Intervention de Claude Mandart

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 13 décembre 2017 à 17h30
Audition commune avec les organisations syndicales représentées au comité central d'entreprise cce du groupe alstom

Claude Mandart, délégué syndical central CFE-CGC :

Vos questions sont pertinentes et complexes. Aujourd'hui, il nous est difficile d'y répondre, faute de disposer des éléments requis pour nous forger un avis. Lorsque la nouvelle du rapprochement est tombée fin septembre, nous avons appris que des discussions secrètes avaient eu lieu entre Siemens et Alstom, ainsi qu'entre l'État et Alstom. Nos dirigeants ne nous avaient pas informé clairement, tout en soulignant le besoin de consolidation de la filière ferroviaire. Pourquoi était-ce une douche froide ? Nous sommes, à la CGC, persuadés qu'Alstom a été pris de vitesse dans cette opération. 2014 avait été marquée par l'annonce de la cession de nos activités Énergie à General Electric. En octobre 2017, nous sommes seulement devenus indépendants en termes de réseaux informatiques, alors que nous utilisions auparavant ceux de General Electric qui nous louaient les réseaux que nous lui avions, trois ans auparavant, cédés. On nous a, un mois avant de retrouver notre autonomie de fonctionnement, annoncé un rapprochement avec Siemens présenté comme un mariage d'égal à égal et la promesse de devenir un Airbus du ferroviaire européen. Dans les faits aujourd'hui, nous ne disposons que d'informations d'ordre capitalistique. Lorsque le comité central d'entreprise européen, dans un premier temps, et le comité central d'entreprise d'Alstom Transport France, dans un second temps, sont appelés à formuler un avis motivé, Alstom joue aujourd'hui clairement le jeu en nous transmettant toutes les informations requises. En revanche, nous ne disposons d'aucune information venant de Siemens relatives à la complémentarité avec Alstom. D'ailleurs, hier encore, Siemens n'a pas souhaité nous communiquer des informations que nous estimons importantes, au motif que le rapprochement n'a pas encore eu lieu et que Siemens et Alstom demeurent, à ce jour, des entreprises concurrentes. Si Alstom joue le jeu, tel n'est pas le cas de Siemens ! Lorsque nous demandons l'obtention d'une représentation européenne du ferroviaire - Siemens disposant d'une représentation européenne de l'ensemble des activités de son groupe - au sein du futur groupe, qui devrait rassembler 60.000 salariés, les dirigeants allemands nous opposent une fin de non-recevoir. Nous devrions ainsi être représentés classiquement dans le cadre d'un comité d'entreprise européen. Notre direction est pourtant favorable à cette démarche. Notre forum européen fonctionne bien. Aujourd'hui donc, avant même que l'accord soit finalisé, notre direction n'a pas les moyens nécessaires de discuter d'égal à égal avec Siemens pour que nous obtenions une représentation européenne du ferroviaire ! Qu'en sera-t-il une fois l'accord appliqué ? Nous ne disposerons d'aucune représentation et serons totalement noyés.

Ces premiers éléments légitiment notre inquiétude. Il n'y a pas de stratégie industrielle à l'heure actuelle ; sa formulation devant être ultérieure à l'accord. Comment se projeter si l'on ne connaît pas la répartition des activités selon les implantations industrielles ? Comment faire si la fabrication des moteurs et des chaines de traction est délocalisée à Nuremberg, où se trouve une usine de plusieurs milliers de salariés, qui viendra concurrencer nos implantations, plus petites, d'Ornans dans le Doubs et de Tarbes dans les Pyrénées ? L'engagement du maintien des sites de production sur une durée de quatre ans n'implique aucune contrepartie ! Rappelez-vous : l'accord avec General Electric disposait d'une contrepartie de 50 000 euros par emploi non créé sur le millier d'emplois nets qui devaient être créés fin 2018. Une telle somme ne représente même pas le coût d'un emploi et l'État n'a aucun pouvoir pour influer sur la situation du site de Grenoble : General Electric étant une entreprise de droit privé et la perspective d'une nationalisation n'est guère pertinente au regard de la politique industrielle et économique d'aujourd'hui ! Les quatre années de garantie nous ont été avancées par les directions de Siemens et d'Alstom. Dont acte. Mais cet engagement, qui fait l'objet d'un accord, est confidentiel et n'est qu'accessible que dans une data room chez les avocats. Que contient cet accord ? Nous ne le savons pas, alors qu'on nous demande de nous positionner sur une politique industrielle qui est inexistante et un accord, dont nous ne disposons guère des tenants et des aboutissants ? Pour nous, c'est joker !

Sur la filière ferroviaire, que nous représentons aujourd'hui dans sa globalité avec un membre par syndicat, son intérêt est analogue à celui d'un orchestre symphonique qui a besoin d'un chef. Aujourd'hui, la filière comprend une myriade d'individualités performantes, mais, faute de chef d'orchestre, il ne saurait y avoir de visibilité. Le chef d'orchestre, c'est l'État, qui a été absent depuis de nombreuses années. Or, lui incombe la coordination de l'activité ferroviaire, dans des cycles industriels relativement longs allant de trois à cinq ans et intégrant de l'innovation. Aujourd'hui, l'État doit éviter qu'il y ait des creux de charges dans l'ensemble de la filière. Or, à Valenciennes, ceux-ci sont de deux ans en raison de l'absence de commandes de métros et ce, alors que certaines lignes de la RATP sont à bout de souffle. L'État manque à son rôle de planificateur et ne parvient pas à maintenir une continuité de charges sur les sites industriels, qu'il s'agisse de ceux d'Alstom ou de ses sous-traitants.

Enfin, Alstom a démontré sa capacité en matière d'innovation, comme en témoignent le bus électrique, le train à zéro émission de carbone dont la commercialisation dans les Pays du Nord débute, ou encore la pile à combustibles. Certes, le rapprochement avec Siemens donnera certainement une nouvelle impulsion à cette innovation en conjuguant nos forces. Mais quel va en être l'impact social et à qui ce rapprochement va-t-il profiter ? Les Allemands ont démontré une meilleure capacité à protéger leur industrie que la France, qui a accumulé tant de pertes d'emplois durant ces dernières décennies.

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