Intervention de Pierre Médevielle

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 décembre 2017 à 8h35
Politique de coopération — Partenariat oriental : communication de mm. rené danesi pierre médevielle et andré reichardt

Photo de Pierre MédeviellePierre Médevielle :

Pour ma part, je ferai un point sur les six pays du Partenariat oriental face à l'offre européenne, en commençant par l'Arménie.

Lors du cinquième sommet du Partenariat oriental qui s'est tenu à Bruxelles le 24 novembre dernier, l'Union européenne et l'Arménie ont signé un accord de partenariat complet et renforcé. On se souvient qu'en 2013, l'Arménie avait fait volte-face et n'avait pas voulu mener à bien les négociations d'un accord plus ambitieux, car elle cherchait, au même moment, à obtenir un statut de membre de l'Union économique eurasiatique (UEE), à la demande de la Russie.

Le gouvernement arménien invoquait alors la nécessité de renforcer ses liens sécuritaires avec la Russie qui, elle, soulignait des incompatibilités entre l'appartenance à l'UEE et les contraintes d'un accord de partenariat avec l'Union européenne. Peu de temps après, l'Union européenne acceptait de négocier un nouvel accord moins important et moins contraignant que le premier projet.

L'Union européenne et l'Arménie étaient déjà liées par un accord de partenariat et de coopération depuis 1999 et par un plan d'action conclu en 2006 dans le cadre de la politique européenne de voisinage. En outre, depuis 2014, l'Union européenne a signé un accord avec l'Arménie sur la facilitation de l'octroi de visas. Entre 2014 et 2017, l'Union a versé 170 millions d'euros d'aide à l'Arménie pour aider au développement du secteur privé et favoriser les réformes du secteur public et du pouvoir judiciaire. L'Union aide également l'Arménie dans son programme de contrôle aux frontières et dans celui de la réforme de l'organisation territoriale. L'Arménie a accès à Erasmus Mundus.

Le nouvel accord avec l'Arménie est moins large que ceux signés avec l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. En effet, il ne comprend plus de dispositions en faveur du libre-échange dans la mesure où, sur ces questions, l'Arménie dépend désormais de l'UEE et ne peut plus s'engager avec des pays tiers. Erevan est satisfait de cet équilibre. L'accord ne porte donc que sur le renforcement des structures démocratiques et de la bonne gouvernance, le développement de l'économie de marché, la coopération régionale et la coopération culturelle.

J'en viens à l'Ukraine. Alors que le conflit à l'est du pays entre dans sa quatrième année et que les accords de Minsk ne sont correctement appliqués ni par la Russie ni par l'Ukraine, la survie de l'État ukrainien semble relever d'un miracle ou, tout du moins, d'un mystère. Deux phénomènes doivent être relevés : le premier, ancien, est la corruption endémique et le second, nouveau, est un nationalisme exacerbé, qui est une réaction à la mauvaise entente avec le voisin russe. Ces deux problèmes rendent difficiles les relations de l'Ukraine avec ses voisins, comme avec l'Union européenne. Cependant, l'Ukraine, ayant besoin du contrepoids de l'Union européenne - qu'elle juge, à ce stade, insuffisant -, rappelle régulièrement l'importance qu'elle attache à l'accord d'association, dont la mise en oeuvre est lente et peu convaincante. Il faut toutefois noter que la loi sur la décentralisation, qui permet le regroupement de communes, semble porter ses fruits et aussi que la croissance pour 2017 devrait s'établir à 2 %.

La Géorgie, comme l'Ukraine, regrette la frilosité de l'Union européenne sur la question de l'élargissement, tout comme le fait que la déclaration conjointe n'ait pas fait ouvertement état des conflits gelés qui perturbent la région. Elle se plaît à rappeler que les accords d'association - ceux conclus avec elle-même, l'Ukraine et la Moldavie, à la différence de celui conclu avec l'Arménie - appartiennent à une nouvelle génération d'accords au titre desquels les pays associés doivent absorber 80 % de l'acquis communautaire.

La Biélorussie, qui a contracté une forme d'association fédérale avec la Russie, souhaite maintenir un équilibre subtil et avantageux entre l'Est et l'Ouest. C'est pourquoi elle continue à envisager un accord avec l'Union européenne, mais de préférence sur le « mode arménien ». Aujourd'hui, elle négocie un accord sur la facilitation des visas, qui portera sur un allègement du coût des documents, une simplification des formalités et une exemption pour les diplomates. Pour l'instant, l'Union souhaite introduire une clause suspensive liée au respect des droits de l'Homme, clause que rejette la Biélorussie au nom de la discrimination. Celle-ci se veut pragmatique, d'autant qu'elle n'a pas la partie facile dans sa relation avec la Russie. Elle a d'ailleurs rappelé que, si elle entretenait des relations fortes avec la Russie pour des raisons historiques sur le plan tant politique qu'économique, ces liens ne devaient en aucun cas être perçus par l'Union européenne comme un alignement sur la diplomatie du Kremlin.

S'agissant de la Moldavie, la réforme électorale du 20 juillet dernier visait ostensiblement à nuire à l'émergence d'une opposition véritablement européenne : elle a renforcé la dérive autoritaire du pays. Cette réforme peut apparaître comme la énième manifestation de l'incessant combat entre pro-Russes et pro-Européens en Moldavie. Il convient de rappeler que ce pays a des forces militaires russes stationnées sur son territoire en Transnistrie. La question de cette région séparatiste demeure un défi majeur pour la Moldavie. Les négociations en vue d'un règlement de ce conflit gelé piétinent depuis 2011. Cependant, grâce à un protocole bilatéral, la zone de libre-échange approfondi et complet a été étendue à la Transnistrie depuis le 1er janvier 2016.

L'Azerbaïdjan fait l'expérience d'une crise économique pénible qui a commencé avec la chute des prix du pétrole et s'est étendue à l'ensemble de l'économie. Le gouvernement a pourtant réagi : restrictions budgétaires, restructuration bancaire, lutte contre l'inflation. Dans ces conditions, il semble assez naturel que ce pays, qui fait figure de mauvais élève en matière de droits de l'Homme aux yeux de l'Union, souhaite cependant rentrer en grâce et évoque la possibilité d'un accord.

L'Azerbaïdjan recherche un équilibre entre l'Est et l'Ouest pour s'assurer suffisamment de liberté par rapport aux Russes, qui soutiennent l'Arménie dans le conflit du Haut-Karabagh, et aux Turcs, qui veulent jouer les grands frères.

Les six pays du Partenariat oriental qui ont tous, à des degrés divers, des régimes autoritaires, partagent la problématique des pays à cheval sur deux aires d'influence. L'Union a compris qu'il leur revenait de choisir eux-mêmes la forme de cet équilibre instable qui leur est dicté par la géographie, sinon par l'Histoire. Ces pays sont écartelés entre deux modèles. L'un est plus contraignant et renvoie au passé ; l'autre, le modèle européen, est souhaité par les jeunes générations qui se tournent vers l'avenir : plus exigeant sur le plan des réformes, il est toutefois plus généreux.

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