Intervention de Julien Bargeton

Réunion du 20 décembre 2017 à 14h30
Loi de finances rectificative pour 2017 — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Julien BargetonJulien Bargeton :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, je pense avoir identifié le point qui, au moins à ce stade du constat, est susceptible de nous mettre d’accord : la procédure budgétaire dans son épure actuelle est à bout de souffle.

Ce collectif budgétaire de fin d’année en est l’illustration : un examen au pas de charge, une inflation du nombre d’articles du fait de l’ajout d’amendements, notamment gouvernementaux mais pas uniquement, dans chaque assemblée et, au bout du compte, l’équivalent législatif d’un ancien magasin du Pont Neuf… On y trouve de tout ! Mais, en réalité, nous ne nous y retrouvons plus, et cela sur toutes les travées.

Le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a pris l’engagement devant nous – cela ne manque pas de courage – de ne plus prendre de décrets d’avance au mois de novembre et de faire du collectif de fin d’année un texte purement technique. Cet engagement est totalement en cohérence avec l’exigence de sincérité du Gouvernement sur la loi de finances initiale et, plus largement, sur les textes financiers, une exigence qu’il s’emploie à respecter depuis juillet dernier.

Nous aurons un rendez-vous constitutionnel en 2018, qui sera une fenêtre d’opportunité pour améliorer les conditions de travail du Parlement. Dix ans après la réforme dite « Sarkozy », qui a comporté des avancées, le compte n’y est toujours pas, comme l’attestent les nombreux appels publics à réformer les modalités d’examen de la loi de finances.

Le diagnostic est largement partagé. Les députés avancent ainsi une proposition bienvenue de rééquilibrage du temps d’examen des textes financiers, aujourd’hui concentré sur le temps de la prévision et de l’autorisation, mais réduit pour le volet de l’évaluation et du contrôle de l’exécution.

À droit constant, il serait par exemple souhaitable de consolider la discussion du volet recettes du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui est aujourd’hui séquencée et, disons-le, en silos. Il est paradoxal d’avoir une approche « toutes administrations publiques », mais une dispersion entre plusieurs textes ! Il ne serait d’ailleurs pas incohérent de discuter également des articles non rattachés – en simplifiant, les crédits d’impôt – en amont de la seconde partie.

Je me permets un aparté : si nous, au Sénat, souhaitions contribuer, comme c’est notre rôle, à la création d’une nouvelle catégorie de lois de finances, consacrées aux finances locales, il faudrait que nous veillions à la fois aux contraintes de temps – quand discuter ? – et, bien entendu, de champ – que discuter ?

S’agissant de la seconde partie, on pourra se demander s’il est de bonne politique d’avoir autant de rapporteurs spéciaux et de rapporteurs pour avis sur les différentes missions budgétaires. Pardonnez-moi cette observation qui est un peu celle d’un Huron au palais du Luxembourg, mais j’ai souvent pensé à la formule, fameuse, d’Edgar Faure : « litanie, liturgie, léthargie » pendant les débats en séance publique, après de riches débats et de nombreuses auditions très intéressantes en commission.

À tous les stades de la procédure – mais sans doute est-ce chimérique –, il serait probablement plus raisonnable pour le Gouvernement de ne plus déposer des amendements hors délai, ou alors de fournir systématiquement une étude d’impact. Le groupe La République En Marche avait eu l’occasion de s’exprimer en ce sens lors de l’examen en urgence du collectif « flash » faisant suite à la censure de la taxe de 3 % sur les dividendes.

Le Parlement doit veiller à ce que les principaux amendements gouvernementaux en matière fiscale soient suffisamment documentés. Le rapporteur général, qui est plus chevronné que moi, l’a répété : nous ne pouvons plus légiférer à blanc, sans un minimum de travail en commission des finances.

Faut-il confier l’examen du budget à des algorithmes ? Pas encore. Car des pistes stimulantes ont été avancées, pas uniquement au Palais-Bourbon, mais aussi dans certains think tanks.

Ainsi, nous pouvons consacrer davantage de temps au contrôle de l’exécution des lois de finances. Les lois de règlement, en dépit des ambitions initiales de la LOLF, sont devenues, ou plutôt sont restées, des astres morts. Comment prétendre vouloir améliorer la loi fiscale quand on ne prend jamais véritablement le temps d’en évaluer les effets ? Il s’agit de préparer et d’enrichir l’« automne de l’autorisation » à travers le « printemps de l’évaluation » – tant que ce n’est pas l’« hiver du mécontentement » du Richard III de Shakespeare…

En dopant ce volet de l’évaluation des dépenses publiques, le Parlement aura un rôle substantiel en matière de contrôle, mais aussi une meilleure connaissance de la construction budgétaire proposée par le Gouvernement.

Nous avons la chance de bénéficier de l’assistance précieuse de la Cour des comptes pour nos travaux de contrôle et d’évaluation. Je suis plus réservé sur l’idée, récurrente, d’une intégration de la Cour des comptes comme institution à part entière du Parlement, compte tenu de ses activités juridictionnelles.

Nous pourrions également renforcer nos liens avec d’autres organismes menant un travail d’évaluation qui mérite d’être porté dans le débat public – je pense à la Banque de France et à l’INSEE –, le cas échéant à travers une politique un peu volontariste en matière de mobilités. Nous avons ici d’excellents juristes ; attirer dans ses murs des économistes et des statisticiens pourrait être pertinent.

Il nous faut veiller aussi à enrichir davantage nos travaux d’évaluation des recherches universitaires en matière économique : de Philippe Aghion à Gabriel Zucman, en passant par Jean Tirole et Thomas Piketty, nous avons la chance d’avoir des têtes chercheuses en France, et il serait positif de les associer davantage à nos travaux.

Monsieur le président, j’ai conscience d’avoir fait un peu un hors-sujet ; mais ce dont j’ai parlé est, à mon sens, le vrai sujet pour l’avenir de nos débats.

En ce qui concerne le présent collectif budgétaire, avec constance, le groupe La République En Marche n’adoptera pas la motion tendant à opposer la question préalable.

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