Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour une fois, l’ordre du jour du Conseil européen de fin d’année semble un peu moins pléthorique que d’habitude, mais les sujets qui seront abordés sont loin d’être anodins. Ils portent sur plusieurs des enjeux mis en avant par Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union le 13 septembre dernier.
Les orateurs qui m’ont précédé ayant déjà largement évoqué les problématiques inscrites à cet ordre du jour, je concentrerai l’essentiel de mon propos sur le Brexit et sur les questions connexes liées à cet épineux dossier.
Au préalable, je tiens cependant à vous faire part de mon sentiment très mitigé s’agissant de la réforme de la zone euro présentée par la Commission européenne mercredi dernier, laquelle sera examinée lors du sommet de la zone euro, qui se tiendra le 15 décembre, dans la foulée du Conseil européen. Une fois passées les grandes déclarations d’intention sur la nécessaire réforme de l’Europe, la Commission européenne semble être en effet revenue au « business as usual », à savoir avancer a minima, réformer mais pas trop, suffisamment pour éviter l’accusation de statu quo… Une fois de plus, il semblerait que la montagne ait tout simplement accouché d’une souris.
La réforme de la zone euro, telle qu’elle est proposée par la Commission, traduit une absence de vision politique et risque fort de se réduire à la seule création d’un titre de ministre européen de l’économie et des finances. Ce ministre jouera un rôle plus cosmétique qu’effectif, puisqu’il sera placé sous la tutelle du président de la Commission et ravalé au rang de simple « coordinateur ».
Comme mon collègue Didier Marie, je m’interroge : sans solidarité financière entre États membres ni instauration d’un Parlement de la zone euro, comment pouvons-nous espérer mettre fin aux déséquilibres profonds qui existent à l’intérieur de l’Union, ainsi qu’à la compétition fiscale agressive qui sévit entre nos États ?
Faire preuve d’une réelle ambition pour l’Europe supposerait de doter la zone euro d’un budget spécifique, au lieu de se limiter, comme le propose la Commission, à ouvrir quelques lignes budgétaires nouvelles dans un cadre pluriannuel financier déjà plus que contraint.
Bref, ce que la Commission propose aujourd’hui est sans grande audace. On sent bien que le président Juncker a sans doute peur, à dix-huit mois des élections européennes, de froisser les États non-membres de la zone euro et surtout de bousculer l’Allemagne, qui est actuellement plongée dans de délicates négociations en vue de constituer une coalition gouvernementale. Pour autant, les récentes déclarations très pro-européennes de M. Martin Schultz, futur allié de la coalition, laissent penser que nos voisins d’outre-Rhin pourraient assouplir leur position sur la zone euro. Il a en effet évoqué l’idée de la création d’un budget dans son discours du 7 décembre dernier.
Madame la ministre, pensez-vous qu’il y a quelque espoir que les discussions de vendredi permettent d’aller au-delà et dans un sens plus proche des propositions avancées par le Président de la République lors de son discours de la Sorbonne le 26 septembre dernier ?
J’en viens à présent à l’état actuel des négociations sur le Brexit.
Après la relative désillusion de mercredi concernant la réforme de la zone euro, on s’attendait vendredi à un jour plus faste pour l’Union avec l’annonce d’un accord avec la Grande-Bretagne sur la première phase des négociations se rapportant aux modalités de sa sortie de l’Union : accord sur le règlement financier de la séparation, accord sur la gestion de la frontière entre la République d’Irlande et la province d’Irlande du Nord et accord, enfin, sur le sort des citoyens expatriés…
Passé l’effet d’annonce plutôt enthousiasmant – pour peu qu’on puisse réellement s’enthousiasmer pour un divorce par consentement plus ou moins mutuel –, la lecture détaillée du document officiel de quinze pages, présenté vendredi dernier, a de quoi laisser dubitatif sur l’accord final qui résultera des négociations de phase 2, lesquelles porteront sur les futures relations entre les deux parties et sur la demande britannique, non clarifiée, d’obtenir éventuellement une période de transition.
L’avancée la plus nette et la plus clairement favorable aux intérêts de l’Union et de ses citoyens concerne bien évidemment le statut des citoyens expatriés. Le Royaume-Uni semble avoir enfin réalisé, ou reconnu, la valeur et l’importance du travail effectué par les ressortissants européens pour l’économie britannique, qu’ils occupent des emplois qualifiés ou moins qualifiés. D’après les chiffres de son Bureau de la statistique nationale, ils représentaient en 2016 près de 7 % des forces de travail britanniques. Mme May, sous la pression d’ailleurs du patronat et des milieux financiers, a donc été contrainte d’en rabattre un peu sur sa position initiale, très idéologique, et d’accepter que les droits des citoyens expatriés demeurent les mêmes.
Je regrette cependant nos concessions sur la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il est en effet simplement prévu que les tribunaux britanniques « pourront » interroger pendant huit ans la Cour sur des questions d’interprétation de la législation européenne relative aux droits des citoyens immigrés. Que ferons-nous si aucun tribunal britannique n’interroge la Cour de justice de l’Union européenne ? Et pourquoi huit ans seulement ? À partir de quel moment pourra-t-on juger qu’il existe un manquement de la part du Royaume-Uni, susceptible de faire l’objet d’un recours ?
Madame la ministre, au-delà des formules parfois sibyllines et complexes figurant dans cette partie de l’accord, pouvez-vous illustrer plus concrètement et détailler plus avant les garanties obtenues en faveur des ressortissants européens travaillant au Royaume-Uni ?
Quant à l’accord trouvé sur le règlement financier, plusieurs points et non des moindres semblent restés en suspens. Au-delà de la validation de la méthode de calcul du montant dû par Londres, qui est celle proposée par Bruxelles, des ambiguïtés, et non des moindres, subsistent notamment sur la facture que devra régler le Royaume-Uni. Si nous refusons de notre côté d’avancer un chiffre, les Britanniques, eux, ne rechignent pas à le faire. Ils estiment que cette facture s’élèverait à un montant compris entre 40 milliards et 45 milliards d’euros.
À ce sujet, il ne faut pas se faire d’illusion : il n’y a aucun gain, aucun bénef, pour l’Union européenne dans ce règlement financier. La facture correspond à des engagements pris par le Royaume-Uni en tant que membre et à sa participation à plusieurs programmes ou agences européennes. Je pense ainsi au paiement de politiques déjà engagées dans l’actuel cadre pluriannuel financier jusqu’en 2020.
Au-delà de 2020, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne représentera un trou budgétaire annuel de plusieurs milliards d’euros, qu’il faudra combler ou qui nous contraindra à faire des économies. Je rappelle en effet que le Royaume-Uni est le troisième contributeur net du budget européen, avec près de 9 milliards d’euros. Nous devons donc saisir cette occasion pour rendre le budget européen plus lisible et plus équitable, afin de mettre un terme à tous ces mécanismes de rabais et de rabais sur le rabais, qui entachent tant le budget européen.
Enfin, sur le volet relatif à l’Irlande, qui a été évoqué par plusieurs de nos collègues, nous avons l’impression d’être autant otages de la situation politique intérieure du Royaume-Uni que Mme May elle-même, qui est partagée entre, d’un côté, les attentes des milieux financiers et économiques et, de l’autre, une alliance avec le DUP, un parti quasiment d’extrême droite nord-irlandais.