatre en un. En plus d’une partie classique, qui traitera notamment des questions de défense, des relations extérieures et des suites à donner à l’accord de Göteborg sur le pilier social, ce rendez-vous sera l’occasion d’un débat d’un nouveau type, « l’agenda des leaders », établi par Donald Tusk au mois d’octobre 2017, en l’occurrence sur la politique migratoire, format qui ne manque pas de susciter des inquiétudes.

Cette rencontre sera aussi l’occasion d’une réunion en format « vingt-sept plus un » sur le Brexit, après l’accord trouvé dans la nuit du 7 au 8 décembre dernier entre l’Union européenne et le gouvernement de Theresa May, pour clore le premier round de négociations et engager le second.

Enfin, un sommet informel de la zone euro débattra des récentes propositions de la Commission européenne pour réformer l’Union économique et monétaire.

La tonalité et les décisions de ce Conseil européen seront particulièrement suivies. Elles illustreront ou non le volontarisme des États membres pour ce qui sera la dernière année utile avant les élections européennes de 2019.

Madame la ministre, l’Europe a besoin d’ambition pour surmonter les défis de 2018, retrouver les voix des électeurs et dessiner l’avenir d’une Europe forte.

Si les récentes déclarations du Président de la République, du président Juncker et de plusieurs responsables européens ainsi que l’unité des Vingt-Sept pendant la première phase du Brexit sont des signes positifs, la crainte des petits pas demeure. La France a donc un rôle moteur à jouer, à l’heure où notre partenaire allemand, en mal de coalition, se préoccupe plus de politique intérieure que de politique européenne.

Je ne pourrai en quelques minutes aborder tous les sujets. Aussi me concentrerai-je sur quelques questions.

Le premier sujet, la priorité, c’est la dimension sociale. L’Europe souffre de n’avoir pas su ou pas voulu accompagner la libéralisation des échanges d’une plus grande protection de ses citoyens, laissant les nationalistes et les populistes assurer qu’ils étaient les seuls à pouvoir protéger le peuple. On peut donc se féliciter de l’adoption d’un socle de droits sociaux lors du sommet de Göteborg du 17 novembre dernier.

Le rapport rendu public à cette occasion ouvre des pistes de progrès permettant de lutter contre le dumping social. Il n’est cependant pas contraignant, il faut donc maintenant lui donner une suite concrète. Nous attendons qu’à l’occasion du prochain Conseil européen la France plaide pour que des décisions soient prises et qu’un calendrier soit arrêté pour poser des règles communes en matière de sécurité et de santé au travail, coordonner la sécurité sociale, assurer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, éliminer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et instaurer des règles équitables pour la mobilité des travailleurs.

À cet égard, je souhaite insister sur la question des travailleurs détachés : si un accord a été trouvé, rien n’est acquis, et la France devra être vigilante pour le consolider, vérifier ses conditions d’application et préparer la négociation du « paquet routier ».

Le second sujet que j’aborderai suscite une inquiétude que je souhaite vous faire partager. À l’occasion de ce sommet sera en effet inaugurée cette nouvelle méthode de travail baptisée « l’agenda des leaders », qui permet aux chefs d’État des États membres de se saisir de tout dossier d’importance. Il s’agit clairement d’un contournement des processus de décision consacrés par les traités, qui, au nom de la recherche d’un accord sur la politique migratoire, modifie l’équilibre institutionnel. En soumettant le domaine de l’asile au consensus, le Conseil européen s’arroge un pouvoir dévolu au Parlement et au conseil des ministres et impose la règle de l’unanimité dans un domaine qui relève de la codécision, autrement dit de la majorité qualifiée.

La conséquence est prévisible, le consensus, quand il ne bloque pas la prise de décision, n’autorise la plupart du temps qu’un alignement sur le moins-disant, ne permet pas une politique commune visant un processus d’intégration.

Madame la ministre, nous craignons que la centralité croissante du Conseil européen et la règle de l’unanimité ne bénéficient davantage aux adversaires de la méthode communautaire qu’aux tenants d’une intégration plus poussée. La définition d’une politique migratoire commune est urgente, mais elle ne peut se faire par un alignement sur la position des pays les plus frileux en la matière.

Le Brexit constitue le troisième point important à l’ordre du jour. Le Conseil européen devrait conclure que des progrès suffisants ont été accomplis au cours de la première phase des négociations pour passer à la seconde.

Nous saluons le résultat du long et intense travail de négociation de Michel Barnier et de son équipe ; nous nous félicitons de l’unité dont a fait montre l’Union européenne. Qu’il s’agisse des droits des citoyens européens vivant au Royaume-Uni et de ceux des citoyens britanniques installés dans l’Union européenne, du compromis sur la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord et des conditions financières du divorce, l’Union européenne a fait preuve de la fermeté nécessaire pour que toutes nos lignes rouges soient respectées.

Le résultat de ces négociations confirme que celui qui part perd. Si la détermination de l’Union européenne ne fait aucun doute, de leur côté, les Britanniques ne semblent pas encore assumer la voie qu’ils ont choisie. Il n’est d’ailleurs pas évident que cet accord de sortie, très éloigné des promesses du référendum, obtiendrait aujourd’hui l’accord des citoyens britanniques.

Toutefois, madame la ministre, nous appelons votre vigilance sur les nombreuses ambiguïtés qui persistent, notamment sur les engagements financiers et sur le maintien in fine du Royaume-Uni dans le marché unique. Si l’Union européenne a imposé ses vues, il reste à traduire cela en termes juridiques. Or nous savons que le diable se cache dans les détails. La suite des négociations ne devrait pas plus être un long fleuve tranquille que la première phase.

Restons donc très vigilants sur la consolidation de ce premier accord, sur son respect pendant la seconde phase et la phase de transition. Il est primordial de rester sur cette même ligne pour que, comme le dit le rapport conjoint des négociateurs, il n’y ait d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout !

Enfin, à l’occasion du sommet de la zone euro, qui se tiendra en marge du Conseil européen, les États membres auront un premier débat autour des propositions de réforme de la zone euro que vient de faire la Commission européenne. Sans être exhaustif à ce stade, on peut s’étonner de ces propositions, qui manquent d’ambition et qui ne répondent pas au sursaut démocratique que l’on nous promettait depuis des mois.

Ainsi, si l’on peut se féliciter de retrouver la proposition d’un super ministre des finances, on ne peut être que déçu, sinon inquiet, de voir la perspective d’une véritable capacité budgétaire pour la zone euro réduite à une ligne dans le budget européen. Cela pose la question du contrôle démocratique de ce budget, puisque son montant et ses objectifs seraient décidés à vingt-sept, sans être discutés et amendés par les parlements nationaux.

Par ailleurs, le fonds monétaire européen, tel qu’il est proposé, ne sortirait pas de la logique punitive qui conditionne l’accès à ses financements au respect du pacte de stabilité et reproduirait et institutionnaliserait ce qui a été appliqué à la Grèce. Nous aurions espéré un véritable Trésor européen, outil de stabilisation financière et de solidarité qui vienne compléter et soutenir les efforts des États membres en difficulté.

Nous avons besoin de moyens supplémentaires pour mettre en œuvre de véritables politiques de convergences économiques et sociales et pour investir. Nous avons besoin aussi d’une gouvernance renforcée et d’un Parlement dédié à la zone euro pour donner sens à tout l’édifice. La crise économique est derrière nous : il est plus que temps de tourner la page de l’austérité et d’engager l’Europe dans la voie de la croissance.

Madame la ministre, s’il est bon d’affirmer pour convaincre, s’il est utile de communiquer, il faut surtout des actes forts : il faut consolider l’existant et bâtir des politiques nouvelles qui rétablissent la confiance dans l’Union européenne.

Les forces conservatrices et néo-libérales ont mené l’Europe au bord de la fragmentation et du déclin, alimentant de nouvelles forces populistes, nationalistes et xénophobes, qui réclament un retour aux frontières et aux solutions nationales au nom de la protection du peuple. Pour les faire reculer, nous devons sortir d’une logique technocratique et budgétaire et redonner corps à l’idée européenne, protéger nos concitoyens, garantir à tous les jeunes un égal accès à une éducation de qualité, réussir la transition écologique, accompagner la révolution numérique, faire vivre les valeurs de fraternité et de solidarité.

L’Europe mérite mieux que ce qu’elle est ; elle a besoin de la France, et la France a besoin d’elle. Nous attendons donc de l’exécutif des paroles fortes et des actes de même nature.

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