Intervention de Élisabeth Lamure

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 décembre 2017 à 9h30
Projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement — Examen du rapport et du texte de la commission en nouvelle lecture

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, rapporteur :

Le 21 novembre dernier, la commission mixte paritaire échouait dans la recherche d'un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Malgré la qualité du dialogue noué avec les rapporteurs de l'Assemblée, nous ne sommes pas parvenus à établir un texte acceptable par les deux assemblées tant nos visions, non pas sur le fond mais sur la marche à suivre pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, sont en réalité irréconciliables.

Je tiens à le rappeler d'emblée, car le Sénat est trop souvent victime de mauvais procès à cet égard : nous sommes plus que jamais convaincus de l'urgence à agir pour le climat ; nos positions passées, très concrètes, en faveur du climat en témoignent.

Nous nous étions ainsi engagés, en son temps, pour la réussite de la COP 21. Lorsque nous défendons la place du nucléaire dans le mix électrique, c'est d'abord parce que c'est toujours la seule source d'énergie capable d'assurer notre sécurité d'approvisionnement en électricité bas carbone et compétitive, et ce à toute heure de la journée, quelles que soient les conditions climatiques - d'ailleurs, les récentes annonces du ministre en la matière attestent de la justesse de cette analyse, même si cette prise de conscience est un peu tardive - ; quand nous faisons adopter une tarification forte du carbone, c'est aussi pour basculer vers un modèle énergétique plus propre ; lorsque nous fixons un objectif de 10 % de gaz renouvelable et, plus généralement, quand nous prônons des mécanismes de soutien maîtrisés aux énergies renouvelables, ou quand nous facilitons le développement de l'autoconsommation, c'est, là encore, pour accompagner la transition vers de nouveaux modes de production et de consommation de l'énergie et non parce que nous aurions « une vision défensive et passéiste de la transition écologique pour notre pays et notre tissu industriel », pour reprendre les propos tenus par le rapporteur de l'Assemblée nationale.

Ce n'est pas parce que nous adhérons à l'objectif du Gouvernement de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles qu'il nous serait interdit d'en discuter la mise en oeuvre, ne serait-ce que pour nous assurer que celle-ci permettra bien de l'atteindre.

Nous ne saurions accepter que notre position soit caricaturée et que l'on confonde la fin et les moyens, comme le font nos collègues députés. Selon les mots de la rapporteure saisie pour avis, la position du Sénat serait « incompréhensible », quand le rapporteur au fond « estime que les sénateurs ont manifesté une incompréhension préoccupante des objectifs comme de la portée [du] texte ».

En d'autres termes, si le Sénat prône une autre méthode, c'est qu'il aurait tout simplement mal compris les fondements d'un texte présentés, par ailleurs, comme « incontestables », alors qu'ils reposent sur une analyse qui a tout du sophisme : les énergies fossiles émettent des gaz à effet de serre ; la production d'hydrocarbures sur le territoire national émet des gaz à effet de serre ; donc l'interdiction de la production nationale réduira nos émissions, comme si nous fonctionnions en vase clos et que la consommation n'était pas déjà couverte à 99 % par des importations.

En clair, ce projet de loi n'aura d'autre effet, comme le soulignait fort bien notre collègue Françoise Férat, que de mettre fin au « produire en France », au prix d'une dégradation de notre balance commerciale et dans l'espoir d'un improbable signal envoyé au monde.

À l'opposé de cette approche dogmatique qui conteste la légitimité de toute autre expression, le Sénat a défendu une vision différente, à la fois pragmatique et ambitieuse, qui entend permettre le développement, chaque fois que c'est possible, de nos filières industrielles, tout en accompagnant leur mutation pour réduire nos émissions.

C'était en particulier le sens de la dérogation que nous avions prévue pour les hydrocarbures à finalité non énergétique, destinés à alimenter la filière pétrochimique et dont l'utilisation finale du produit n'émet pas de gaz à effet de serre. Pour la rejeter, on nous aura opposé des difficultés pratiques de mise en oeuvre - en réalité tout à fait surmontables -, le fait que l'économie circulaire et les produits biosourcés couvriraient tous nos besoins en matières plastiques, bitumes ou autres textiles synthétiques à l'horizon 2040 - c'est très improbable -, ou encore que ces activités pétrochimiques émettraient en elles-mêmes des gaz à effet de serre. Ce dernier constat est à vrai dire valable pour bon nombre d'activités et l'on voit mal en quoi le fait de s'approvisionner en matières premières importées y changerait quoi que ce soit, sinon pour aggraver leur bilan carbone.

Nous avions également souhaité étendre la dérogation introduite à l'Assemblée pour le gaz de Lacq à d'autres usages connexes, mais il faut croire que la production de chaleur locale est moins légitime et moins vertueuse que celle du soufre !

Pour ne pas insulter l'avenir, nous avions également prévu une dérogation pour la recherche très strictement encadrée, notamment après l'adoption d'un amendement du groupe CRCE. Il était uniquement question de recherche publique, réalisée à seules fins de connaissance du sous-sol ou de surveillance et de prévention des risques miniers, sans recours à des techniques interdites, ni possibilité d'exploiter. On nous a objecté que la recherche pouvait se poursuivre sans qu'il soit nécessaire de délivrer des permis et, surtout, que cette disposition « pourrait attiser les craintes » que la prospection d'hydrocarbures continue.

En séance publique, le Sénat avait aussi souhaité que les régions d'outre-mer bénéficient d'un traitement particulier qui leur permette, conformément à la compétence qui leur est théoriquement dévolue, d'exploiter les ressources présentes au large de leurs côtes pour favoriser leur développement économique et social. Pour n'évoquer que le cas de la Guyane, il s'agissait de répondre à la situation paradoxale d'un territoire dont on connaît les difficultés, mais qui ne pourrait profiter des ressources que ses voisins immédiats, le Guyana et le Suriname, exploitent dans la même zone.

Enfin, nous étions revenus sur l'encadrement du droit de suite, pour assurer un profit minimal aux exploitants, et nous avions encore tenté de concilier, s'agissant des demandes en cours d'instruction, le respect de la parole de l'État et l'horizon de 2040 visé par le Gouvernement.

Sur tous ces points, sans exception, les députés ont rétabli en nouvelle lecture les articles 1er et 2 dans la rédaction adoptée par l'Assemblée en première lecture. De même, ont été supprimés les apports du Sénat visant à tenir compte des délais dans lesquels l'administration accorde des prolongations de permis de recherche, qui sont pourtant de droit ; à faciliter la conversion ou la cession des installations, à l'exception de la concertation maintenue avec les collectivités ; ou à protéger les informations couvertes par le droit d'inventeur ou de propriété intellectuelle.

Parmi les quelques amendements sénatoriaux préservés sur ce volet « hydrocarbures », je citerai la présentation des contrats de transition écologique et solidaire dans le rapport demandé à l'article 3 bis ; l'extension du rapport de l'article 3 ter sur l'impact environnemental des hydrocarbures à l'ensemble des produits consommés, qui permettra de comparer l'impact respectif de la production locale et des importations ; la publication annuelle par les importateurs de l'intensité d'émissions de gaz à effet de serre des produits qu'ils importent, ou encore l'actualisation trimestrielle des demandes de titres ou des titres mis en ligne.

Concernant, enfin, l'article 3 relatif à l'interdiction des techniques dites « non conventionnelles » - un débat que nous n'avions pas souhaité rouvrir au vu de son absence de portée pratique -, l'Assemblée n'a certes pas remis en cause la codification opérée par le Sénat de la loi de 2011, que nous avions abrogée en conséquence, mais en a étonnamment rétabli l'un des articles, qui n'a plus lieu d'être, manifestement pour en préserver le symbole. Nous ne sommes plus à un symbole près, mais l'intelligibilité du droit n'y gagne pas.

Surtout, les députés sont à nouveau revenus sur la définition même des techniques interdites, dans des termes dont je vous laisse apprécier la clarté : « toute autre méthode conduisant à ce que la pression de pore soit supérieure à la pression lithostatique de la formation géologique, sauf pour des actions ponctuelles de maintenance opérationnelle ou de sécurité du puits ».

Même si la définition précédente n'était pas forcément satisfaisante sur le plan scientifique, une telle formulation pose à mon sens plusieurs problèmes : au vu de sa technicité, elle ne relève sans doute pas de la loi ; elle confirme, par ailleurs, qu'il est difficile de distinguer entre les méthodes conventionnelles ou non conventionnelles, puisqu'elle admet des exceptions dans lesquelles l'intégrité de la couche géologique pourra être altérée. Comment et par qui seront appréciés le caractère ponctuel comme la nécessité de telles actions ? Il existe, me semble-t-il, un risque que des techniques jusqu'à présent considérées comme conventionnelles soient remises en cause.

J'en viens maintenant au reste du texte, sur lequel la majeure partie des apports du Sénat a été conservée. C'est le cas de l'article 4, où la réforme du stockage souterrain du gaz naturel a été intégrée directement dans la loi plutôt que renvoyée à une ordonnance. Toutefois, l'Assemblée nationale a profité de cet article pour traiter de la réduction des coûts de raccordement aux réseaux de transport des installations de biogaz. C'est un ajout bienvenu sur le fond, pour favoriser le développement de la méthanisation, mais son adoption en nouvelle lecture pose clairement un problème de recevabilité au titre de l'article 45 de la Constitution qui exige, après la première lecture, une « relation directe » avec une disposition restant en discussion. En l'espèce, on peut douter qu'elle existe.

De même, à l'article 5 bis relatif au raccordement des énergies marines renouvelables, l'Assemblée n'a pas remis en cause l'extension, votée par le Sénat, de l'indemnisation du producteur aux dysfonctionnements et avaries portant sur l'ensemble du réseau d'évacuation et non sur sa seule partie marine. Les députés ont cependant retenu une rédaction différente qui fait craindre de nouveaux questionnements sur le périmètre exact des ouvrages qu'elle recouvre.

À l'article 5 ter A, relatif aux réseaux intérieurs, après quelques flottements entre la commission et la séance, les députés ont finalement retenu une approche très voisine de celle du Sénat, quoiqu'un peu plus large, pour les cantonner aux « immeubles à usage principal de bureaux », ce qui est satisfaisant.

À l'article 6, relatif au contrôle des biocarburants, nous pouvons aussi nous féliciter de l'adoption conforme par l'Assemblée du dispositif transitoire de protection introduit par le Sénat pour lutter contre la concurrence déloyale de certains biocarburants importés, notamment en provenance d'Argentine.

Je n'en dirai pas autant de l'article 6 bis qui traite de la distribution suffisante de carburants compatibles avec tous les types de véhicules, pour lequel les députés ont rétabli l'obligation de double distribution dans chaque station-service qui mettrait à la vente des nouveaux biocarburants.

Une telle obligation relève d'une surtransposition du droit communautaire et fragilisera encore le secteur de la distribution de carburants, déjà sinistré, en particulier en milieu rural. Le rapporteur de l'Assemblée a considéré que la « couverture géographique appropriée » que nous préconisions revenait à imposer des obligations à certains distributeurs et pas à d'autres, ce qui créerait des distorsions de concurrence. Or, il me semble qu'une telle différence de traitement, assise par exemple sur le volume de carburants vendu, serait parfaitement justifiée par un motif d'intérêt général, celui de la préservation d'un maillage suffisant du territoire.

À l'article 7, les députés sont revenus à une révision tous les quatre ans du plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques, une périodicité exigée par le droit européen, de même qu'a été rétabli, à l'article 7 bis, le caractère obligatoire des mesures arrêtées par le préfet en cas de dépassement des valeurs limites de particules fines.

J'en terminerai par une série d'apports du Sénat qui ont été confortés ou adoptés conformes à l'Assemblée nationale : la faculté pour les communes de déployer des stations de recharge en gaz ou en hydrogène, qui a été étendue au ravitaillement des navires dans les ports ; la possibilité pour les EPCI adoptant un plan climat-air-énergie territorial à titre facultatif, ainsi que pour les syndicats d'électricité, de réaliser des actions de maîtrise de la demande d'énergie ; la réforme des sanctions applicables en cas de non-respect de l'obligation de pavillon français ; ou encore l'assouplissement des obligations d'économies d'énergie des distributeurs de fioul domestique.

Au sortir de cette nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, nous pouvons donc tirer un bilan très contrasté : sur le volet le plus politique du texte, c'est-à-dire sur les hydrocarbures, aucune de nos propositions ou presque n'aura survécu. En revanche, sur les parties plus techniques, l'essentiel des apports du Sénat aura été préservé, signe que la qualité de notre travail a été reconnue.

Je l'ai dit en introduction, si nous partageons l'objectif, les approches de nos deux assemblées sur la façon de l'atteindre divergent trop fortement pour qu'un compromis puisse être trouvé et rien n'indique qu'une nouvelle lecture au Sénat nous permettrait de progresser dans cette voie. Au-delà des hydrocarbures, la même analyse me conduit à dire que, sur les quelques points de désaccord restants, nous n'obtiendrons rien de plus à réaffirmer nos positions.

C'est pourquoi je vous propose de déposer en séance, au nom de la commission, une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi tel qu'adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture et, à ce stade, de ne pas adopter de texte de la commission.

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