Intervention de Ernestine Ronai

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 16 novembre 2017 : 1ère réunion
Audition de M. édouard duRand magistrat et de Mme Ernestine Ronai co-présidents de la commission « violences de genre » du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, co-présidente de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes :

Je voudrais revenir sur la correctionnalisation.

Dans l'enquête que nous avons réalisée en Seine-Saint-Denis, 46 % des agressions sexuelles jugées devant le tribunal correctionnel étaient en réalité des viols. C'est énorme ! Quel est l'intérêt de la cour d'assises ? Certes, elle coûte cher, mais elle présente le grand avantage de juger selon une procédure orale, ce qui signifie que la victime et l'agresseur entendent les éléments du dossier lors de l'audience, les experts, la famille.

La valeur pédagogique de ce principe est très forte, car la victime peut se reconstruire et l'agresseur peut reconnaître les faits, même s'il était dans le déni au départ. Or la compréhension est essentielle pour la prévention de la récidive. Tout le monde sait aussi que les avocats de la défense peuvent être durs avec la victime, et donc extrêmement déstabilisants pour elle. C'est pourquoi la personne qui vient en cour d'assises ne doit pas être seule ; elle doit être accompagnée par une association et préparée à la cour d'assises.

Il est inexact d'affirmer que les affaires jugées en cour d'assises ne donnent pas lieu à condamnation. En Seine-Saint-Denis, selon l'enquête que nous avons réalisée, la décision de poursuivre par le procureur a donné lieu à 92 % de condamnations en cour d'assises et à 82 % en correctionnelle, soit une bonne moyenne de condamnation dans les deux cas. En réalité, quand l'enquête est bien menée, les faits peuvent être reconnus. Il ne faut pas sous-estimer la qualité de l'enquête, capitale pour la suite de la procédure. Or tous les magistrats ne sont pas sensibilisés à son importance.

J'ai indiqué que l'ADN était pris en compte dans 33 % des cas en cour d'assises, et beaucoup moins en correctionnelle. Cela dit, l'ADN n'est pas le seul élément déterminant de preuve.

Autre élément en faveur du maintien des cours d'assises, peut-être en les améliorant : selon le procureur adjoint de Bobigny, les jurés de la société civile ne jugent pas plus mal que les juges de métier, qui peuvent ne pas être très favorables aux victimes. Il faut impérativement dire le droit aux jurés. Personnellement, je reste assez attachée à la cour d'assises et aux moyens qui lui sont accordés.

Sur la question du viol conjugal, le nombre de plaintes est en augmentation, de même que celui des condamnations, si les plaintes sont correctement traitées. La notion de « devoir conjugal » commence à s'estomper ! Grâce aux médias, les Français prennent conscience qu'un viol conjugal, cela existe. Sans doute avons-nous encore besoin d'une campagne de grande ampleur, après celle de mars 2016 sur les agressions sexuelles et les viols. La société est prête, agissons en accord avec elle : télévisions, affiches, flyers...

Vous avez un rôle à jouer pour nous aider. Ce n'est pas à vous que j'apprendrai l'histoire du budget ridiculement petit du secrétariat d'État chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes. Nous devons engager un vrai travail dans ce domaine, en ayant le souci de rétablir l'expression « droits des femmes » dans l'intitulé de ce département ministériel. C'est à mes yeux très important de parler de violences faites aux femmes plutôt que de violences sexuelles et sexistes, car dans la société actuelle, ce sont les femmes qui sont majoritairement victimes de violences, notamment dans l'espace privé et par une personne connue dans 90 % des cas. Le profil des hommes victimes est différent : les hommes subissent plutôt des violences physiques dans l'espace public, et par des inconnus. Poursuivons donc les efforts consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes.

J'en viens aux circonstances aggravantes.

L'inceste est défini depuis 2016 par le code pénal, mais celui-ci n'a pas prévu une peine spécifique à la hauteur de la gravité de l'inceste. Le fait que l'auteur exerce sur le mineur une autorité est une chose, mais il faudrait ajouter une autre mention différenciant l'inceste du viol ou de l'agression sexuelle. Une agression au sein de la famille ne peut être traitée comme les autres cas.

Je vous rappelle que dans notre avis sur le viol, nous proposions que, jusqu'à 18 ans, une relation entre un majeur détenteur de l'autorité parentale et un mineur de 18 ans sur lequel s'exerce cette autorité soit considérée ipso facto comme un viol ou une agression sexuelle. Cette idée me paraît très importante et pourrait être intégrée dans une future loi.

Je vous remercie sincèrement de votre attention et de vos questions, car grâce à vous, des évolutions sont possibles. Je connais déjà l'engagement de certains d'entre vous sur ces sujets. Ce combat est long et difficile. Pour le mener à bien, nous avons besoin de vous ! (Applaudissements.)

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