Intervention de Christian Cambon

Réunion du 30 novembre 2017 à 14h30
Loi de finances pour 2018 — Défense

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, à l’occasion de ce premier exercice budgétaire de la commission des affaires étrangères, je veux tout d’abord réaffirmer notre respect et notre confiance pour nos forces armées.

À l’heure même où nous parlons, 30 000 de nos soldats sont déployés sur notre territoire comme dans les zones de crise les plus dangereuses. Nos armées sont un élément vivant de la Nation. Elles remplissent avec professionnalisme, engagement et courage leur mission particulièrement difficile. Je veux leur rendre en cet instant, au nom de la commission, un hommage confiant et sincère. Mais au-delà des paroles, notre soutien passe par des actes, c’est-à-dire des moyens à la hauteur des missions : c’est tout l’enjeu du débat budgétaire !

Or, madame la ministre, nous sommes perplexes devant une équation budgétaire aussi énigmatique.

D’un côté, le Gouvernement nous annonce des hausses de crédits sans précédent, qui montrent clairement que l’on s’engage sur la bonne voie : l’hémorragie est stoppée. De l’autre côté, nous pointons du doigt cependant avec inquiétude les trop nombreuses dépenses non financées, reports, suppressions et gels de crédits qui rendent bien aléatoire l’effort annoncé : 850 millions d’euros perdus en juillet et ce gel de 700 millions d’euros millions qui, s’ils ne sortent pas rapidement du congélateur de Bercy, finiront par ne plus être consommables !

Mais cet argent, nos soldats en ont besoin pour assurer leur mission et leur propre sécurité ! Nos 4 000 entreprises l’attendent aussi pour faire vivre un secteur économique riche de plus de 200 000 emplois. Aussi nous interrogeons-nous : quelle est la valeur du vote du Parlement ? Il y a un an, nous avons voté ces crédits : où sont-ils ? Ils sont bloqués par des arbitrages gouvernementaux ! Mais quelle est, dans ces conditions, la valeur du débat que nous menons chaque année sur le budget ? S’agit-il d’un débat virtuel ?

Madame la ministre, nous aurions sincèrement aimé accompagner vos efforts personnels par un vote favorable. Malheureusement, la commission qui s’est réunie de nouveau hier préconise désormais, à l’instar de nombreux groupes, l’abstention sur les crédits de la mission « Défense », au vu de cette incertitude insupportable sur la fin de gestion de l’année 2017. Mais enfin, au nom de quoi fait-on peser sur la défense cette épée de Damoclès ? Nos soldats qui risquent chaque jour leur vie n’ont-ils pas le droit de disposer des ressources que le Parlement a votées pour eux ?

Cette protestation ne s’adresse évidemment pas à vous, madame la ministre. Si vous êtes bien sûr tenue au principe de la solidarité gouvernementale, nous mesurons – je peux en attester ici – votre détermination personnelle et votre pugnacité pour obtenir ces crédits. C’est pour vous aider que nous lançons cet appel au Gouvernement : nous voulons qu’il aille au bout de son engagement !

Certes, le projet de loi de finances pour 2018 affiche une augmentation de 1, 8 milliard d’euros. Il poursuit les programmes d’équipement et les recrutements dans le renseignement et la cyberdéfense. Il accentue la protection des hommes et des emprises et met en application le plan Familles et conditions de vie des militaires, qui porte votre marque personnelle, madame la ministre, ce dont nous vous félicitons.

Mais nous sommes perplexes, car, si on nous annonce un effort enfin rehaussé à 2 % du PIB en 2025, certains ont le culot de nous expliquer qu’on a déjà atteint les 2 % : il suffit de compter les pensions ! Mais pourquoi n’y avait-on pas pensé plus tôt ?De même, la remontée en puissance sera si concentrée entre 2022 et 2025, avec une courbe de croissance qui s’accélère vertigineusement après le quinquennat, que sa soutenabilité peut être sérieusement mise en cause.

Enfin, nous sommes perplexes, car les hausses affichées, 1, 8 milliard d’euros puis 1, 7 milliard d’euros, sont, hélas, siphonnées par le « resoclage » des OPEX, les opérations extérieures : derrière ce terme abscons, il faut comprendre un transfert pur et simple de leur financement de la solidarité interministérielle vers les armées.

Il faut également parler des subterfuges utilisés pour freiner tout investissement futur : je veux bien sûr parler de l’article 14 de la loi de programmation des finances publiques, dont nos amendements ont neutralisé les effets mortifères pour les armées. Le sort de ces amendements est désormais confié à la commission des finances. Elle saura, j’en suis persuadé, en défendre le dispositif auprès des députés lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Je n’énumère pas toutes les questions en suspens : les rapporteurs pour avis les ont évoquées avec talent. Je veux d’ailleurs saluer le travail d’approfondissement qu’ils ont conduit sur ces sujets dans un délai extrêmement court et les en remercie.

Qu’il me soit simplement permis de relayer trois points noirs qu’ils ont mis en avant.

L’immobilier, d’abord : il manque 400 logements au moins pour les militaires en région parisienne. La commission regrette la proportion très faible de logements sociaux dédiée aux militaires au sein de l’îlot Saint-Germain : un sur cinq, avec un cadeau de 50 millions d’euros à Mme la maire de Paris ! Après le cadeau fait à Sciences Po pour l’Hôtel de l’Artillerie, tout cela fait beaucoup ! Notre commission avait tenté de protéger ces ressources, mais l’Assemblée nationale ne nous a pas suivis. Madame la ministre, nous pensons qu’il faut absolument conserver le Val-de-Grâce comme réserve immobilière pour nos armées : obtiendrez-vous que cela devienne la position du Gouvernement ?

La disponibilité des matériels, ensuite : les rapporteurs ont décrit les effets désastreux de la fameuse « courbe en baignoire » qui frappe les matériels neufs comme les anciens. Chacun connaît dans cette enceinte les prouesses qu’il faut réaliser pour maintenir en service des matériels d’âge canonique alors que, dans le même temps, les hélicoptères de toute dernière génération et les tout récents A400M connaissent eux aussi des défauts de maturité qui les clouent au sol !

Troisième point noir, enfin : le soutien, éternel sacrifié, qui est devenu, à force d’être laminé, un vrai talon d’Achille aujourd’hui. La commission souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur le service de santé des armées, qui est au bord du burn-out. Il mène de front une vigoureuse réforme, comme bien peu d’administrations en ont engagé, et une activité très intense en opération. La rupture n’est pas loin. Or c’est vraiment la capacité de projection de nos armées et le secours qu’il convient de leur porter qui sont en jeu.

En résumé, ce qui est frappant, c’est évidemment le décalage, le hiatus, pour ne pas dire la contradiction manifeste entre cette somme d’incertitudes sur les moyens des armées et l’aggravation de la menace décrite par la revue stratégique.

Mardi dernier, le Président de la République a été accueilli à Ouagadougou par des jets de grenade sur les soldats français ! La revue stratégique a décrit la dispersion des crises, depuis les immensités sahéliennes où le terrorisme est toujours actif jusqu’aux confins de la mer de Chine, à l’espace extra-atmosphérique, au cyberespace, et au cœur même de nos sociétés démocratiques abreuvées de désinformation. Comme pour appuyer nos craintes, ce missile intercontinental nord-coréen vient nous rappeler la triste réalité.

Face à ces menaces, c’est bien le maintien d’un modèle d’armée complet et équilibré qui est l'enjeu de la prochaine loi de programmation militaire annoncée pour le mois de février 2018. Cela impliquera, il faut le mesurer pleinement, un considérable effort sur les moyens. En effet, le modèle est bon, mais il est exsangue à l’issue d’une décennie d’éreintement et de sous-investissement. Il va falloir prendre les bonnes décisions et s’y tenir !

Cet effort requis pour notre sécurité sera aussi rentable pour notre économie. Nos collègues de la commission des finances le savent bien : la défense, ce sont 200 000 emplois de haute technologie et non délocalisables ; c’est le premier budget d’investissement de l’État ; ce sont des investissements de rupture, d’innovation, qui tirent toute l’économie ; c’est une quinzaine de milliards d’euros d’exportations par an. Combien de secteurs de l’économie peuvent en dire autant ?

Alors, madame la ministre, au moment du vote, ce sera le triste choix de l’abstention. Paradoxalement, ce sera un moyen de vous soutenir dans vos efforts. Nous voulons surtout dire au Gouvernement que, en matière de défense, il faut tenir le langage de la vérité, car il y va du moral de nos soldats, mais aussi de la sécurité de la France !

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