Intervention de Annick Girardin

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 23 novembre 2017 : 1ère réunion
Audition de Mme Annick Girardin ministre des outre-mer dans le cadre de l'étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer

Annick Girardin, ministre des outre-mer :

Merci pour votre invitation ce matin pour cette première audition organisée par votre délégation. Je salue votre choix d'entériner la proposition du président Michel Magras : engager une étude de fond sur les outre-mer face aux risques naturels majeurs, c'est primordial. C'est même vital. Cela engage la sécurité de 2,7 millions de nos concitoyens.

J'ai l'habitude de le dire - et malheureusement l'actualité de ces derniers mois en a été la triste illustration - les outre-mer sont en première ligne des risques naturels majeurs : séisme, tsunami, cyclone, volcan, inondation, glissement de terrain. S'ajoutent à cette forte exposition aux risques les contraintes liées à l'insularité (hormis la Guyane) et à l'isolement. Cette insularité, parfois « multiple », comme c'est le cas à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, a un effet amplificateur lors d'une crise majeure avec l'effondrement de l'ensemble des réseaux et la difficulté pour acheminer rapidement des moyens d'urgence.

Par ailleurs, les zones littorales concentrent l'essentiel des populations et de l'activité économique et sont particulièrement exposées. Les effets du changement climatique, déjà perceptibles et appelés à s'accroître, vont renforcer dans l'avenir l'intensité et la fréquence de ces risques.

D'ailleurs, les risques naturels sont toujours présents. L'activité sismique intense ces derniers jours en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna - heureusement sans faire de victime - est encore venue nous le rappeler.

La transition écologique est le défi de nos sociétés pour le XXIe siècle. Alors que va bientôt s'ouvrir la conférence climat de Paris le 12 décembre prochain, voulue par le Président de la République, je souhaiterais rappeler mon ambition : si les outre-mer sont effectivement les plus exposés, ils peuvent aussi être aux avant-postes des solutions d'adaptation au changement climatique. J'insiste sur ce point. Les Assises des outre-mer seront d'ailleurs l'occasion de présenter des solutions novatrices en la matière, territoire par territoire, en incluant la dimension régionale. Cette dernière est indispensable pour répondre aux crises et la France conserve un rôle central en la matière par ses capacités de déploiement logistique, j'aurai l'occasion d'y revenir.

L'audition est aujourd'hui axée sur le premier volet de l'étude, à savoir les questions de prévention, d'anticipation et de gestion de l'urgence dans les outre-mer face aux risques naturels majeurs.

Je sais que vous aurez l'occasion de m'interroger sur le second volet de l'étude ultérieurement, à savoir les questions de reconstruction et de renforcement de la résilience des territoires, elles aussi extrêmement importantes. Mais je ne peux raisonnablement pas l'omettre tant les risques naturels appellent une réponse globale : l'aménagement du territoire, pensé et organisé pour la résilience face aux risques, est bien entendu un préalable indispensable pour prévoir, anticiper et gérer au mieux les urgences. Tout est lié, vous le savez et je ne cesserai jamais de le rappeler. C'est une partie du combat que je mène depuis plusieurs années et qu'il faut aujourd'hui accélérer.

Je vous remercie de nous avoir transmis le fil conducteur de cette audition. J'en salue la pertinence et j'aurai l'occasion de rentrer dans les détails - et les chiffres - lors de la phase de questions/réponses qui va suivre. Je souhaiterais simplement revenir avec vous sur les enjeux de prévention et de gestion des risques, en appuyant mon propos sur mon expérience de terrain. Ces questions ont fondé mon engagement politique.

J'ai activement participé à la COP21 en tant que secrétaire d'État au développement. J'étais en charge de la négociation avec les pays en développement et les États insulaires. Pendant deux ans, j'ai sillonné la planète à la rencontre de populations condamnées à déménager leur village en raison de la montée des eaux, d'agriculteurs frappés par des sécheresses inédites, mais aussi de citoyens porteurs de solutions nouvelles. J'ai porté le projet CREWS (Climate Risk and Early Warning Systems), un système international d'alerte, car certains pays accèdent tout juste aujourd'hui à des informations météorologiques.

Quelques mois après la COP21, on a tendance à l'oublier, la France a signé les dix-sept objectifs de développement durable (ODD) pour l'horizon 2030 avec les 192 autres États membres de l'ONU. Mon souhait, c'est de voir des territoires dans lesquels ces dix-sept ODD ne soient pas qu'un beau discours, pour se donner bonne conscience, mais bien une stratégie politique concrète, inscrite dans le quotidien des populations.

Ces dix-sept objectifs de développement durable s'appliquent dans tous les champs de la société et sont complémentaires et insuffisamment connus ; c'est ce que l'on appelle le développement durable : environnement mais aussi lutte contre la pauvreté, éradication de la faim, meilleure santé, éducation de qualité, égalité femme/homme, travail décent et croissance économique, réduction des inégalités, et bien sûr la paix. Le développement durable, c'est comprendre que tout est lié.

Je souhaite que les territoires d'outre-mer soient des territoires d'excellence. Je souhaite que les territoires d'outre-mer mettent en place ou se donnent comme objectifs ces dix-sept objectifs de développement durable pour l'horizon 2030. C'est sans doute à travers ces objectifs que nous pourrons montrer l'exemplarité mais aussi l'innovation dont sont capables nos territoires.

Mais je reviens aux enjeux de prévention des risques naturels majeurs. Il faut tout d'abord rappeler qu'à l'exception de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, largement compétentes sur ces questions, le droit commun national s'applique outre-mer.

Une fois les aléas naturels connus, mesurés, répertoriés, et ils le sont très largement, le premier défi est celui de la planification, avec l'élaboration des plans de prévention des risques (PPR) naturels (PPRN) et littoraux (PPRL) et des stratégies locales contre le risque inondation et submersion marine.

Les situations sont très contrastées : si cette planification, essentielle compte tenu de ses conséquences en termes d'aménagement de l'espace, a bien avancé en Guyane, dans les Antilles ou à La Réunion, il reste beaucoup de travail, en particulier à Mayotte ou même à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Nous sommes collectivement responsables de cette situation car ces plans sont nécessairement le fruit d'un travail conjoint entre l'État et les collectivités. Il est d'autant plus important de mener ce travail que les enjeux outre-mer sont spécifiques et accentuent souvent les risques, d'abord avec une forte urbanisation littorale, mais aussi compte tenu de la prégnance de l'habitat illégal dans certains territoires.

Ces retards sont d'autant plus préjudiciables et regrettables que les financements sont nombreux dans ce domaine, avec en premier lieu le fonds Barnier, mais aussi les fonds européens, particulièrement le fonds européen de développement régional (FEDER), qui peuvent être mobilisés pour mener à bien les politiques de prévention.

Nous disposons, en plus, du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), qui relève du ministère des outre-mer. Le FEI est un levier indispensable pour rattraper les retards des outre-mer par rapport à l'hexagone en matière d'équipements structurants pour les populations.

6 % des investissements du fonds (soit plus de 3 millions d'euros par an) concernent spécifiquement des mesures de prévention des risques naturels majeurs.

Je rappelle à ce titre que, pour la période 2018-2022, j'ai obtenu le maintien du dispositif FEI, avec 40 millions d'autorisations d'engagement par an.

Par ailleurs, plusieurs risques naturels ont fait l'objet de plans spécifiques. Le plus important est le Plan séisme Antilles, mis en place depuis 2007. Les Antilles françaises sont les territoires les plus exposés aux aléas sismiques à l'échelle nationale. La réduction de la vulnérabilité du bâti est une priorité gouvernementale.

L'État a déjà contribué à ces projets à hauteur de 350 millions d'euros sur ses crédits budgétaires et sur le fonds Barnier.

Cela a permis de renforcer ou reconstruire deux États-majors et six centres de secours des pompiers, neuf centres hospitaliers, quarante-quatre établissements scolaires, 6 500 logements sociaux.

En effet, pour la 2e tranche du plan, qui couvre la période 2016-2020, l'État prévoit de mobiliser 450 millions d'euros, soit une augmentation de 30 % par rapport à la première phase.

Je me félicite également de l'adoption par l'Assemblée nationale de deux dispositifs fiscaux visant à répondre aux besoins spécifiques en outre-mer en matière de travaux de confortation contre le risque sismique et cyclonique au bénéfice des propriétaires occupants.

Par ailleurs, comme je l'ai annoncé à l'Assemblée nationale, je suis également favorable à ce qu'une partie des crédits du logement du ministère soit fléchée vers la rénovation des bâtiments et leur adaptation au changement climatique. Je m'y suis engagée, dans un premier temps, à hauteur de 5 millions d'euros.

Car je porte une ambition : je souhaite « verdir » l'ensemble des soutiens financiers du ministère des outre-mer, de manière progressive d'ici la fin du quinquennat.

Il faudrait aussi vous parler de tout ce qui est fait en matière d'information, de formation, de sensibilisation aux risques. Mais sans doute aurez-vous des questions sur le sujet.

Je suis certaine que l'action collective pour la sécurité de nos concitoyens est aujourd'hui mise au défi par le dérèglement climatique. Les collectivités sont-elles armées pour faire face à des risques de plus en plus violents et imprévisibles ? Faut-il des moyens de financement nouveaux ? Tels sont, je crois, les termes du débat. Nous n'avions jamais pensé que les collectivités aient, avec le soutien de l'État, à porter de tels défis.

Il faut le rappeler car on a tendance à l'oublier : jamais trois cyclones ne s'étaient succédé en dix jours dans les Antilles, encore moins des cyclones d'une telle intensité - 380 km/h de vents. Nous avons fait face à un événement inédit. Et malheureusement, le consensus scientifique ne nous laisse guère de doute sur la fréquence accrue de ces phénomènes pour l'avenir.

Il va falloir nous adapter. Et financer cette adaptation. C'est à ce titre que la question de « l'équivalent fonds vert », géré par l'Agence française de développement (AFD), mérite d'être évoquée. Tel qu'amendé à l'Assemblée nationale, il sera maintenu dans le budget 2018 de mon ministère.

Pour 2017, l'AFD nous a informé que 9,3 millions d'autorisation d'engagement ont été consommés dans l'enveloppe globale fournie par le ministère, laquelle s'élève à 13,5 millions d'euros.

J'aurai souhaité que cet équivalent fonds vert, qui bénéficie aujourd'hui aux collectivités du Pacifique, puisse être disponible pour tous les territoires d'outre-mer. Mais dans ce cas, le ministère des outre-mer ne peut pas être seul à relever le défi.

Je vous le disais : tout comme je crois à l'action collective, je milite pour que les outre-mer s'inscrivent dans leur bassin régional. L'adaptation au changement climatique des outre-mer sollicite bien sûr la solidarité nationale - la gestion de crise post Irma et Maria est d'ailleurs la preuve de l'efficience de la mobilisation interministérielle. J'irai même plus loin : l'adaptation au changement climatique des outre-mer mobilise une solidarité européenne et internationale, d'où la nécessité de raisonner par bassin géographique. Comme je le rappelais en introduction, les problématiques se recoupent : si l'aménagement du territoire est pensé en amont, si les infrastructures sont adaptées aux contraintes climatiques, alors la gestion de crise est grandement facilitée. Sur ce point, n'ayons pas peur pour une fois de l'assumer avec fierté, le système français de gestion de crise est parmi les plus efficaces au monde. Quels sont les pays qui peuvent aujourd'hui se targuer d'une capacité de mobilisation logistique et d'intervention en moyens civils et militaires à l'échelle de ce qui a été fait pour Irma et Maria ? Ils se comptent sur les doigts d'une main. Je ne peux pas laisser dire que l'État n'a pas répondu présent à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Guadeloupe ou en Martinique. En termes de moyens engagés, cela représente la plus grande opération logistique nationale depuis des décennies. Quelques chiffres rapides, toujours nécessaires pour comprendre cette opération et son importance : 8 284 personnes mobilisées, dont 3 000 sur place ; bâtiment de projection et de commandement - le BPC Tonnerre - sur zone du 22 septembre au 13 octobre, ainsi que, je le rappelle, deux frégates, six avions de surveillance et de transport - Falcon, CASA et A400M ; 7 hélicoptères ; 350 tonnes de nourriture ; 2 millions de bouteilles d'eau ; 35 000 rations militaires ; 50 000 m² de bâches et bien sûr l'ensemble des autres petits moyens que je pourrais ajouter si je dois fournir la liste exhaustive.

Oui, il y a des leçons à tirer de la gestion de cette crise. Le retour d'expérience organisé aujourd'hui par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) nous permettra d'en tirer les enseignements nécessaires.

Pour m'être rendue sur place, vous le savez, quelques heures seulement après le passage des ouragans, je peux témoigner des difficultés, de la détresse des populations et des paysages de guerre, ravagés, que j'ai pu découvrir.

Cette crise a mis en exergue un autre enjeu, celui de la gestion de la communication en temps de crise.

Communiquer, c'est aujourd'hui un besoin vital pour les populations. La communication n'a pas remplacé les besoins primaires d'eau et d'électricité, mais dans un monde « connecté », la déconnection devient rapidement un sujet de tension en soi. Je l'ai vu, je l'ai vécu. Et puis, humainement, le simple fait de pouvoir parler à quelqu'un de son entourage, de rassurer, participe à un effet cathartique.

Pouvoir communiquer, c'est aussi mettre à mal ce que l'on appelle les « fake news » et informer sur l'action réelle de nos services territoriaux et de l'État sur le terrain dans la gestion de crise. Cela a effectivement manqué.

Des vies ont été sauvées. Des femmes et des hommes se sont engagés corps et âme pour venir au secours des populations. Vous le savez, je viens d'Amérique du nord. Aux États-Unis, au Canada, on les aurait qualifiés de héros. En France, on les critique, ce n'est jamais suffisant. Je tiens ici à leur rendre hommage et féliciter ces « héros invisibles » qui se sont engagés dans la gestion de cette urgence, que ce soient des professionnels ou des bénévoles.

Et puis, la France, à travers ses outre-mer, joue souvent un rôle de pivot dans l'action internationale de la gestion des crises majeures.

L'Accord FRANZ dans l'océan Pacifique, qui réunit la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande au profit de tous les États de la zone est sans doute le plus bel exemple d'une coopération régionale aboutie. Il a vocation, je crois, à faire école dans les deux autres océans.

Dans l'océan Indien, la France est de fait l'unique puissance régionale réellement armée dans ce domaine. Le travail étroit engagé avec la Croix-Rouge, à travers la plate-forme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI), démontre que par des voies originales, des initiatives de solidarité de voisinage sont toujours possibles. C'est une belle façon de rayonner pour La Réunion.

Dans l'océan Atlantique, des dispositifs régionaux existent. Pourtant, alors que c'est la zone la plus sujette aux risques naturels, la structuration n'est pas complètement au rendez-vous. Plusieurs projets sont en cours, je pourrai y revenir. La France s'efforce d'être moteur et partie prenante de chacun de ces projets.

Voilà, en quelques mots, ce que je souhaitais porter à votre attention pour ouvrir cette discussion.

En matière de risque naturel, le risque zéro n'existe pas. Par une meilleure collaboration entre l'État et les acteurs locaux, par la mobilisation de tous les moyens à notre disposition, nous pourrons, ensemble, anticiper au mieux et surtout gérer plus efficacement les événements lorsqu'ils surviennent.

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