Intervention de Édouard Durand

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 16 novembre 2017 : 1ère réunion
Audition de M. édouard duRand magistrat et de Mme Ernestine Ronai co-présidents de la commission « violences de genre » du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Édouard Durand, vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes :

Oui. Les magistrats raisonnent au cas par cas, et c'est leur fonction : individualiser la réponse civile ou pénale aux enjeux d'une situation particulière. Mais ils ne peuvent pas faire l'économie des grands modèles, au risque de devenir arbitraires. Souvent, toutefois, au cas par cas, le juge aux affaires familiales fait la même chose, et décide systématiquement l'exercice conjoint de l'autorité parentale dans le cadre de la garde alternée ou du droit de visite et d'hébergement classique, parce qu'il ne se réfère pas à ces grands modèles devant guider le travail des juges...

Selon certains, dans une optique féministe, la résidence alternée permettrait aux mères de dégager davantage de temps pour leur vie personnelle ; c'est illusoire ! Ce qu'elle ferait une semaine comme mère, elle le ferait la semaine suivante comme belle-mère. En tant que législateurs, faites attention à l'espace que vous pensez créer pour ces femmes ; ce n'est pas la bonne solution.

Avec les lois de 2010 et de 2014, le législateur a exclu le recours à la médiation pénale dans le cas de violences conjugales. On ne peut pas avoir d'alternative aux poursuites pénales ni poursuivre son agresseur sous réserve de sa participation à la médiation pénale ? cela mettrait les deux personnes sur un même plan. Mais le législateur a, parallèlement, ouvert la possibilité de la médiation familiale, donc civile, ordonnée par le juge aux affaires familiales et non par le procureur de la République, dans le cadre de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle12(*) . Or cette justice a plutôt comme modèle l'industrie du XIXe siècle : il faut aller toujours plus vite et tendre à des modèles de traitement « tout faits »... Il faut, j'en suis convaincu, que la loi prévoie une exception très claire à la médiation familiale, notamment en cas de violences conjugales, en l'excluant dès lors que les violences sont alléguées, et pas seulement commises. Pour éviter la médiation, il suffirait alors de dire qu'on a été victime de violences pour que le juge se saisisse ensuite du fond du dossier.

Nous sommes souvent victimes d'une illusion d'optique : depuis longtemps, les agresseurs sexuels bénéficient d'une attention sociale, et notamment de soins, éventuellement sous contrainte. Je suis favorable au contrôle par la société des soins aux sujets violents, à ce retrait de liberté nécessaire pour préserver de la violence tant l'espace public que l'espace privé. Mais nous devons avancer au rythme des victimes et non à celui des agresseurs, même si le parcours de soins de l'agresseur est très important, long et patient, et qu'il lui permet de ne plus être violent. Le psycho-traumatisme de la victime peut être très grave. La psychologue Linda Tromeleue nous met en garde : « nous ne devons pas nous laisser infiltrer par la pensée de l'agresseur, car il s'agit de grande criminalité ».

Il existe déjà un interdit - et une infraction - d'atteinte sexuelle pour une relation sexuelle avec un enfant de 14 ans au plus, et cette qualification a été utilisée à Pontoise pour poursuivre l'agresseur devant le tribunal correctionnel. La loi ne dit pas qu'on est majeur sexuellement à partir de 15 ans - l'idée de majorité sexuelle est perverse - car un enfant est mineur jusqu'à 18 ans, et ses parents sont responsables de sa protection, y compris sur le plan de la découverte de sa sexualité. Mais un majeur ne commet pas d'infraction si le mineur de 15 ans ou plus est consentant.

À Pontoise, la société est parvenue à voir la scène, ce qu'il y avait de choquant à se représenter une pensée égalitaire entre cet adulte et cette enfant de 11 ans et les conséquences de cet acte sur le développement mental, affectif, corporel et sexuel de l'enfant. Mais nous avons des injonctions sociales très contradictoires : voyez l'hypersexualisation des enfants, sur laquelle Chantal Jouanno a publié un rapport13(*). Le pédopsychiatre Maurice Berger a écrit un article : « Que reste-t-il du rôle civilisateur du complexe d'OEdipe ? », dans un environnement affecté d'un côté par l'hypersexualisation de l'enfance, et l'accès précoce à la sexualité, et de l'autre, par une volonté de perfectionner la protection de l'enfance...

Ce qui est moral, c'est de protéger le développement de l'enfant, car il est vulnérable et garant de la continuité du monde. Il faut fixer un seuil d'âge en dessous duquel l'agression est systématiquement qualifiée d'agression sexuelle ou de viol. Un acte sexuel reste possible entre adultes et avec un mineur de 15 ans ou plus, si cet âge est retenu, s'il n'y a ni menace, ni contrainte et ni surprise. En deçà de ce seuil, l'agression est systématiquement constituée.

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