Intervention de Dominique Gillot

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 7 décembre 2017 à 9h00
Présentation du rapport d'étape de la mission sur l'intelligence artificielle confiée par le gouvernement à m. cédric villani député premier vice-président

Photo de Dominique GillotDominique Gillot, ancienne sénatrice et co-rapporteure de l'Office sur l'intelligence artificielle :

Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui et très émue de ce que je viens d'entendre. Chacun sait que Claude de Ganay et moi-même ne sommes pas des scientifiques, mais des parlementaires curieux, très investis dans la défense de l'intérêt commun. Il nous était apparu important d'éclairer nos concitoyens, nos collègues parlementaires, sur cette accélération des processus, notamment en matière de connaissance, sur les changements de paradigme à l'oeuvre dans certains domaines. Cédric Villani vient ainsi de nous expliquer qu'il fut un temps où la statistique n'était pas une science très valorisée, alors qu'elle devient presque aujourd'hui la reine des disciplines pour servir l'intelligence artificielle. Nous avions engagé ce travail avec beaucoup de sincérité, de curiosité et d'enthousiasme, en nous préservant des idées reçues en la matière, sur les grandes peurs, les inquiétudes, les « mythes » issus de la science-fiction, qui n'évoluent guère. Notre travail visait à rendre l'intelligence artificielle compréhensible pour l'ensemble de nos concitoyens. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons intitulé notre rapport Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée. Je suis vraiment très touchée que l'éminent travail en cours, qui doit servir notre pays en contribuant à la définition d'une stratégie nationale de l'intelligence artificielle, s'inscrive dans la continuité de notre rapport, sorti concomitamment avec le rapport France IA, mais qui avait précédé la démarche, et que la diversité des réflexions ne soit pas vécue comme un obstacle mais, au contraire, comme une complémentarité.

J'ai écouté l'intervention de notre collègue député avec beaucoup d'intérêt : une telle conférence, faisant preuve d'une grande pédagogie, ne fait que renforcer la connaissance des uns et des autres. Il serait vraiment très important que le maximum de nos concitoyens puisse bénéficier de ce bain de culture pour développer une culture commune sur ce qu'est l'intelligence artificielle, en quoi elle peut nous servir et quel est son domaine possible.

J'ai peu de choses à ajouter à ce qui vient d'être dit. J'approuve totalement la démarche et le propos. Je souhaiterais simplement insister sur l'enjeu stratégique de l'intelligence artificielle pour le handicap. Il a été dit très clairement dans l'exposé que l'intelligence artificielle représentait un défi industriel, écologique et d'inclusion : ce dernier aspect mérite selon moi d'être mis en avant. Il est important de miser, au niveau européen, sur des réseaux de compétences, des réseaux humains, en matière d'éducation et d'inclusion. Cela doit constituer un axe prioritaire. En effet, nombre de nos concitoyens vivent dans des situations de handicap et souffrent d'un déficit de compréhension et de reconnaissance de ce qu'ils peuvent apporter au bien commun.

Je suis, aujourd'hui, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées et me suis fait une vocation de défendre leur position, d'oeuvrer pour qu'elles soient reconnues et respectées, en pesant davantage sur la mise en valeur de leurs capacités que sur l'identification de leurs déficits. Or grâce à l'intelligence artificielle, à l'accumulation de données sur leurs besoins, leurs aspirations, mais aussi leurs capacités, et au travail que l'on peut mener pour élaborer des applications qui leur seraient utiles pour se repérer et dépasser certaines incapacités, ces personnes pourront vraiment donner la pleine mesure de leur utilité sociale et améliorer leurs conditions de vie. Les questions que se posent les personnes handicapées permettent, en outre, des réponses plus précises pour l'ensemble de la population. Le dépassement, la compensation technique du handicap, sont des moteurs de recherche et développement qu'il ne faut pas cantonner à un volet « handicap ».

Nous avons la chance d'avoir un Président de la République qui a défini le handicap comme une priorité du quinquennat, qui encourage l'ensemble de son gouvernement à se mobiliser pour construire une société inclusive. Il me semble que dans le tournant que nous vivons aujourd'hui, la reconnaissance des besoins, mais aussi des capacités, des compétences et de l'intelligence d'usage des personnes handicapées est essentielle. Ce sont les usagers « extrêmes » qui font progresser les usages. Il convient donc de ne pas négliger cette part de la société. Donner aux personnes handicapées une place visible dans le processus et dans la stratégie nationale serait vraiment faire oeuvre utile et rendre justice à ces milliers de gens. Peut-être avez-vous eu, comme moi, la curiosité de regarder récemment à la télévision le film retraçant la vie d'Alan Turing, qui n'avait pu être reconnu comme autiste Asperger puisque ce dernier n'avait alors pas encore publié ses travaux, mais était vraisemblablement un autiste de très haut potentiel. Il faut bien se rendre compte que des personnes en situation de handicap, mais n'en faisant pas état, travaillent dans de nombreux organismes et servent la recherche, et il faut leur rendre justice. En s'intéressant davantage au réseau associatif réunissant les amateurs éclairés, que ce soit dans le domaine écologique, climatique ou encore de la santé (avec les patients experts) ou du handicap, on pourrait enrichir considérablement le potentiel d'intelligence de la stratégie nationale d'intelligence artificielle.

J'ai particulièrement apprécié le moment où il a été dit qu'il fallait libérer les énergies et expliqué que dans le milieu économique privé, chez les GAFA, les chercheurs jouissaient de plus de liberté que dans le milieu académique. Claude de Ganay et moi avions eu l'occasion d'être reçus à San Francisco, par exemple chez Google, Facebook et Apple, et avions pu voir à quel point les conditions de vie, de travail et de recherche étaient facilitées pour les personnes travaillant dans cet univers. Des armoires, dans lesquelles les chercheurs et ingénieurs peuvent venir chercher le matériel qui leur manque ou remplacer un ordinateur défectueux, sont par exemple accessibles avec la carte professionnelle avec un simple contrôle aléatoire. Ce type de démarche facilitatrice existe très peu dans nos universités et nos organismes de recherche. Nous avons beaucoup à apprendre. Il ne faut pas craindre la mixité des milieux, les allées et venues. Yann Le Cun explique ainsi que l'on peut très bien continuer la recherche fondamentale en étant salarié chez Facebook. Nous avons de même rencontré aux États-Unis d'autres grands chercheurs qui ont un contrat avec une firme et continuent de publier et d'animer des laboratoires académiques. Ce rapprochement entre le secteur privé et la recherche académique constitue une évolution importante, qu'il faudrait impulser dans la stratégie nationale pour développer le plus grand potentiel possible, au service du rayonnement de la France et de l'Europe.

Je souhaite, en outre, apporter une précision à propos des entreprises chinoises, que Cédric Villani a évoquées : nous avions voulu pointer le fait que les géants chinois étaient en plein essor et nous interrogions sur le moment à partir duquel ils pouvaient potentiellement devenir dominants. Aujourd'hui, la question est plus imminente encore. Cela peut aussi être un motif de plus grand rapprochement avec les firmes anglo-saxonnes et américaines, afin de créer une force concurrente, capable de résister aux entreprises chinoises mais aussi indiennes.

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