Cinq thèmes principaux figuraient à l'agenda du Conseil européen : la défense, le social, l'éducation, la culture et le climat. Les chefs d'État et de gouvernement ont aussi évoqué, pendant le dîner, les questions internationales et les migrations. Le Président de la République a présenté son initiative de consultations citoyennes. Les chefs d'État et de gouvernement se sont aussi réunis dans deux autres formats spécifiques, à vingt-sept, pour discuter de la zone euro et du Brexit.
Le Brexit était en effet, politiquement, le sujet le plus sensible de ce Conseil. Les discussions sur ce sujet se sont déroulées comme nous l'anticipions. Le Conseil a conclu que les progrès réalisés sur les trois points principaux étaient suffisants pour passer à la deuxième phase des négociations.
S'agissant des droits des citoyens européens au Royaume-Uni, ils seront protégés. Les Vingt-sept sont unis autour d'une conception extensive de ces droits. Les citoyens européens pourront continuer de résider, de travailler et d'étudier dans les mêmes conditions que celles prévues actuellement, et conserver le bénéfice de l'ensemble de leurs prestations sociales. Les membres de leurs familles pourront les rejoindre dans le futur ; cette protection s'étend aux enfants à naître.
Pour l'avenir, nous devons être vigilants pour nous assurer qu'il n'y aura pas d'interprétation divergente et que les Cours britanniques prendront bien en compte la jurisprudence passée, présente et future de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Nous avons obtenu que la référence aux lignes directrices d'avril 2017, qui rappellent le rôle de la CJUE dans l'interprétation du droit de l'Union, figure explicitement dans les lignes directrices du 15 décembre. Nous serons très vigilants quant à la rédaction de l'accord de retrait qui sera soumis aux États membres.
Quant au calendrier, le séquençage des négociations nécessite qu'on ait une idée claire des prochaines étapes. Maintenant que des progrès suffisants ont été attestés sur trois points principaux, l'accord de retrait doit être formalisé, avec pour objectif qu'il soit signé en octobre 2018.
Le deuxième sujet prioritaire de la première phase des négociations était l'Irlande. Les chefs d'État et de gouvernement ont salué l'accord intervenu entre le Royaume-Uni et l'Irlande avec le soutien de la Commission. Le Premier ministre irlandais a remercié les autres États membres pour leur solidarité.
Sur le règlement financier, le résultat est très positif. L'absence de chiffres permet d'éviter des fluctuations économiques inévitables qui auraient pu être, à tort, interprétées politiquement. Ceux, parmi les Brexiters durs, qui avaient déclaré que le Royaume-Uni ne verserait pas une livre, ne se font plus entendre : Mme May a gagné cette partie, même si elle reste encore très fragile. L'idée que le Royaume-Uni doive régler ses engagements financiers n'est plus contestée. M. Davis affirmait auparavant que le Royaume-Uni ne verserait ce qu'il doit que si l'accord futur lui convenait ; cette proposition est évidemment réversible, et ils ont autant intérêt que nous à la conclusion d'un accord.
Nous pouvons nous réjouir de ces avancées, qui auraient été impossibles sans l'unité des Vingt-sept, mais aussi sans la pression des milieux d'affaires britanniques, vivement préoccupés par le risque d'un Brexit sans accord. Ces deux éléments ne seront pas nécessairement aussi faciles à manier durant la deuxième phase, même si l'unité des Vingt-sept est plus indispensable que jamais. On a fait le plus facile, mais cela nous a pris beaucoup de temps.
D'autres questions liées au retrait restent devant nous, notamment le problème important des marchés publics.
Londres a demandé une période de transition d'environ deux ans. Le Conseil européen a rappelé son ouverture à une telle période, à condition qu'elle soit limitée dans le temps - deux ans sont un maximum - et ne puisse pas être reconduite. Durant cette période, le Royaume-Uni ne participera plus aux institutions européennes, mais devra continuer à respecter l'ensemble de l'acquis communautaire. Les dernières déclarations des autorités britanniques, qui envisagent de ne poursuivre leur participation aux politiques européennes que dans certains domaines durant la transition, créent une confusion. Nous serons très vigilants quant aux lignes directrices qui seront données, en janvier prochain, pour la négociation de la transition.
Vous m'avez interrogée sur la définition du cadre des relations futures. Un mandat détaillé sera donné à notre négociateur en mars 2018. Ce n'est pas pour perdre du temps : il faut obliger les Britanniques à sortir du bois. Aujourd'hui, nous ne disposons sur ce sujet, de la part des Britanniques, que de quelques déclarations plus politiciennes que gouvernementales. Il faut aussi que les États membres fassent valoir au négociateur les intérêts essentiels qui sont les leurs.
Nous avons plus intérêt que jamais à confier à Michel Barnier la responsabilité de la négociation. Soyons lucides : l'accord détaillé ne sera pas prêt en mars 2019. Si l'on suit les déclarations britanniques, leur souhait de ne rester ni dans le marché intérieur ni dans l'union douanière nous éloigne du modèle norvégien et nous rapproche, quoi qu'en dise Mme May, d'un accord similaire à celui que nous avons conclu avec le Canada, accord dont la négociation a pris sept ans. Certes, l'acquis communautaire est là, mais il faut rester conscient de la difficulté à négocier l'accord futur.
Rien ne serait pire que de faire en sorte que les États membres négocient séparément avec les Britanniques, qui ne demandent que cela. Il faut inventer un futur dans tous les domaines, y compris le contrôle douanier. Ce ne sera pas facile, mais nous avons intérêt à le faire à vingt-sept.
Les chefs d'État et de gouvernement se sont également réunis en format zone euro à vingt-sept. Les propositions, quoiqu'insuffisamment ambitieuses, ont le mérite de mettre sur la table la nécessité de réformer la zone euro.
Nous avons obtenu que se tienne une nouvelle réunion à ce format en mars 2018 en vue de l'adoption d'une feuille de route commune en juin prochain. La Chancelière allemande s'est montrée prudente : elle ne connaît pas encore son futur contrat de coalition. Néanmoins, au vu des dernières positions du SPD, elle ne s'est pas montrée fermée sur la recherche de convergences entre nous.
Quant à la défense, Donald Tusk a parlé d'entente extraordinaire des chefs d'État et de gouvernement s'agissant du lancement officiel de la coopération structurée permanente. Des engagements financiers opérationnels et politiques contraignants, assez ambitieux, ont été pris par vingt-cinq États membres. Nous restons attentifs à l'autre pilier de l'Europe de la défense, à savoir la négociation d'un premier programme de développement industriel pour la défense, qui doit préfigurer le futur Fonds européen de défense. Il faut que la négociation avance vite pour tenir les objectifs fixés par le Conseil européen : des premiers projets doivent être financés dès 2019. Nous avons progressé sur la définition des entreprises qui peuvent bénéficier des fonds communautaires en la matière. Nous aurons besoin que le Parlement européen avance lui aussi à un rythme soutenu.
Nous avons obtenu que les chefs d'État et de gouvernement saluent le One Planet Summit qui s'est tenu à Paris le 12 décembre dernier et soulignent la mobilisation de l'Union européenne pour faire aboutir l'accord de Paris. Les conclusions du Conseil européen font le lien entre le rôle déterminant que l'Union doit jouer sur le climat et sa capacité à mener à bien les négociations de l'ambitieux « paquet climat ». Je relève que la mention du climat dans les conclusions a été rendue possible par un amendement franco-polonais.
Dans la continuité du sommet de Göteborg, les dirigeants ont mis l'accent sur la nécessité d'appliquer le socle des droits sociaux qui y a été proclamé. Ils ont invité la Commission à contrôler sa mise en oeuvre effective afin de poursuivre des efforts de convergence sociale. Nous avons soutenu l'idée, avancée par Jean-Claude Juncker, de créer une autorité européenne du travail ; un texte législatif sera proposé par la Commission au printemps prochain.
Cela étant, sur les questions sociales, en dépit d'avancées réelles et de notre détermination à en faire un sujet majeur, il faut garder en tête les réticences de deux types d'États membres : les États nordiques veulent limiter les compétences de la Commission dans ce domaine, car ils craignent une convergence vers le bas ; les États d'Europe centrale et orientale, en revanche, craignent une convergence sociale vers le haut. Cette double résistance n'est pas aisée à surmonter.
Dans le domaine de l'éducation et de la culture, les conclusions du Conseil européen soutiennent notre proposition ambitieuse de faire émerger d'ici à 2024 une vingtaine d'universités européennes par le biais de réseaux d'universités de différents pays. Le renforcement de l'apprentissage des langues européennes et le projet de reconnaissance mutuelle des diplômes du secondaire seront aussi discutés. Nous souhaitons l'émergence d'un processus, que nous aimerions appeler « processus de la Sorbonne », sur l'enseignement secondaire, qui viendrait compléter le processus de Bologne.
Certes, l'Erasmus des apprentis existe dans les textes, mais de manière très limitée. Nous réfléchissons à la manière de l'étendre. Il est parfois difficile d'avancer sur ces questions. La ministre du travail a confié à Jean Arthuis une mission sur ce sujet qu'il connaît bien. Nous travaillons de manière bilatérale avec l'Allemagne et, le cas échéant, avec la Suisse, pour importer les bonnes pratiques et accentuer la mobilité des apprentis.
Les échanges sur les migrations ont eu lieu lors du dîner des chefs d'État et de gouvernement. Il n'y a donc pas eu de conclusions formelles, à la demande expresse de nos partenaires italiens, qui sont en pleine campagne électorale : toute formulation retenue aurait en effet pu être utilisée de manière peu constructive. Il est important de pouvoir se parler librement.
Une grande convergence a été exprimée sur l'urgence d'accroître la mobilisation de l'Union européenne pour aider les pays d'origine et de transit, dans l'esprit du sommet G5 Sahel que nous avons organisé le 13 décembre. Les États du groupe de Viegrad ont annoncé une contribution de 35 millions d'euros au Fonds fiduciaire d'urgence. Sur les relocalisations, nous sommes toujours profondément divisés, mais c'est un progrès. L'idée de disposer, au sein du prochain cadre financier pluriannuel, de moyens accrus et d'un instrument financier spécifique au lieu de fonds ad hoc a été portée par Donald Tusk et fortement soutenue. Nous allons continuer à travailler sur la réforme du régime européen de l'asile. Là encore, les élections italiennes ont rendu difficile de décider de maintenir, comme nous le souhaitons, le principe de responsabilité du pays de première entrée. De fortes divergences subsistent sur les relocalisations obligatoires de personnes en besoin de protection depuis la Grèce ou l'Italie. Il faudra trouver un équilibre satisfaisant entre responsabilité et solidarité.
Il a aussi été question de Jérusalem lors du dîner. L'Union européenne a réagi à la décision du Président américain de reconnaître Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël et d'y transférer l'ambassade américaine en rappelant la position européenne d'attachement à la solution de deux États ayant Jérusalem pour capitale.
Nous sommes également revenus sur la situation en Ukraine et la mise en oeuvre des accords de Minsk. L'absence de progrès a été constatée, ce qui conduit au renouvellement des sanctions sectorielles envers la Russie.
Le Président de la République a pu présenter à ses partenaires notre projet de consultation citoyenne. Les États membres désireux d'y participer se feront connaître ; nous avons distribué un cahier des charges pour qu'un travail technique de préparation puisse commencer dès janvier et que les consultations puissent démarrer fin mars pour durer jusqu'à fin octobre. Des points que nous souhaitons retrouver partout sont la transparence, l'ouverture à tous et le caractère transpartisan de la démarche.