Intervention de Michel Raison

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 décembre 2017 à 8h35
Agriculture et pêche — Composition des engrais : communication de m. michel raison

Photo de Michel RaisonMichel Raison :

Je souhaite vous entretenir, mes chers collègues, d'un sujet en apparence technique et bien austère : celui du projet de révision du règlement de 2003 sur les engrais, dont l'initiative revient à la Commission européenne. Ce projet vise, en particulier, à réduire l'utilisation des matières fertilisantes contenant du phosphate. Il concerne donc très directement nos agriculteurs.

Le débat sur les engrais phosphatés repose sur trois éléments principaux : il s'agit de concilier les objectifs de santé publique, de respect de l'environnement, ainsi que de compétitivité de notre agriculture. Mais, fort heureusement, dans le cas des engrais, le travail de fond, en cours d'examen, est mené dans des conditions « normales », empreintes de sérénité.

Mon propos visera ainsi à vous éclairer sur trois points. Quels sont les points clés de ce projet ? Quelle en est la dimension environnementale ? Quelles sont les implications géopolitiques d'un éventuel changement de nos sources d'importation de phosphate ?

Le nouveau projet de règlement envisagé, qui fait partie du « paquet économie circulaire », revêt, à lui seul, une portée assez large. En effet, en l'état actuel du droit, la réglementation porte essentiellement sur les engrais minéraux, principalement les phosphates importés. Or, de nouveaux engrais organiques ou utilisant des déchets ne sont pas pris en compte. La Commission propose d'encourager leur utilisation, en leur assurant un accès équivalent au marché.

Cette initiative vise également à harmoniser les règles européennes pour la commercialisation de produits fertilisants sur le marché communautaire, à commencer par les niveaux admissibles de cadmium. J'y reviendrai dans un instant.

S'y ajoute la création d'une procédure d'approbation pour la commercialisation des engrais à diffusion retardée et lente.

L'Union européenne souhaite aussi octroyer un label « CE » aux engrais organiques à base de déchets pour en améliorer la commercialisation. Ce label indiquerait aux consommateurs que lesdits produits respectent les critères de qualité, de sûreté et d'intérêt écologique prévus au niveau européen.

D'une façon générale, l'objectif poursuivi consisterait à réduire d'un tiers les importations de phosphates de l'Union : de 6 millions à 4 millions de tonnes par an.

J'en arrive à la dimension environnementale du projet de règlement. Le phosphate naturel importé contient du cadmium. Ce métal lourd est extrêmement toxique et cancérigène, en raison de sa durée très longue de rétention dans l'organisme humain. En outre, il se substitue au calcium dans le cristal osseux, dont il érode les propriétés mécaniques.

D'une façon générale, la concentration en cadmium de l'écorce terrestre est assez faible : de l'ordre de 0,1 à 1 milligramme par kg. Mais il existe des sources de pollution, aussi bien dans l'atmosphère et les sols qu'en milieu aquatique, du fait, notamment, des rejets industriels et de l'incinération des ordures ménagères. S'y ajoutent, en milieu urbain, l'impact de l'usure des pièces mécaniques d'automobile, des pneus ou des canalisations en fer galvanisé, voire les rejets de fumée des cigarettes.

En France, la teneur de cadmium dans l'air peut être estimée, en moyenne, à 1 nanogramme (c'est-à-dire 10 puissance moins 9 grammes) par m en zone rurale et à 20 nanogrammes par m en zone industrielle. Au niveau des sols, sur certaines parcelles polluées, on peut toutefois enregistrer des valeurs supérieures à 150 milligrammes par kg.

La Commission européenne souhaite diminuer la proportion de cadmium dans les produits fertilisants phosphatés pour réduire la contamination des sols et des aliments. Le plafond passerait de 60 milligrammes par kg à 40 milligrammes en trois ans, puis à 20 milligrammes après douze ans.

Très récemment, le 24 octobre 2017, le Parlement européen s'est prononcé, en première lecture, en faveur de 40 milligrammes par kg après six ans et 20 milligrammes après seize ans.

Ces seuils suscitent toujours de vifs débats. Les organisations syndicales agricoles européennes, représentées par le Copa-Cogeca, appellent à un calendrier « réaliste » et à une approche « équilibrée ». Elles font en effet valoir qu'il « n'existe à l'heure actuelle pas de technologies rentables à une échelle commerciale, qui permettent de transformer la roche phosphatée pour réduire sa teneur en cadmium ».

J'en viens maintenant aux implications géopolitiques de ce dossier. En effet, faute d'en produire elle-même, l'Union européenne doit importer le phosphate figurant dans la composition de ses engrais. Pour l'essentiel, il n'existe que deux sources d'importation : l'Afrique et la Russie.

Le phosphate de qualité, c'est-à-dire celui contenant le moins de cadmium, est principalement importé de Russie, mais il est aussi pénalisé par des droits de douane. À l'inverse, du fait des accords commerciaux signés avec les pays d'Afrique, le phosphate naturel à la teneur en cadmium la plus élevée est aussi celui qui bénéficie des conditions tarifaires les plus favorables.

La perspective de revoir cette situation singulière à la faveur de la révision du règlement sur les engrais a paradoxalement suscité des réserves au Parlement européen : des députés polonais y ont vu le risque d'avantager la Russie et ce n'est peut-être pas leur seule motivation.

Il ne s'agit pourtant ici que d'établir un constat économique et environnemental, lequel ne préjuge en rien de l'ensemble de nos relations commerciales avec la Russie, de la question des sanctions consécutives à la situation en Ukraine ou du respect des accords de Minsk.

Pour conclure, j'observerai que le processus de révision du règlement sur les engrais en est arrivé, depuis juin 2017, au stade des négociations en trilogue entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil.

Sans préjuger de leur issue, il apparaît d'ores et déjà acquis que les niveaux en cadmium de nos importations de phosphates seront in fine sensiblement réduits. C'est une bonne chose. Les négociations prennent en compte les besoins du monde agricole, sans stigmatiser les modes de production. Quant aux expertises scientifiques, elles ne sont pas mises en cause par des campagnes d'opinion. Enfin, sans être indifférent à la géopolitique, je constate qu'une source d'approvisionnement extérieure se substituerait à une autre. Or, il se trouve que les phosphates provenant de Russie comportent la plus faible teneur en cadmium.

En définitive, la gestion par l'Union européenne du dossier des engrais fournit un heureux contraste, voire un contre-exemple, par rapport à l'expérience récente du glyphosate. Cela montre également qu'il est possible de débattre sereinement des sujets agricoles, à la condition toutefois que les agriculteurs ne fassent pas l'objet de partis pris défavorables.

La réunion est close à 10 h 10.

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