Chers collègues, nous accueillons ce matin le Docteur Ghada Hatem, gynécologue.
Le Docteur Hatem a pris l'initiative de créer La Maison des femmes de Saint-Denis, qui assure une prise en charge globale des femmes victimes de violences, qu'il s'agisse des violences conjugales, des viols, y compris incestueux, et des mutilations sexuelles, pour lesquelles est proposée une prise en charge globale, médicale et psychologique, mais aussi sociale.
La Maison des femmes de Saint-Denis a récemment fêté son premier anniversaire : nous vous remercions, Docteur, de nous présenter le bilan de ce lieu de soins et d'accueil unique, dont la création n'allait pas de soi et pour lequel vous avez déployé une énergie hors du commun.
Docteur, vous incarnez à vous seule les deux préoccupations majeures de notre délégation. Nous avons en effet souhaité cette année travailler sur les violences faites aux femmes pour préparer l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement. Nos questionnements concernent plus particulièrement le drame des victimes de violences sexuelles, notamment des victimes les plus jeunes, et les obstacles qui jalonnent leur parcours judiciaire. Nous nous intéressons, bien sûr, à l'accompagnement médical et psychologique de ces victimes, jeunes et moins jeunes.
Nous préparons aussi un travail sur les mutilations sexuelles en vue de la semaine du 6 février : vous avez bien voulu accepter de participer à la table ronde que nous organiserons le jeudi 8 et nous vous en remercions chaleureusement.
Notre deuxième sujet de travail, à plus long terme quant à lui, concerne l'avenir de la gynécologie : c'est dire, Docteur, si nous avons vocation à vous revoir souvent, ce dont je me réjouis.
Docteur Ghada Hatem, médecin chef de La Maison des femmes de Saint-Denis. ? Je vous remercie de me recevoir et de me donner ainsi l'occasion de vous exposer une initiative qui me tient à coeur. La Maison des femmes est un lieu atypique et innovant que nous avons conceptualisé progressivement, au gré des constats qui ressortaient de mes consultations, au cours desquelles j'ai notamment appris que la violence peut se nicher dans tous les secteurs de la vie sociale. J'exerce à Saint-Denis depuis sept ans. Vous le savez, c'est l'un des départements les plus pauvres en France. J'ai été frappée par le fait que la pauvreté et l'immigration aggravent les inégalités en matière de violence, rendant les choses encore plus difficiles pour les femmes concernées.
À l'hôpital Delafontaine, la population que nous recevons est très diverse : on y compte plus d'une centaine de nationalités et de dialectes parlés. En tant que responsable de la maternité pendant cinq ans, j'ai observé que les femmes qui y sont accueillies sont fréquemment victimes de violences, liées notamment, pour celles qui sont d'origine subsaharienne, à leur parcours migratoire. De plus, pas moins de 14 % des femmes qui accouchent dans notre maternité ont été victimes de mutilations sexuelles. D'où mon idée d'ouvrir un lieu hospitalier et de vie à la fois, pour accueillir indifféremment toutes les femmes vulnérables. Nous nous adressons à celles qui sont en demande d'IVG, car cet acte, contrairement à ce que l'on entend parfois dire, n'est jamais simple à décider pour les femmes, qui se posent beaucoup de questions. Nous nous adressons aussi à celles qui sont victimes de violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ce qui inclut le viol conjugal. Cette notion reste mal appréhendée par les médecins. On a encore tendance à considérer que les femmes ont un « devoir conjugal ». Heureusement, la loi a changé pour réprimer les relations sexuelles non consenties entre époux.
Nous avons également mis en place une consultation spécifique pour les victimes d'inceste. Il s'agit pour nous d'un énorme problème de santé publique. Enfin, l'une de nos unités s'intéresse spécifiquement à la prise en charge des femmes victimes de mutilations sexuelles.
J'ai souhaité accueillir toutes ces femmes dans un lieu situé dans l'enceinte de l'hôpital, sans être toutefois l'hôpital. La Maison des femmes est dotée d'un accès direct par la rue, les femmes qui ont besoin de nous n'ont pas à passer par l'accueil de l'hôpital. Je peux témoigner que cela change tout. Les femmes qui viennent nous voir comprennent très vite que cela va changer leur parcours, en leur évitant un passage administratif souvent long et laborieux. Cela rassure ces femmes particulièrement vulnérables, qu'elles soient sans papier ou privées de toute estime d'elles-mêmes après toutes les humiliations qu'elles ont subies.
Ainsi, le simple fait de pousser le portillon et d'entrer directement dans La Maison des femmes simplifie grandement leur venue. Du reste, cette idée de simplification a guidé la conception globale de la prise en charge que nous leur offrons. En effet, toutes les études, y compris la dernière commanditée par Marisol Touraine en 2014, s'accordent sur le fait que le parcours de prise en charge des victimes de violences doit être simple et coordonné, pour leur éviter d'avoir à ressasser à de multiples intervenants un récit douloureux, dont la répétition a pour conséquence de réactiver leur traumatisme, ou bien d'avoir à organiser elles-mêmes cette prise en charge, ce dont elles sont incapables.
Très conscients de cet impératif, nous avons souhaité offrir aux femmes toute la palette des outils dont elles pourraient avoir besoin, en commençant par le soin. Il s'agit là d'une porte d'entrée essentielle, car elle permet à la femme de parler le plus simplement possible de ce qu'elle vit. Cela inclut le recueil des preuves physiques, notamment si les violences sont récentes, même dans le cas où les victimes ne souhaitent pas porter plainte. Nous leur expliquons que ces preuves sont pour elles une sécurité, car le certificat ou les photos que nous réalisons pourront attester l'ancienneté des faits, par exemple en cas de répétition de l'agression, au cas où elles se sentiraient prêtes à déposer plainte dans le futur. Cela permettra alors de conforter leur parole.
Une fois que nous avons accueilli ces femmes et recueilli leur parole, en leur ayant montré - chose essentielle - que nous les croyons et que nous allons tout mettre en oeuvre pour les accompagner, nous évaluons ensuite les urgences et les besoins : si le mari d'une victime est derrière la porte avec un fusil, ce n'est évidemment pas nous qui pouvons régler le problème, et il faut appeler d'urgence les services de police. Cependant, les femmes viennent rarement nous voir dans ce contexte d'urgence immédiate.
Si nous percevons la détresse d'une victime et un syndrome de stress post-traumatique, nous la confions immédiatement à une équipe de psychologues pour la prendre en charge, ce qui est fondamental.
S'il y a besoin de procédures, nous sollicitons les juristes, les avocats et les policiers qui travaillent bénévolement à nos côtés. Par exemple, un ancien policier, délégué police-population, a choisi d'exercer cette fonction au sein de La Maison des femmes et vient une fois par semaine à ce titre. Nous avons également recours à une policière de la brigade criminelle qui vient également quelques heures par semaine. Sa présence contribue à rétablir le lien de confiance, parfois abîmé, entre les victimes et la police. Dans ce cadre, les femmes - notamment les plus vulnérables d'entre elles - entendent qu'elles ont des droits même si elles sont en situation irrégulière, ce qu'elles ne savent pas. La continuité des actions mises en oeuvre garantit l'efficacité de la prise en charge « holistique », c'est-à-dire globale, que nous pouvons offrir et qui nous a permis de tirer d'affaire plusieurs jeunes filles.
Après dix-huit mois d'exercice, nous sommes débordés par notre succès : fréquentation des femmes, intérêt des médias, acteurs du secteur médico-social ou étudiants qui souhaitent s'impliquer. De nombreux bénévoles nous ont rejoints, dont beaucoup de jeunes femmes d'un excellent niveau de diplôme, qui sont heureuses de trouver un cadre concret où s'investir sur le terrain. C'est cela qui les attire chez nous. Leur aide nous est très précieuse. La solidarité qui se déploie est une belle chose à observer.
Nous avons également suscité de l'intérêt dans d'autres régions ou départements. Le CHU Saint-Pierre nous a contactés car il souhaitait reproduire notre concept à Bruxelles. Leur centre vient d'ouvrir au 320, rue Haute et nous célébrerons la création, demain, de notre première « petite soeur ». De même, nous avons reçu hier des représentants du Centre d'accueil, information, sexualité (CACIS) de Bordeaux, très actif et engagé, avec qui nous avons partagé savoir-faire et expérience. Nous avons aussi été reçus par le service d'urbanisation de Nantes et abordés par la région PACA. Tous ces échanges nous ont incités à publier un kit pratique expliquant comment ouvrir une Maison des femmes. Plus généralement, notre structure suscite beaucoup d'intérêt et me semble répondre à un besoin qui n'était pas pris en compte jusque-là.
Par ailleurs, les European family justice centers mènent une action similaire à la nôtre, au niveau européen, à la différence près qu'ils n'incluent pas les soins. Ils ont pris contact avec nous par le biais de la fondation Kering qui est notre meilleur soutien et ils nous ont « adoubés », faisant de notre structure le premier dispositif français à avoir rejoint ce mouvement. J'avoue que je ne comprends pas que la France ne soit pas intégrée dans ce dispositif qui intègre aussi bien des Ukrainiens, des Belges, des Berlinois, que des Anglais ou des Ecossais. Nous devrions réfléchir pour intégrer notre pays à ce mouvement. Tout comme nous, ces centres proposent une prise en charge psycho-juridico-sociale, et notre volet santé les intéresse beaucoup. Nous essayons de construire un socle commun.
C'est une grande satisfaction pour moi de constater que notre exemple peut inspirer des réalisations comparables.
Le président Macron a rappelé, le 25 novembre dernier, l'importance pour la France de s'investir dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes, y compris en ce qui concerne les mutilations sexuelles. Il a évoqué la création de dix lieux de soin innovants, sans en préciser les contours : nous sommes restés un peu « sur notre faim » et nous aimerions avoir davantage de précision. Nous aimerions aussi être sollicités pour mettre en place ces expérimentations, car nous avons suffisamment bataillé pour que La Maison des femmes existe ! Nous souhaitons contribuer à l'ouverture de nouveaux lieux d'accueil, à Bordeaux notamment.
La Maison des femmes est le résultat d'une conception intelligente, qui a su rassembler en un lieu unique écoute attentive des victimes et démarches administratives. La simplification de leur parcours et un accueil centré sur les soins, tels sont, si j'ai bien compris, les deux piliers de votre projet, dont le maître mot est la bienveillance. À quelle forme de structure administrative vous rattachez-vous ? Quels sont vos liens avec l'hôpital ? Parmi les personnes que vous accueillez, combien vont jusqu'à déposer une plainte ? Enfin, quel est votre avis à l'égard de la question des viols de mineurs, sur l'âge du consentement, sujet fort évoqué dans les médias ?
Docteur Ghada Hatem. - Initialement, la direction de l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis avait accepté de nous donner un terrain. Nous avons travaillé dur pendant trois ans pour trouver les financements nécessaires à la réalisation de notre projet. Ils proviennent pour un tiers de la région, qui subventionne La Maison des femmes au titre de lieu de planning familial aux missions élargies ; pour un tiers, du département, car Stéphane Roussel qui préside le Conseil général de Seine-Saint-Denis nous a beaucoup soutenus ; et pour un tiers, de dons en provenance de quinze fondations privées, parmi lesquelles la fondation Kering - j'en ai parlé à l'instant -, dont la présidente a joué un rôle essentiel pour développer notre mécénat auprès de fondations comme Elle, L'Oréal, Sanofi, Aéroports de Paris, etc.
Marisol Touraine, alors ministre, nous a accordé 160 000 euros en 2017 et autant en 2018. Elle a missionné des inspecteurs de l'Inspection des affaires sociales (IGAS) pour évaluer l'intérêt de reproduire notre dispositif. Le rapport, qui date de mai 2017, est public depuis une semaine. Il conclut à notre légitimité en mettant en avant le socle incompressible qui doit être financé par l'État : soins médicaux, soins psychologiques, accompagnement social. Nous travaillons à mettre en place ce financement avec l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France.
Le rapport de l'IGAS conclut à la nécessité d'ouvrir des lieux d'accueil de ce type partout sur le territoire, même si l'offre de soins peut être modulable selon les besoins des régions. Il sollicite la Haute Autorité de Santé (HAS) sur la définition de ce que doit être la prise en charge des violences faites aux femmes. Un groupe de travail devrait voir le jour à ce sujet, qui réservera une place particulière aux enfants, car ceux-ci portent toute leur vie les répercussions douloureuses de l'agression qu'ils ont vécue, lorsqu'ils ont été victimes directes de violences.
De plus, l'IGAS nous a demandé de clarifier notre position par rapport à l'hôpital. Nous sommes une unité de l'hôpital, avec un personnel rémunéré par l'hôpital. Parmi ceux qui exercent à nos côtés, il y a deux sages-femmes, un sexologue, un psychologue, et une secrétaire dont la Fondation Sanofi financera le salaire pendant trois ans. François-Henri Pinault, président de la Fondation Kering, s'est engagé à nous financer pendant deux années supplémentaires. Nous avons créé une association de la Maison des femmes par l'intermédiaire de laquelle nous menons des campagnes de crowdfunding. L'association est très active sur les réseaux sociaux et a gagné en notoriété grâce à la campagne « Pied dans la porte ». Nous renforçons notre projet, brique après brique.
Quant à l'âge du consentement, c'est une question sur laquelle je reste embarrassée en tant que gynécologue. La notion de consentement absolu avant la majorité est délicate. J'ai reçu dans mon cabinet des jeunes filles de quatorze ans qui vivaient une sexualité parfaitement épanouie avec leur ami de dix-sept ans. On peut toujours déplorer la précocité des premiers rapports sexuels... Il n'en reste pas moins que certaines jeunes filles sont très matures et ne sont pas forcément des victimes. C'est pourquoi, retenir comme limite l'âge de treize ans me semble plus adapté à la réalité des pratiques ; mais, à mon avis, les situations doivent être traitées au cas par cas.
Le 19/01/2022 à 13:56, Gervot-Rostaing a dit :
Merci pour votre travail!
Plasticienne engagée, je me permets un commentaire en image... avec une série intitulée "Infibulation" sur le sujet des mutilations sexuelles féminines que j’ai pu présenter à des lycéens français pour la Journée des Femmes. L'action est aussi la pédagogie et le débat. A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/blog-page.html
Mais aussi un dessin plus pudique intitulée « Noli me tangere » sur l’inviolabilité du corps de la femme : https://1011-art.blogspot.fr/p/noli-me-tangere.html
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