Intervention de Anthony Mascle

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 16 novembre 2017 à 9h30
Audition ouverte à la presse sur « les algorithmes au service de l'action publique : le cas du portail admission post-bac apb »

Anthony Mascle, vice-président en charge des affaires académiques au sein de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) :

Je commencerai mon intervention en rappelant que la FAGE fait partie des organisations qui n'ont pas tiré à boulets rouges sur APB lorsque le dispositif a fait l'objet, récemment, d'un véritable lynchage médiatique. En effet, nous considérons que l'outil constituait, en lui-même, une avancée. Ce dispositif a permis de mettre fin aux interminables files d'attente qui se formaient à l'entrée des universités lors des inscriptions et à l'obligation d'adresser des dossiers à de nombreux établissements différents. Cette évolution a donc constitué un progrès, en revenant sur la règle du « premier arrivé premier servi ». Cet outil a, par ailleurs, globalement fait ses preuves. Certes, quelque 3 000 candidats se sont retrouvés sans affectation. Mais ceci signifie que l'on a pu satisfaire les voeux, ou tout du moins trouver une solution, pour les 850 000 autres candidats.

On peut donc affirmer que, globalement, le système fonctionne, malgré certaines limites qu'il convient de signaler. Ces difficultés proviennent essentiellement de problématiques autres que l'algorithme lui-même. En effet, ce que l'on reprochait à APB, notamment dans le contexte médiatique, n'était pas lié directement à l'outil, mais aux capacités d'accueil limitées à l'université, et au fait de procéder à un départage par tirage au sort. APB n'est donc, finalement, que le symptôme d'un mal plus profond, qui renvoie au manque de places dans des filières universitaires censées être non sélectives, mais qui le deviennent de fait. Lever ce frein aurait constitué un facteur d'amélioration considérable de la plateforme, et limité énormément les retours négatifs.

Ceci étant, diverses améliorations pourraient être apportées au logiciel lui-même. Elles concernent notamment le manque d'information ressenti par les utilisateurs. Ainsi, lorsqu'un jeune apprend que son sixième voeu a été satisfait, la première question qu'il se pose concerne les raisons pour lesquelles ses cinq choix précédents n'ont pas reçu d'issue favorable. L'absence d'explication est difficile à gérer et à comprendre pour un lycéen dont certains camarades de classe, parfois moins bons élèves que lui, ont obtenu des affectations qu'il avait choisies, et pour lesquelles il n'a pas été retenu. Il s'agit, indéniablement, d'un facteur d'incompréhension.

Le manque d'information concerne également les listes d'attente. Les candidats concernés ignorent, par exemple, quel est leur rang sur la liste, donc si cela vaut la peine d'attendre, ou pas. Cette situation est extrêmement anxiogène.

En outre, nous partageons l'analyse selon laquelle le système n'est pas forcément bien adapté, dans sa forme actuelle, à la problématique des réorientations, ou à la situation des personnes souhaitant revenir étudier à l'université, après une période d'exercice professionnel. Ces candidats doivent-ils passer par une telle plateforme ? Quelle forme cela doit-il prendre ? Ces questions méritent d'être examinées.

Par ailleurs, il a été indiqué qu'un certain nombre de filières n'étaient pas accessibles via APB. Cette situation entraîne des difficultés pour les jeunes, qui ne disposent pas, au moment de faire leurs choix, d'une vision globale des possibilités qui s'offrent à eux. Elle renvoie, plus largement, à la problématique générale de l'orientation au lycée, qui nécessiterait d'avoir connaissance de l'ensemble des débouchés envisageables dans l'enseignement supérieur. Si certains interlocuteurs sont clairement visibles, on pense essentiellement à l'université, mais aussi aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), et aux BTS, souvent gérés par les lycées donc connus des lycéens, d'autres, en revanche, comme les IEP ou les Instituts en soins infirmiers, le sont moins, si bien que les candidats potentiellement intéressés ne savent pas toujours, d'une part, qu'ils existent, d'autre part, comment procéder pour s'y inscrire.

La difficulté tient aussi au fait que les jeunes bacheliers reçus, dans un premier temps, dans une filière via la plateforme, puis obtenant une place dans l'une des formations ne participant pas à APB ne libèrent pas automatiquement la place qu'ils s'étaient vu proposer par l'intermédiaire du portail, pour qu'un autre inscrit puisse en bénéficier. C'est principalement ce qui a dû se passer en Île de France l'an dernier pour la filière PACES : le nombre de candidats étant supérieur aux capacités d'accueil, ces dernières ont été augmentées artificiellement, mais le nombre d'inscrits s'est révélé finalement inférieur, en septembre, à la capacité prévue.

Le manque d'accompagnement est également un problème pour un jeune confronté à un choix qui va sans doute définir une grande partie de sa vie professionnelle, donc de sa vie tout court. Malgré la présence de guides sur la plateforme, le candidat se retrouve rapidement seul face à son ordinateur, à cocher des cases et à formuler des voeux, en ayant le sentiment qu'il n'aura pas de seconde chance et donc qu'il n'a pas le droit à l'erreur. Le choix effectué est souvent perçu comme définitif, ce qui est souvent vécu par les lycéens comme quelque chose d'assez violent.

Enfin, le dernier élément concerne le calendrier, qui peut poser problème. Ainsi, le fait d'obtenir les résultats pendant la période de révisions du baccalauréat peut être assez déstabilisant, lorsque le voeu retenu n'est pas celui que le jeune avait fait figurer en tête de sa liste. Imaginez les conséquences psychologiques que cela peut avoir sur lui et sur la gestion de sa période de révisions. L'impact symbolique est également assez fort. Il est en effet plutôt problématique de se dire que l'on est reçu dans un établissement d'enseignement supérieur, alors même que l'on n'est pas encore titulaire du diplôme qui en ouvre en principe les portes, à savoir le baccalauréat.

Pour ce qui est de l'avenir, nous sommes relativement inquiets quant aux propositions avancées. Nous ne sommes absolument pas opposés à tout changement, dans la mesure où nous avons mesuré les limites de cette plateforme, mais nous nous interrogeons notamment sur la non hiérarchisation des voeux, et le surbooking que cela va entraîner de fait. Ceci risque fort de conduire à une explosion des files d'attente dans les différentes filières, puisque les dix voeux vont tous être placés dans la même file, au même niveau. Comment gérer cette situation ? Comment la place d'un candidat dans la file d'attente sera-t-elle définie ? Nous veillerons à ce que ce placement, et plus largement la future plateforme, ne soient pas des facteurs de reproduction sociale. Il s'agit, pour la FAGE, d'un point de vigilance extrêmement important, qui correspond à l'une de nos valeurs essentielles. Nous avons le sentiment que l'enseignement supérieur doit servir d'ascenseur social, notamment pour les catégories les plus défavorisées. Il ne faudrait pas que la nouvelle plateforme conduise à reproduire des inégalités.

Cette remarque m'incite à revenir sur un élément du précédent portail, sur lequel les voeux devaient se faire en priorité par académie, et non par proximité géographique avec les établissements. Dans une région comme l'Île-de-France, si l'on passait, par exemple, son baccalauréat dans l'académie de Créteil, il était, selon cette logique, très compliqué d'accéder à des universités situées dans Paris intramuros, considérées comme plus prestigieuses. Les jeunes issus des lycées de banlieues se retrouvaient ainsi concentrés dans les universités de Bobigny ou de Villetaneuse, sans pouvoir en sortir, ce qui pose la question de la mixité sociale dans les universités, et de la concentration des difficultés dans certains établissements.

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