Intervention de Victorin Lurel

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 23 novembre 2017 : 1ère réunion
Audition de Mme Annick Girardin ministre des outre-mer dans le cadre de l'étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel, rapporteur :

Je voulais tout d'abord revenir sur le périmètre retenu dans le cadre de cette étude et de son premier volet. En effet, il a été choisi de ne pas inclure les questions de risques sanitaires ou d'épidémies en tant que tels. Je considérais que les épidémies liées par exemple aux moustiques, comme le chikungunya a pu le montrer à La Réunion, peuvent emboliser, voire paralyser les services publics - nous l'avons vu dans les hôpitaux. La dengue ou le zika sont d'autres exemples. L'étude se concentre ainsi selon le voeu du président et du rapporteur coordonnateur sur les risques naturels majeurs : risques sismiques, volcaniques, cycloniques, d'inondations et glissements de terrain, de submersion.

Sur ce sujet, il y a une vraie problématique de logistique qu'il faudra soulever le moment venu : il me semble que sur ces questions nous sommes dépendants de Hawaï et de Puerto Rico. Je crois que, dans certains territoires d'outre-mer, les sirènes d'alerte ne sont plus actives.

Nous aurons des questions sur l'évaluation des moyens et la logistique dans la prévention et le post-catastrophe, et j'intègre ici la problématique des documents d'urbanisme. Ceux-ci ne sont pas tous terminés, et il y a ici un réel problème de moyens à la disposition des collectivités et notamment des communes. Il n'est pas normal que les révisions de plans d'occupation des sols (POS) et l'établissement de plans locaux d'urbanisme (PLU) prennent parfois plus de dix ans, voire quinze ans. Je l'ai personnellement vécu : ces procédures sont lourdes, il y a une réelle difficulté à cet égard. Je pense d'ailleurs aux rapports de la délégation sur le foncier outre-mer : nous aurons peut-être tôt ou tard une levée de boucliers des populations puisqu'on ne maîtrise plus le foncier. On impose des contraintes de construction, avec la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), avec des commissions départementales de consommation des espaces agricoles et forestiers, sans pour autant pouvoir déclasser. Faute de pouvoir déclasser, faute de pouvoir construire en toute régularité, les gens occupent des espaces couverts par des PPRN et s'installent sans autorisation. Je constate ces contraintes en Guadeloupe, avec des communes où la révision du PLU n'est toujours pas intervenue après 13 ans et le cas d'une commune classée en PPRN, où la répartition du bâti devrait être entièrement reconsidérée. Il y a une réelle préoccupation en termes d'occupation de l'espace et d'appréhension de celui-ci.

Il me semble en outre incontournable d'aborder la question des moyens. Les gouvernements successifs ont mené la révision générale des politiques publiques (RGPP), la modernisation de l'action publique (MAP) : ces réformes ont redessiné les cartes et moyens des services et des opérateurs, au point que Météo-France aujourd'hui est largement démuni. La surveillance cyclonique assurée par Météo-France a été recentrée sur la Martinique. Avec Irma et Maria, nous avons vu une déclaration de l'état de catastrophe naturelle faite sur la base de simulations de Météo-France en Martinique. Je rappelle que la Guadeloupe est un archipel, et qu'il n'y a pas d'anémomètre à Terre-de-Bas et à Terre-de-Haut. De la Martinique, on a ainsi estimé, lors du passage de Maria et en se référant à des simulations, que le vent n'avait pas dépassé 145 km/h pendant dix minutes. Quand vous avez vécu ce phénomène, votre ressenti, même s'il n'est pas une mesure, est tout autre. Il y a un problème de déploiement des moyens pour vérifier l'effectivité et la représentativité de ce qui est ensuite assené aux opinions publiques. Le problème se pose encore par la suite face à des réseaux sociaux omniprésents et de prétendus spécialistes qui font circuler des informations en vue d'influencer l'opinion publique et de susciter des oppositions et contestations. Il faudrait une « certification » de ce qui est divulgué ; les moyens doivent être renforcés pour assurer la crédibilité des informations relayées.

Face à un ouragan de force 5, il me semble qu'il faut revoir l'ampleur de notre préparation, sur les territoires et à Paris ; à ce titre, j'aimerais avoir des éléments sur le déroulement des procédures et la coordination des forces. La question de l'unité de commandement se pose d'autant plus lorsque l'on n'a pas su anticiper suffisamment, qu'il s'agisse d'un cyclone ou d'une autre catastrophe naturelle. Dans le cadre d'un déploiement de forces, notamment militaires, qui reçoit et qui donne les ordres : le préfet, le ministre des outre-mer, le ministre de l'intérieur, le ministre de la défense ? Il faut, pour éviter tout souci sur le terrain, une unité de commandement, d'instruction et d'exécution. Nous avons manifestement senti un flou à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et en Guadeloupe.

Je me suis battu, lorsque j'étais ministre, pour que soient préservés les moyens militaires dans les océans Indien et Pacifique. On a, il me semble, désarmé les bâtiments de transport léger (BATRAL), quand les bâtiments multi-missions (B2M) devraient arriver l'an prochain ou d'ici 2019 - c'est en tout cas ce que Madame Florence Parly, ministre des armées, m'a répondu. Je vous rappelle que les BATRAL étaient des bateaux permettant le débarquement d'hommes et de matériels sur les plages : en cas de catastrophe comme à Saint-Martin, ils peuvent agir même si les quais sont détruits et peuvent ainsi débarquer des tracteurs et engins lourds ; le B2M n'a pas cette capacité de plageage et cela induit des délais supplémentaires de livraison. Il y a aujourd'hui une véritable béance, un véritable déficit dans l'océan Indien mais surtout dans l'océan Pacifique. Dans le cadre de l'examen de la loi de programmation militaire, les parlementaires sont parfois peu attentifs à ces questions, et les parlementaires ultramarins ne sont pas nécessairement nombreux à siéger au sein des commissions qui en sont saisies.

Il est nécessaire de faire un diagnostic et d'évaluer les moyens dont nous disposons. Le risque de submersion et la montée des eaux, notamment pour Wallis-et-Futuna, pour la Polynésie française, pour la Nouvelle-Calédonie ou les îles Fidji sont une réalité : de quels moyens disposons-nous pour y faire face ? Quels sont les accords militaires conclus avec les pays environnants - je pense notamment à la Nouvelle-Zélande et à l'Australie ? Il faut examiner les coopérations possibles à ce sujet.

Je souhaite que ce rapport nous permette de produire un véritable recensement des moyens, pas seulement militaires mais aussi civils, je pense aux pompiers notamment. La carte militaire a été redessinée pour la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane : la Guadeloupe a été totalement dépouillée. On compte aujourd'hui 51 militaires en Guadeloupe, du RSMA, il y a eu une concentration en Guyane et une légère diminution des forces stationnées en Martinique. Irma a révélé une insuffisance de réflexion sur le pré-positionnement des forces. S'il y avait un doute sur la trajectoire du phénomène, on pouvait pré-positionner sur la Martinique. L'A400M est ainsi arrivé avec quatre jours de retard, aucun hôpital de campagne n'a également été déployé, ni de bateau hôpital. Dans l'urgence, nous avons vu arriver à Saint-Kitts des bateaux vénézuéliens qui ont apparemment proposé de venir à Saint-Martin. Pour l'image internationale de la République française, une telle proposition aurait été difficile à accepter, mais on voit ici la rapidité qui a été la leur pour se rendre dans les îles. Que faisons-nous en termes de coopération ? Que faisons-nous par exemple avec Cuba ? Les relations diplomatiques sont sensibles, je le sais, mais en tant qu'élu du conseil général de la Guadeloupe, j'avais pu voir qu'ils disposaient d'une commission post-catastrophe, cellule semble-t-il assez efficace et qui permet la diffusion de documents.

Concernant l'information disponible, je le disais, nous sommes dépendants des États-Unis, mais cela se fait efficacement. Le NHC n'est par ailleurs pas le seul centre américain à intervenir. Les services météorologiques français sont assez efficaces mais me semblent manquer de moyens. Je sais cependant les réticences de certaines collectivités à l'égard de l'installation de balises au large des côtes. La Martinique et la Guadeloupe en ont installé plusieurs dont le financement a été intégralement porté par les régions. Le cône Météo-France empêche des installations éparses. Il faut là aussi recenser l'existant et voir s'il y a des disparités territoriales à combler.

Sur le post-catastrophe, beaucoup reste à faire. Il nous faut adopter une culture de la prévention. Les Néerlandais ont cette culture, savent anticiper, pré-positionner s'il le faut et agir après un événement.

Je tiens enfin à ce que nous nous intéressions aux images blessantes qui ont été véhiculées, notamment de pillages sur Saint-Martin, mais Guillaume Arnell en parlera mieux que moi. Il faut réfléchir aux méthodes de communication de crise.

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