Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par quelques remarques générales.
L’examen de ce projet de loi de finances intervient dans un contexte de croissance retrouvée, grâce aux politiques conduites durant le précédent quinquennat. Les efforts de tous, les économies réalisées et les réformes structurelles autorisent de l’optimisme et des recettes supplémentaires.
Nous devrions être au moment de la juste répartition des fruits savoureux de la dynamique restaurée. Hélas, la plus grande partie de la corbeille a déjà été attribuée : 5 milliards d’euros accordés aux particuliers fortunés, déjà repus.
S’agissant de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », l’augmentation de ses crédits peut paraître confortable. En réalité, elle s’établit à 2, 1 % par rapport aux dépenses réalisées cette année.
Ainsi, la solidarité n’est pas au hit-parade des priorités du Gouvernement… Elle est pourtant le plus sûr moyen d’assurer, par la cohésion sociale, un élan collectif pour une nouvelle croissance, ce que confirme, aujourd’hui, le FMI. Seulement voilà : les cadeaux aux plus riches obligent, malgré le surcroît de recettes, à en modérer les bénéfices pour les plus modestes – et à le dissimuler derrière un discours flatteur qu’aucun de nous ne renierait, si l’on ne reprenait en sous-main ce que l’on a accordé.
La prime d’activité fournit, une fois de plus, l’illustration d’une politique en parfait trompe-l’œil.
Vrai progrès pour les travailleurs modestes, la prime d’activité a contribué à réduire le taux de pauvreté et à augmenter le pouvoir d’achat de ses bénéficiaires. Elle a remplacé la prime pour l’emploi et le RSA chapeau, dont le taux de recours était inférieur à 35 %. Le nombre de ses bénéficiaires a crû très vite – pour un montant moyen d’environ 155 euros –, et elle a constitué une incitation au retour à l’emploi ou au maintien dans celui-ci.
Ainsi, dans une conjoncture difficile, 9 % des allocataires du RSA socle sont devenus éligibles à la prime d’activité en 2017, et 79 % des bénéficiaires ont conservé leur emploi.
La prime d’activité est promise à une augmentation de vingt euros par mois, mais à la fin de 2018, bien sûr…
Les dépenses réelles ont atteint cette année 6, 5 milliards d’euros. L’inscription est au même niveau pour l’année prochaine, ce qui laisse entendre une volontaire sous-estimation, à moins que ce ne soit une réduction non avouée du périmètre des bénéficiaires.
C’est déjà le cas avec la suppression de la prise en compte comme revenus du travail des rentes AT-MP. Cette mesure est d’une grande violence à l’égard des personnes ainsi rendues inéligibles à la prime d’activité, alors qu’elles sont, justement, les victimes de leur travail.
Pour la prime de Noël, 476 millions d’euros sont inscrits, alors que l’année 2017 se soldera par une dépense de 556 millions d’euros.
Même sous-évaluation pour le RSA jeunes : 8 millions d’euros ont été dépensés en 2016 et presque 10 millions d’euros l’auront été cette année, mais seulement 5, 4 millions d’euros nous sont proposés pour 2018.
À propos de sous-évaluation, permettez-moi d’évoquer un souvenir : le débat passionné sur la fameuse prime d’activité, en 2016. La majorité sénatoriale, voulant tenter de montrer sa capacité à proposer des économies, qu’on lui contestait, et, en même temps, pouvoir qualifier d’insincère – plaisir suprême ! – le projet de loi de finances, avait adopté un amendement dont l’objet se concluait ainsi : « Le présent amendement se veut plus réaliste et retient un taux de recours égal à celui du RSA, soit 32 %, et donc une réduction de 650 millions d’euros. » La vérité est cruelle, parfois : le taux de recours sera, à la fin de cette année, de 70 %…
Trompe-l’œil, encore, que les commentaires autour des crédits pour l’AAH du programme 157 : en réalité, ces crédits n’évolueront que de 3, 9 % par rapport à la consommation réelle. Sans compter que l’augmentation est entachée de quelques artifices regrettables.
L’obsession d’alignement par le bas ou par décalage calendaire reporte au 1er novembre 2018 l’augmentation de l’AAH, comme la plupart des mesures sociales. Les mesures fiscales, elles, comme la hausse de la CSG, seront applicables dès le 1er janvier prochain… Un tel déferlement de reports en fin d’année constitue pour le budget 2019 une véritable bombe à retardement.
L’alignement par le bas touche aussi le RSA pour les couples de bénéficiaires de l’AAH : jusqu’ici, chacun recevait son AAH au taux plein ; désormais, le coefficient multiplicateur sera de 1, 9, puis de 1, 8, diminuant les ressources du ménage.
Reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre, en communiquant seulement sur ce qu’on a donné, est devenu une règle, que nous ne saurions partager.
Que dire de la primauté exceptionnelle prise par le verbe sur l’action ? C’est un fossé, que dis-je, un ravin, un océan, qui sépare parfois le discours de la réalité !
Ainsi, pendant que l’égalité entre les femmes et les hommes est érigée au rang de grande cause nationale, les crédits de l’action en faveur de l’égalité professionnelle, politique et sociale entre les femmes et les hommes diminuent de 12 %…
Quant à ceux de l’action n° 15, Prévention et lutte contre la prostitution, ils sont amputés de 35 %.
Décidément, l’avenir, pour les plus modestes et les collectivités territoriales, ne se dessine pas sous les plus heureux auspices !
Par ailleurs, de nombreuses questions restent en suspens.
Ainsi, les allocations individuelles de solidarité grèvent dangereusement les budgets des départements. La négociation engagée par Manuel Valls sur la renationalisation du RSA n’a pas abouti, et la part des ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie affectées aux départements va encore baisser, de 70 % à 61, 4 %.
Les déclarations du Président de la République lors de la Conférence nationale des territoires en faveur du regroupement des allocations individuelles de solidarité et leur reprise en main par l’État n’augurent rien de bon pour la population la plus vulnérable de notre pays.
Manifestement, la tentation libérale d’un welfare à l’américaine, globalisé et minimal, et d’une réduction des dispositifs d’insertion au profit de petits boulots sous statut d’autoentrepreneur demeure présente chez certains. Déjà, la diminution drastique des contrats aidés dans ce projet de loi de finances en est un signe précurseur.
Beaucoup de générosité pour les riches, un peu de compassion pour les pauvres… Voilà qui rend inacceptable, pour nous, le budget de cette mission !