Intervention de Hélène Conway-Mouret

Réunion du 30 novembre 2017 à 14h30
Loi de finances pour 2018 — Défense

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le débat de ce jour, permettez-moi d’avoir une pensée pour nos militaires et leurs familles, pour celles et ceux qui ont été touchés dans leur chair, blessés au combat ou qui ont donné leur vie au service de notre pays, pour celles et ceux qui ont perdu un camarade, un ami, un mari, un frère. Je veux saluer la dignité des familles dans ces moments de douleur, saluer l’ensemble de nos forces armées, ainsi que le dévouement de ces femmes et de ces hommes engagés dans les missions qui leur sont confiées partout dans le monde pour maintenir la paix, garantir la liberté de la France et assurer notre sécurité à tous, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de nos frontières.

Je tiens aussi à exprimer notre estime pour le général Pierre de Villiers, qui a accompli un travail remarquable dans ses fonctions. Nous connaissons l’extraordinaire proximité qu’il a su entretenir avec ses hommes au-delà des grades et des armes, son souci de garantir que chaque homme, chaque femme engagés sur une mission puisse la réaliser dans les meilleures conditions matérielles et sécuritaires possible. Dans son départ, nous voyons une rupture avec la gouvernance exercée jusqu’alors.

Je veux enfin exprimer nos encouragements à son successeur, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, dont les compétences et le dévouement sont reconnus par tous, et, à travers lui, à l’ensemble des chefs d’état-major : terre, air et marine.

Cela dit, pour déterminer la position de mon groupe, il me semble essentiel de replacer nos débats dans le contexte actuel.

Nous pourrions y voir une forme de continuité. Celle-ci n’est qu’apparente.

En effet, la méthode par laquelle a été conçue la revue stratégique nous interpelle. Alors que les deux précédents Livres blancs de 2008 et de 2013 avaient associé les parlementaires et, au-delà, les acteurs de la communauté de défense, nous regrettons leur absence dans l’élaboration de ce qui représente la pierre angulaire de la doctrine stratégique de la France. Il serait souhaitable que les parlementaires soient associés plus en amont du projet de loi de programmation militaire.

Les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat ont démontré par le passé qu’elles étaient capables de fournir des contributions de qualité au service d’une démarche collective. Il y va de notre cohésion nationale autour de nos armées.

Ce budget pour les forces armées et la défense s’inscrit toujours dans un contexte sécuritaire de tensions. Tensions à l’extérieur, où nos forces restent engagées dans plusieurs opérations : Chammal, au Levant, où Daech a été vaincu d’un point de vue conventionnel, puisqu’il a perdu l’ensemble de ses emprises territoriales, mais l’engagement de nos troupes durera encore longtemps, car la sécurisation totale de ces vastes espaces prendra du temps ; Barkhane, au Sahel, où la situation sécuritaire est préoccupante, tant les attaques régulières de groupes terroristes, particulièrement à l’encontre des populations civiles, nous appellent à la vigilance.

Et puis, nos troupes restent présentes partout, sur de nombreux théâtres, notamment au Liban, où nos soldats poursuivent l’engagement quotidien du maintien de la paix.

Nos forces interviennent aussi sur le territoire national, où la menace terroriste est bien réelle. Avec l’opération Sentinelle, nos armées sont intégrées au dispositif regroupant l’ensemble de nos forces de sécurité. Même si ce dernier a été réadapté, chaque jour, ce sont des milliers de militaires qui sont présents dans nos rues et sur les sites sensibles, afin de nous protéger.

Toutes ces opérations appellent un budget en progression, afin de permettre à chaque soldat de réaliser ses missions dans les meilleures conditions possible.

Lors de la dernière campagne présidentielle, la plupart des candidats, dont l’actuel Président de la République, se sont engagés à consacrer 2 % du PIB aux dépenses militaires. L’année dernière, la commission avait confirmé la nécessité d’atteindre cet objectif et en avait posé les jalons. Nous constatons aussi que les différentes déclarations du Gouvernement fixent cet engagement dans la durée, puisqu’il s’agirait d’atteindre 2 % du PIB en 2025, c’est-à-dire trois ans après la fin du quinquennat actuel.

Poursuivant ce raisonnement, 1, 7 milliard d’euros de crédits supplémentaires sont inscrits pour l’année 2018, dans une montée en puissance progressive, avec des augmentations similaires pour les années à venir – sont annoncés 1, 7 milliard d’euros pour 2019 et 1, 8 pour 2020.

Dans le même ordre d’idées, aucun programme ne semble avoir été annulé et le projet de loi de finances pour 2018 ne présente pas, sur le papier, de grandes ruptures avec la logique de consolidation de notre outil de défense qui a prévalu ces dernières années. Par exemple, le programme 144 continue d’être affiché comme une priorité. Dans un environnement incertain, nous ne pouvons qu’approuver cette démarche de renforcement de nos capacités de renseignement, ainsi que nos moyens d’action en matière de cybersécurité. Je pense enfin à l’apparente stabilisation budgétaire pour les programmes 146 et 191.

Notre industrie de défense doit être soutenue. Présente dans nos territoires à travers un tissu de PME, elle est l’un des secteurs clés qui tirent l’ensemble de notre économie, notamment avec ses 200 000 emplois.

Pérenniser notre modèle de défense, c’est garantir à notre industrie de conserver ses moyens en matière de recherche et développement. En effet, le risque de nivellement par le bas, voire de décrochage technologique, existe bien.

Enfin, le programme 178, pivot de la transformation permanente de nos armées, permet de soutenir l’effort de protection des infrastructures et des personnels.

Toutefois, nous restons vigilants.

D’abord, pour la marine, parce que nous assistons à une montée en puissance des forces navales d’autres pays dans la protection de leurs espaces maritimes.

Ensuite, pour l’armée de l’air, qui a vu ses équipements très sollicités par de multiples déploiements opérationnels. Il en découle une tension pesant sur le renouvellement des stocks, des systèmes d’armes et des équipages.

Enfin, pour l’armée de terre, qui supportait jusque-là la majeure partie de la réduction des effectifs.

Si nous partageons un certain nombre de perspectives figurant dans ce projet de loi de finances pour 2018, il n’en demeure pas moins que celui-ci soulève des interrogations. En effet, nous devons prendre en compte l’ensemble des éléments financiers. La hausse affichée du budget de la défense, sans précédent depuis la fin de la guerre froide, nous paraît bien artificielle à la lumière des arbitrages pris depuis l’été.

Comme l’avaient souligné nos anciens collègues Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, il s’agit également de prendre en compte le coût des décisions entérinées par le conseil de défense du 29 avril 2015 et inscrit dans l’actualisation de la loi de programmation militaire. Cela représente 1 milliard d’euros pour 2018 et 1, 2 milliard d’euros pour 2019.

N’oublions pas que le ministère des armées a subi une coupe budgétaire de 850 millions d’euros en juillet dernier. Cette coupe conduit au décalage dans le temps d’un certain nombre de programmes. Je pense à la rénovation de nos Mirage 2000D. Mais il n’aura échappé à personne que, derrière ces reports budgétaires, il y a des hommes et des femmes à qui l’on donne des missions. Ces dernières ne peuvent malheureusement pas être repoussées dans le temps. Derrière ces artifices budgétaires, il y a la réalité, celle des soldats qui devront en subir les conséquences sur le terrain.

Et puis, cela entraîne d’ores et déjà des renégociations de contrats avec les industriels. Madame la ministre, je vous ai déjà interrogée à ce sujet en commission : pourriez-vous nous éclairer sur le montant des indemnités compensatoires qui leur seront versées ?

Enfin, je rappelle que 700 millions d’euros de crédits alloués à la défense sont toujours gelés par Bercy, même si c’est de saison. Nous espérons les voir dégelés très vite. Sans ces crédits, l’augmentation affichée dans le présent projet de loi de finances pour 2018 manquera de sincérité.

Au total, ce projet de loi de finances pour 2018 présente une réalité budgétaire quelque peu différente de celle qui est affichée par l’augmentation de 1, 7 milliard d’euros du budget de la défense. Cette augmentation, nous la soutenons, mais, sans garantie de la part de Bercy quant au dégel de 700 millions d’euros de crédits alloués à la défense, nous ne pouvons pas voter cette proposition budgétaire.

En conséquence, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur les crédits de la mission « Défense ».

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