Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, les deux présents textes illustrent avec une grande clarté à la fois la méthode et le projet profondément libéral de ce quinquennat.
Le double discours permanent et le brouillage des repères sont une marque de fabrique qu’il convient de dénoncer.
En outre, ce qui caractérise l’action du Gouvernement, c’est souvent la brutalité et l’impréparation avec laquelle il conçoit les réformes structurelles. Comme si, pour faire bouger notre pays raillé pour son immobilisme, il fallait commencer par détruire violemment l’existant, sans avoir construit auparavant les bases d’une alternative crédible.
Fait majeur, ce budget va approfondir les inégalités et affaiblir notre modèle social. Au nom d’un monde nouveau, il nous propose un vaste retour en arrière, à rebours de la décentralisation, engageant des réformes portant le sceau des politiques libérales mises en œuvre dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix qui, on le sait de manière encore plus documentée depuis quelques jours, ont produit une augmentation massive des inégalités.
Le « premier de cordée » monte toujours plus haut, équipé jusqu’au bout des doigts, assuré par son capital financier, social et culturel, mais il laisse en bas celui qu’il accuse de n’être pas assez combatif pour grimper, alors que ce dernier ne dispose que de la simple force de ses bras.
Double discours, méthode brutale et augmentation des inégalités sont donc les caractéristiques de ce budget.
L’ultra-communication permanente de ce gouvernement ne saurait nous faire oublier une certaine dualité dans le discours.
Vous dites vouloir lutter, à l’échelon européen, contre l’évasion fiscale, monsieur le secrétaire d’État, mais vous ne saisissez pas nos propositions pour agir dès maintenant.
Prenons l’exemple de la fraude à la TVA pour les plateformes ou de la taxation des GAFA. Pourquoi ne reprenez-vous pas ces propositions votées ici, au Sénat, et de façon consensuelle ?
Vous prétendez lutter, à l’échelon européen, contre le dumping fiscal, mais vous jouez le jeu du nivellement par le bas, en essayant d’atteindre une moyenne européenne que nos voisins s’empresseront bien vite de faire baisser à nouveau.
Vous dites vouloir mettre en œuvre un Grand plan d’investissement. Or il n’apparaît pas, ou peu, en crédits de paiement : moins de 2 milliards d’euros pour 2018, quand vous annoncez 57 milliards d’euros sur cinq ans.
Vous vous targuez de présenter un budget responsable, mais ce budget cache en réalité un vaste plan social, relativement silencieux, que l’État mène dans ses administrations et ses agences. Je pense à l’INRS ; je pense à l’INSEE ; je pense à Pôle emploi ; je pense au CEREMA ; je pense à l’AEFE ; je pense aussi à la DIRECCTE, à l’IRSTEA, à Météo France, à France Télévisions, et j’en passe.
Au-delà du double discours, il y a aussi l’utilisation récurrente d’une méthode brutale qui consiste à casser un système avant même de préparer la construction du suivant.
Pensons aux coups portés aux bailleurs sociaux, tout d’abord.
Vous prétendez avoir l’ambition d’une réforme d’ampleur du financement du logement social, qui passe par la baisse des APL et sa compensation par la réduction des loyers applicables dans le parc social.
Si seulement, plutôt que d’annoncer une grande réforme du logement et de faire passer des mesures budgétaires qui risquent de provoquer un effondrement de l’offre, vous aviez pris le temps de mettre en place une véritable concertation avec les bailleurs sociaux et avec les élus !
Le Sénat a joué son rôle d’alerte en faisant une contre-proposition. Vous n’avez pas pris en compte ses travaux lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. On peut même dire que, in fine, loin de répondre à la fragilité financière de nombre de bailleurs sociaux, vous l’organisez !
Les conséquences sur le logement social comme sur l’accession sociale à la propriété - autrement dit, la crise du logement qui s’annonce -, seront très graves.
Il en va de même pour les contrats aidés. Sans proposer de solution alternative à court terme, ni aux personnes bénéficiaires ni aux collectivités, vous en supprimez une large part. Vous précarisez des personnes éloignées de l’emploi, pour qui la réinsertion professionnelle, et donc sociale, était concrète. Vous déstabilisez les collectivités territoriales et les associations dans la mise en œuvre de leurs actions.
En contrepoint, vous annoncez une grande réforme de la formation professionnelle, sans toutefois avoir pris soin d’en fixer le cadre ou le financement en amont.
Pour les collectivités territoriales, même chose ! Vous mettez en place un dégrèvement de la taxe d’habitation – dégrèvement que nous avons obtenu de haute lutte, le projet de départ était bien pire ! –, préfigurant sa suppression, et décidez de sa compensation sans réellement la garantir à l’avenir.
Disons-le clairement : il s’agit pour l’État de contrôler les recettes des collectivités.
Vous souhaitez aussi contrôler leurs dépenses, à travers la contractualisation que les préfets vont mettre en œuvre, rétablissant de ce fait le contrôle a priori des budgets des collectivités.
Cette brutalité a poussé les élus à se mobiliser. Vous avez alors été obligés de préciser, ce qui n’était pas prévu initialement, qu’une grande réforme de la fiscalité locale se préparait, qu’il ne fallait donc pas s’inquiéter.
La même brutalité a aussi obligé le Premier ministre à faire des modifications importantes sur la contractualisation, allant bien au-delà de la simple précision. N’aurait-il pas été plus raisonnable de commencer par là ? Une réflexion large et collective aurait certainement permis d’éviter l’arrivée dans le débat parlementaire, au stade de la nouvelle lecture, du nouveau dispositif de contractualisation liant l’État et les collectivités.
S’agissant d’une mesure aussi importante, est-il acceptable que le travail parlementaire soit ainsi réduit à une heure pour l’Assemblée nationale et une journée pour le Sénat ?
Je veux m’arrêter ici quelques instants sur les modifications introduites dans le projet de loi de programmation des finances publiques, conséquences de la précipitation manifestée sur ce thème par le Gouvernement.
Sur le fond de l’article 24, l’exclusion d’une partie des dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité peut apparaître à première vue comme une avancée pour les départements. Mais ici on retrouve le double discours, car, en réalité, l’objectif de réduction, la cible finale de 13 milliards d’euros, est maintenu ! Si ces dépenses ne sont pas intégrées dans l’effort à fournir, celui-ci devra donc être concédé sur d’autres postes de dépenses départementales, ou reporté sur d’autres collectivités territoriales.
Pour ce qui concerne le mécanisme de correction, auparavant uniquement mentionné dans son principe, il est maintenant précisé.
Au final, votre démarche est habile, mais ne nous leurrons pas sur son résultat. L’objectif de contenir les dépenses de fonctionnement à 1, 2 % en valeur, c’est-à-dire au niveau de l’inflation les premières années et en deçà du niveau de l’inflation en fin de période de programmation, ne pourra que conduire à des efforts de réduction des dépenses considérables pour les collectivités territoriales. Cela ne manquera pas d’affaiblir le service public local.
Aux mesures impréparées, sinon brutales, s’ajoutent des mesures fiscales injustes, qui entraîneront inexorablement un accroissement des inégalités.
Après avoir augmenté la CSG, vous décidez de supprimer la presque totalité de l’impôt de solidarité sur la fortune, et de mettre en place une flat tax pour les revenus du capital ; je note d’ailleurs que l’Assemblée nationale a rejeté l’amendement du Sénat visant à éviter l’optimisation fiscale qui en découlera et qui risque de coûter beaucoup plus cher au budget de l’État.
Concrètement, pour les 100 premiers contribuables à l’ISF, le gain des deux premières mesures est évalué à 1, 5 million d’euros par an et par contribuable. Pour un impact macroéconomique très faible, on accroît ainsi les inégalités. La théorie du ruissellement, que vous dites ne pas suivre tout en reprenant tous les arguments y afférents, est un leurre.
Accroissement des inégalités, toujours : qui va payer l’augmentation de la fiscalité écologique ? Ce sont les bas revenus qui dépassent le seuil très bas de l’accès au chèque énergie, soit 7 700 euros par an et par unité de consommation.
Les effets positifs d’une fiscalité écologique seront socialement injustes.
Ainsi, vous réduisez la part des efforts demandés aux plus riches, vous accentuez celle demandée aux plus modestes et, dans le même temps, vous affaiblissez les services publics. La pression que vous mettez sur les collectivités et certains ministères va fragiliser les services publics essentiels. Les réduire va inexorablement conduire à une augmentation des inégalités.
Nous ne pouvons pas agir comme si nous ignorions que la baisse de la fiscalité des hauts revenus s’accompagnait toujours d’un accroissement des inégalités. Le dernier rapport des économistes autour de Thomas Piketty nous le confirme.