Intervention de Élisabeth Lamure

Délégation aux entreprises — Réunion du 14 décembre 2017 à 9h05
Communication de mme élisabeth lamure sur les principales dispositions du projet de loi de finances rectificative intéressant les entreprises

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, présidente :

Les six amendements que nous avons déposés sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2018 ont tous été adoptés par le Sénat : nous avons ainsi apporté un début de réponse à la disparition du dispositif ISF-PME, qui constitue un réel soutien à l'investissement dans ces entreprises ; dans le même esprit, nous avons assoupli le dispositif du Compte PME innovation, ce qui doit faciliter le réinvestissement, dans d'autres PME, des plus-values dégagées par les entrepreneurs à succès. Enfin, nous avons réouvert le dispositif de suramortissement en le ciblant sur les PME et sur leurs investissements nécessaires à la transition vers l'industrie du futur. Nous serons attentifs à ce que la commission mixte paritaire aura fait de ces avancées.

Dès cet après-midi, commence au Sénat l'examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2017. Ce texte compte quelques mesures susceptibles d'intéresser les entreprises. Il comporte trois avancées.

L'article 13 crée un dispositif d'exonération fiscale pour les entreprises qui se créent dans les bassins urbains à dynamiser. Il vise des zones en déclin industriel correspondant à un territoire d'au moins un million d'habitants, structuré autour d'un ensemble d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont les communes se caractérisent par un fort taux de chômage, de faibles revenus et une forte densité de population. L'État et les collectivités associent leurs efforts jusqu'en 2020 pour redynamiser ces territoires, avec des exonérations d'impôt sur les bénéfices, de taxe foncière, de cotisation foncière des entreprises (CFE) et, le cas échéant, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En pratique, le dispositif s'appliquerait dans les seules communes du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais.

L'Assemblée nationale a introduit un article 13 bis qui favorise la transmission d'entreprise. Dans le PLF pour 2018, elle avait déjà maintenu les exonérations d'impôt sur le revenu (IR) ou d'impôt sur les sociétés (IS) applicables dans les zones de revitalisation rurale (ZRR) à la première transmission familiale d'une entreprise individuelle. Cet article 10 bis, dont nous nous étions félicités lors de notre dernière réunion, a été voté conforme par le Sénat. La démarche de l'Assemblée, dans le PLFR, est d'étendre cet assouplissement aux transmissions familiales qui portent sur d'autres entreprises que les seules entreprises individuelles. Cela élimine le risque de rupture d'égalité évoqué par le ministre lors des débats et favorise donc la transmission des entreprises non individuelles.

Enfin, l'article 14 du PLFR allège les obligations administratives applicables aux fusions d'entreprise. Cet article supprime l'agrément préalable requis jusqu'à présent pour faire bénéficier les opérations transfrontalières du régime spécial des fusions et donc du sursis d'imposition des plus-values. Au lieu de devoir obtenir un agrément, il suffira de faire une déclaration : en fait, cet allégement des procédures rend compatible avec le droit de l'Union européenne la législation française en matière de fusion de sociétés, car la Cour de justice de l'Union l'a jugée contraire aux traités. Il est intéressant de noter que le juge européen a estimé que l'obligation d'agrément préalable en France reposait sur une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales, qui excédait ce qui était nécessaire pour lutter contre ces pratiques et donc portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'établissement. L'approche française, trop souvent suspicieuse à l'égard des entreprises, se trouve ainsi dénoncée, ce qui confirme ce que nous disent les entreprises depuis longtemps.

Mais le PLFR n'apporte pas que des bonnes nouvelles aux entreprises : il confirme en effet que c'est sur elles que reposera la mise en place du prélèvement à la source (PAS) de l'IR à partir du 1er janvier 2019. Comme vous le savez, inquiète de l'impact d'une telle réforme pour les entreprises, notre délégation a fait réaliser, par le cabinet d'avocats fiscalistes Taj, une étude de cet impact. Cette étude a été présentée à la commission des finances et à notre délégation, réunies le 28 juin 2017.

Le 10 octobre dernier, le Gouvernement a transmis au Parlement les trois rapports attendus sur le dispositif prévu pour la mise en oeuvre du prélèvement à la source, dont un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF), établi avec le concours du cabinet Mazars, pour évaluer la charge réelle incombant aux futurs collecteurs.

Nous avons comparé ces deux chiffrages. Les études IGF et Taj distinguent entre coûts de mise en oeuvre et coûts récurrents. Concernant les coûts récurrents, annuels, les deux études aboutissent à des résultats comparables, compte tenu de la marge d'erreur et des incertitudes : l'IGF conclut en effet à un coût annuel récurrent compris entre 60 et 70 millions d'euros, contre 98 millions d'euros pour l'étude Taj, soit une différence de 30 millions d'euros par an, soit 18 euros par entreprise concernée.

En revanche, les deux études diffèrent significativement quant à l'évaluation des coûts de mise en oeuvre du système : l'IGF estime que la charge financière pour les entreprises se situerait, la première année, entre 310 et 420 millions d'euros pour les entreprises, contre 1,195 milliard d'euros selon l'étude Taj. Si l'on y regarde de plus près, la quasi-totalité de cet écart concerne les très petites entreprises (TPE) : l'IGF a estimé le coût pour cette catégorie d'entreprises entre 103 et 137 millions d'euros, contre 889 millions selon Taj.

J'ai dénoncé cet écart dans une tribune parue fin octobre dans Les Échos. Trois facteurs expliquent 87 % de l'écart entre les évaluations de l'IGF et du cabinet Taj. D'abord, la capacité des gestionnaires de TPE à répondre de manière autonome aux questions de leurs salariés : de manière très optimiste, l'IGF considère que les gestionnaires de TPE se formeront seuls au PAS, pendant deux heures, grâce à du matériel mis à disposition gratuitement en ligne ; Taj estime au contraire que les gestionnaires de TPE n'auront pas atteint le niveau d'expertise pour répondre seuls aux questions de leurs salariés sur le montant de leur salaire net - et ne souhaiteront pas s'y risquer - et qu'ils se tourneront donc vers leur prestataire habituel de paie. Celui-ci devrait, au regard de l'expérience de la mise en oeuvre de la déclaration sociale nominative (DSN), leur facturer 5 heures de conseil à 80 euros l'heure, ce qui représente 649 millions d'euros selon Taj. L'hypothèse de l'IGF - ne prévoir aucun budget temps en réponse aux questions des salariés - semble très optimiste, voire déraisonnable : en effet, les questions des salariés risquent d'être complexes et nombreuses, car l'impôt prélevé ne tiendra pas compte des réductions et crédits d'impôt, des événements survenant dans la situation fiscale du salarié l'amèneront à vouloir adapter le taux du prélèvement fiscal, et enfin, le salarié seul sera bien en peine de qualifier un revenu d'exceptionnel et donc imposable au titre de l'année de transition.

Deuxième pomme de discorde : la quantité de rescrits déposés par les TPE. L'étude Taj prévoit que 5 % des TPE déposeront un rescrit auprès de l'administration pour confirmer le caractère imposable ou non de certains éléments de rémunération au titre de l'année de transition. Le coût du rescrit étant valorisé à 2 500 euros l'unité, cela représenterait, appliqué à 5 % des 1,6 million de TPE visées, un coût total de 203 millions d'euros. De manière très optimiste, l'IGF prévoit un coût nul, au motif que les TPE, ne déposant pas aujourd'hui de rescrit, n'en déposeront pas plus dans le cadre du PAS. Le cabinet Taj fait observer que les TPE sont généralement peu concernées par les dispositions fiscales nécessitant à ce jour l'obtention de rescrit, alors que certaines d'entre elles pourraient avoir besoin d'y recourir à l'avenir - notamment les start-up utilisant des systèmes de rémunération variables en fonction de leur trésorerie. D'ailleurs, le taux de 5 % de TPE envisageant de recourir au rescrit, que retient Taj, provient uniquement des résultats du sondage organisé par Taj auprès d'un échantillon d'entreprises.

Enfin, la troisième divergence concerne le nombre de TPE supportant le coût de la mise en oeuvre du PAS. Le rapport de l'IGF exclut de son périmètre l'intégralité des entreprises unipersonnelles or, quand le cabinet Taj a réalisé son étude, il existait une incertitude quant à l'assujettissement au prélèvement à la source des revenus du dirigeant d'une entreprise unipersonnelle assujettie à l'IS et dont la rémunération relève de l'article 62 du Code général des impôts. Par prudence, Taj a intégré ces entreprises dans son évaluation et, faute de données publiques disponibles sur le nombre d'entreprises concernées, en a estimé le nombre à 600 000 ; cela représentait un coût supplémentaire de l'ordre de 337 millions d'euros. Depuis, le Gouvernement a pris le sujet en considération : dans le PLFR, il écarte désormais ces entreprises du champ du PAS et propose de leur faire appliquer un prélèvement contemporain par l'administration fiscale.

En substance, on peut donc dire que l'écart entre les évaluations faites par l'IGF et Taj reflète la différence d'appréciation entre le Gouvernement et notre Délégation sur l'effet de la mise en oeuvre du PAS sur le comportement des agents : le Gouvernement est résolument optimiste et prévoit une mise en oeuvre sans heurts, quand la Délégation anticipe un scénario où le PAS va susciter des questions, à la fois chez les salariés et chez les entreprises collectrices. J'ai pu échanger hier avec le cabinet du Ministre des comptes publics, Gérard Darmanin, qui reste sur cette ligne optimiste. Il rappelle que 87 % des PME externalisent leur paie et que les experts-comptables ont indiqué au Gouvernement leur intention d'absorber le coût du PAS sans le refacturer à leurs clients : cela reste à voir...

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