Intervention de Pierre Médevielle

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 décembre 2017 à 9h30
Déplacement à bruxelles sur le thème du glyphosate — Communication

Photo de Pierre MédeviellePierre Médevielle :

Dans le cadre d'un déplacement conjoint de notre commission et de la commission des affaires européennes, nous nous sommes rendus à Bruxelles avec nos collègues Guillaume Chevrollier et Claude Haut, le jeudi 7 décembre, sur le thème du glyphosate.

Nous avons rencontré des membres de la représentation permanente de la France, des membres du cabinet du commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire et enfin le commissaire lui-même, Vytenis Andriukaitis.

L'objectif était de mieux comprendre le traitement de ce dossier au niveau européen et ses perspectives, à l'issue du vote qui a réuni une majorité d'États-membres en faveur d'un renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour une durée de 5 ans, lors de la réunion du comité d'appel du 27 novembre dernier.

Permettez-moi de revenir un instant sur la procédure. L'évaluation et l'autorisation menées au niveau européen portent sur les substances actives. Ce processus est coordonné par l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) qui s'appuie sur l'évaluation collective réalisée par les États membres. En pratique, un dossier d'évaluation est soumis par le demandeur à l'État membre de son choix, qui est désigné « État rapporteur ». Cet État est chargé d'examiner le dossier et de rédiger un projet de rapport d'évaluation adressé à l'EFSA. Pour le glyphosate, l'État rapporteur était l'Allemagne.

L'EFSA transmet ensuite ce projet aux autres États membres, recueille leurs commentaires et organise les discussions entre les experts de ces États (l'Anses pour la France). Le rapport d'évaluation final de l'EFSA est envoyé pour examen à la Commission, qui propose une décision d'approbation ou de non-approbation, soumise aux représentants des États membres au sein d'un comité permanent. Pour le glyphosate, le dossier a également été soumis à l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui est compétente sur le caractère cancérigène des produits chimiques.

Les agences sanitaires des États membres et les agences européennes ont jugé collectivement que les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de justifier un non-renouvellement de l'autorisation de cette substance active au niveau européen. L'annonce par le Gouvernement français d'une interdiction d'ici trois ans du glyphosate est donc une décision d'ordre politique, à distinguer du processus d'évaluation scientifique mené par les agences nationales et européennes.

Plusieurs points méritent d'être relevés.

Premièrement, il faut rappeler que la législation européenne prévoit une autorisation des substances actives au niveau européen, tandis que les préparations, qui contiennent ces substances, font l'objet d'une évaluation et d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) décidées au niveau national.

La faculté d'un État membre d'interdire unilatéralement une substance active autorisée au niveau européen, sans disposer d'éléments scientifiques permettant de fonder cette décision, paraît donc fragile juridiquement. C'est au niveau des AMM que les marges de manoeuvre existent, en visant non pas la substance active en tant que telle mais les préparations.

Comme je l'avais évoqué lors de nos discussions budgétaires sur la prévention des risques, l'Anses a par exemple décidé en 2016 de retirer les AMM de 132 préparations contenant du glyphosate et de la tallowamine, qui est un excipient tensioactif qui augmente le pouvoir de pénétration du glyphosate mais présente une grande toxicité dans les milieux aquatiques, notamment pour les poissons. En cas de risques avérés, il est donc possible d'agir par ce moyen au niveau national.

Deuxièmement, il faut souligner que le processus d'autorisation des produits phytopharmaceutiques, qu'il s'agisse des substances actives ou des préparations, englobe une série de considérations bien plus étendues que le seul caractère cancérigène, notamment en matière de toxicité, de présence résiduelle dans l'alimentation ou de protection de l'environnement.

La polémique récemment observée ne portait donc que sur une fraction du sujet. Par ailleurs, les experts et responsables que nous avons rencontrés jugent que le classement du glyphosate en substance cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) s'apparente à une surévaluation des risques, en l'état actuel des connaissances. Dans un avis rendu en février 2016, l'Anses avait expressément fait valoir cette position.

Je précise toutefois que cela ne remet pas en cause la nécessaire interrogation que nous devons avoir sur les pesticides en général, notamment ceux comportant du glyphosate. Mais il faut avoir une analyse plus exhaustive des enjeux sanitaires et environnementaux.

En l'état, la Commission européenne a proposé un renouvellement de l'autorisation, jugeant que le constat scientifique établi par l'EFSA avec les agences nationales ne justifie pas une interdiction. À défaut, la Commission considère qu'elle s'exposerait à d'importants risques contentieux. La durée relativement brève du renouvellement devrait permettre de disposer d'analyses complémentaires.

Troisième point, au-delà du processus d'autorisation, il faut examiner les conditions d'utilisation. Les impacts du glyphosate sur l'eau et la biodiversité semblent se confirmer. Par conséquent, il faudrait sans doute encadrer davantage l'utilisation des préparations qui contiennent du glyphosate, en particulier près des cours d'eau et des milieux aquatiques. Cela vaut pour l'ensemble des pesticides.

Quatrième point, il est indispensable d'identifier préalablement à toute interdiction des solutions alternatives crédibles et économiquement viables. À défaut, une action isolée de la France risquerait d'avoir des conséquences économiques importantes pour notre agriculture, en créant des distorsions de concurrence.

Saisi début novembre par le Gouvernement, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a rendu un rapport sur les solutions de substitution au glyphosate le 30 novembre dernier. Ce rapport identifie des solutions alternatives, comme le désherbage mécanique, le labour ou encore la culture sous mulchs. Ce rapport est certes volumineux et riche, mais il ne présente que très peu de solutions.

L'INRA relève que les impacts économiques et techniques de ces solutions alternatives varient fortement selon les activités agricoles concernées. Comme le rapport le suggère, au-delà de ce produit, la question posée est plus largement celle de la réduction de la dépendance aux pesticides, qui implique des mutations profondes des activités agricoles, et une nécessaire phase de transition.

Au total, il ressort de ces différents échanges et des publications récentes qu'une approche globale doit être privilégiée, d'une part, en analysant l'ensemble des enjeux sanitaires et environnementaux des pesticides, d'autre part, en tenant compte du nécessaire accompagnement des activités agricoles pour réduire leur dépendance à ces produits. Penser que l'on résoudra le problème des pesticides en ayant une approche binaire, d'autorisation ou d'interdiction totale, me semble méconnaître totalement la réalité. Ce n'est pas ainsi que l'on met en oeuvre une politique de développement durable qui soit pérenne et acceptable pour tous.

Je pense qu'il y a un consensus croissant de la part des utilisateurs, en particulier du monde agricole, sur la nécessité de modérer la consommation de pesticides. La table ronde que notre commission avait organisée en janvier 2016 sur ce sujet en témoigne. Mais il faut qu'elle se traduise concrètement, et qu'elle soit accompagnée par un effort d'innovation et d'aide aux agriculteurs.

En conclusion, ce déplacement nous a permis de remettre en perspective la situation spécifique au glyphosate et les enjeux de réduction de la dépendance à un tel produit. Il faut oeuvrer pour réduire la quantité de pesticides utilisés et mieux maîtriser leurs conditions d'utilisation. À ce stade, les modalités d'une sortie éventuelle du glyphosate doivent encore être précisées, en prenant en compte l'ensemble de ces considérations.

Une autre solution serait l'épandeur dit « intelligent », qui serait équipé de micro-caméras et permettrait d'épandre uniquement sur les mauvaises herbes qu'il identifierait, cela permettrait de diviser par vingt les quantités de produit épandu.

Toutes les agences qui ont évalué ce produit -y compris l'Anses dont on ne peut pas mettre l'honnêteté en doute - ont considéré que le CIRC avait surévalué la dangerosité du produit. Cela a provoqué une crise de confiance envers les agences d'évaluation. Je ne pense pas que le sérieux du travail de ces agences doive être remis en question. Une coordination au niveau européen est envisagée pour que les agences d'évaluation parlent d'une même voix et soient plus réactives. Il faut faire un effort de communication pour rassurer le public et les utilisateurs.

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