Intervention de Annick Girardin

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 23 novembre 2017 : 1ère réunion
Audition de Mme Annick Girardin ministre des outre-mer dans le cadre de l'étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer

Annick Girardin, ministre des outre-mer :

Quatre exercices de ce type doivent être effectués au minimum chaque année dans l'ensemble de ces territoires. Ces exercices sont obligatoires. Il est important de former : il faut que les fonctionnaires soient fortement sensibilisés à ces questions.

Je souhaite également rappeler le rôle des réserves communales de sécurité civile. Il faut aller plus loin avec des réserves bénévoles. Les plans communaux de sauvegarde ont peut-être vocation à mettre en place la formation des voisins, que vous identifiiez à juste titre comme les premiers intervenants. L'État sera aux côtés des communes qui souhaitent porter ce type de projets ; La Réunion a déjà essayé de travailler sur ce sujet.

Concernant les plans santé, madame Jasmin est plus qualifiée que moi pour en parler. Dans le cas de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, je souhaite rappeler qu'il n'y a pas eu de nécessité de monter un hôpital de campagne. L'hôpital a mieux résisté que prévu. La première question qui s'est posée était celle des dialysés - 50 patients qui ont dû être ramenés sur la Guadeloupe - et l'évacuation sanitaire a été très vite traitée. Pour le reste, nous avons pu faire face, et tant mieux, à la prise en charge des malades sur place et nous avons pu évacuer assez vite l'ensemble des blessés. Quand je suis arrivée, nous débutions les évacuations : elles se sont passées à un rythme satisfaisant. Très rapidement, l'ensemble des personnes à risque - y compris les femmes enceintes - a pu être mis en sécurité, rapatrié sur la Guadeloupe ou en métropole pour certains.

Sur le pilotage des opérations, je rappelle que nous avons une structuration classique dans les départements et régions d'outre-mer : les moyens de sécurité civile de l'État sont mobilisés au niveau des zones de défense ; ce sont ainsi les préfets de Guyane, de la Martinique pour les Antilles et de La Réunion pour l'océan Indien. Les services interministériels départementaux de protection civile coordonnent les moyens de secours dans les préfectures. L'organisation est éprouvée depuis des décennies et est largement satisfaisante. Ce système est adapté dans le Pacifique autour des hauts-commissaires. En Polynésie, en l'absence de départementalisation du SDIS, il n'y a pas de centre opérationnel ni de chaîne de commandement. La prochaine mise en service d'un centre de traitement des appels 18/112, lié au SAMU, est en place. En Nouvelle-Calédonie, la sécurité civile est une compétence qui a été transférée en 2014. Une direction locale a été créée et l'État concourt à renforcer ces moyens par une subvention de 5 millions d'euros. À Wallis-et-Futuna, le pilotage est assisté par le haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie ; localement la gestion de crise relève de l'administrateur supérieur avec les pompiers locaux.

Vous avez insisté sur le rôle spécifique des forces armées. L'isolement, l'insularité, les moyens de secours limités sur les territoires imposent une présence permanente et forte des ressources militaires. Saint-Martin et Saint-Barthélemy l'ont confirmé.

Concernant la participation à la sécurité civile, ce sont près 2 000 personnes qui ont été mobilisées pour Irma. C'est une première et il faut s'en féliciter, nous avons été en mesure de le faire rapidement.

Il y a toujours la difficulté, vous le disiez, du pré-positionnement. Je pense que les forces qui ont été mises en place rapidement et pré-positionnées à Saint-Martin répondaient au degré d'information et de connaissance dont nous disposions. Pré-positionner davantage de forces en Guadeloupe que ce qui a été fait était compliqué dans la mesure où les informations que nous avions nous indiquaient que la Guadeloupe allait également être frappée. La ressource allait venir de la Martinique et de la Guyane. Dès l'arrivée des informations sur la trajectoire du cyclone qui allait préserver la Guadeloupe, nous avons envoyé les forces supplémentaires.

Les forces pré-positionnées étaient à la hauteur des informations et des besoins évalués. Une donnée avait peut-être été insuffisamment prise en compte : celle de l'insécurité à Saint-Martin. Il eut fallu se poser la question de la réalité de Saint-Martin avant le cyclone ; l'effet de levier du cyclone sur cette violence et cette insécurité n'a peut-être pas été suffisamment perçu. Cependant, en quarante-huit heures, les forces supplémentaires demandées - on est monté très vite à 3 000 personnes supplémentaires - sont arrivées sur place et la sécurité a été rétablie sur Saint-Martin. On peut s'en féliciter et le choix du Premier ministre est bien de maintenir à Saint-Martin des effectifs supérieurs à ce qu'ils étaient avant Irma.

Venons-en à la question du pré-positionnement des matériaux et des hommes dans les régions lors des périodes cycloniques. Il faut que nous regardions ce qui peut être fait. Nous avons positionné des forces aériennes en Guyane, car elle est épargnée. Les forces navales et maritimes sont localisées en Guadeloupe et Martinique. Il faut que nous précisions les forces exactes en présence de manière à savoir quelle serait la réponse de pré-positionnement selon les périodes et les bassins maritimes. Faisons attention cependant : les moyens qui sont arrivés sur Saint-Martin via la Guadeloupe sont arrivés de métropole et sont des moyens aussi nécessaires sur l'ensemble de notre pays. Il faut mesurer les périodes d'incendies sur la métropole, d'inondations : c'est un vrai travail à l'échelle nationale.

Je tiens aussi à rappeler que nous disposons d'une armature préfectorale solide, qui a démontré sa capacité à gérer des crises, avec notamment la planification ORSEC (Organisation de la réponse de sécurité civile), l'exercice Richter 2017 aux Antilles que nous évoquions plus tôt.

Concernant l'information et la sensibilisation des populations, il nous faut progresser sur l'information en milieu scolaire - qui permet, par les enfants, d'atteindre les familles. À La Réunion, avec la plateforme d'intervention régionale océan Indien (PIROI), c'est plus de 10 000 élèves du primaire qui en bénéficient chaque année : c'est un modèle que l'on peut sans doute répliquer dans les autres territoires outre-mer. Aux Antilles, je rappelle qu'il y a un exercice annuel de préparation aux séismes.

L'information met également en jeu la capacité des préfectures à diffuser sur les réseaux et sites internet des préfectures : il faut que nous allions plus loin avec les pages Facebook et les médias locaux. Sous la coordination du préfet, il faut que l'on puisse relayer l'information suffisamment rapidement aux collectivités qui ont ensuite également leurs réseaux. Il faut aussi pouvoir toucher davantage de volontaires et peut-être organiser un véritable réseau de volontaires.

Au sujet des mécanismes d'alerte, le système d'alerte et d'information des populations (SAIP), je voudrais évoquer l'installation des sirènes de nouvelle génération et leur développement dans les territoires d'outre-mer. Ces territoires ne bénéficient pas pour le moment du déploiement des sirènes comme en métropole. Le retard est dû à des difficultés techniques du développeur et, d'autre part, à des contraintes budgétaires du programme 161 relatif à la sécurité civile qui finance ce système. L'enjeu est pour moi les Antilles où un déploiement devrait être possible en 2019. Il faut rappeler que le calendrier de mise en place de ces sirènes est une priorité. Il n'est pas prévu de déploiement à La Réunion : on limite les sirènes à la commune touristique de Saint-Paul ; il faudra nous dire si cela est suffisant. Dans le Pacifique, les territoires ont développé leur propre réseau d'alerte, il faudra peut-être l'évaluer avec les élus et les hauts-commissaires des territoires.

Au sujet toujours de l'information des populations, je rappelle que le ministère de l'intérieur a une convention avec Radio France et France Télévisions pour la diffusion d'informations en cas de crise. Il faut que nous puissions davantage travailler avec les réseaux sociaux et les communications par SMS envoyés directement aux populations : c'est quelque chose qui n'est pas encore au point aujourd'hui et qu'il faut améliorer.

Concernant les services de secours, l'autre enjeu opérationnel est bien sûr le déploiement de l'Infrastructure nationale partageable des transmissions (INPT), pour que l'on ait de meilleures communications. Aux Antilles, ce réseau numérique est opérationnel depuis le premier semestre 2016. Pour mémoire, le ministère a financé 27 % du projet, soit 2,2 millions d'euros. À Mayotte, la livraison du matériel et les opérations de génie civil sont en cours : le réseau sera totalement déployé au premier semestre 2018 pour un coût de 2,6 millions d'euros. En Guyane, une étude de faisabilité est actuellement conduite à la demande de la DGOM. En Polynésie, le déploiement n'est pas envisagé. À La Réunion, un réseau numérique de la gendarmerie, Quartz, est déjà en place. Nous avons peut-être une question sur Wallis-et-Futuna, et notamment Futuna, davantage isolée. À Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons un réseau qui nous permet de travailler avec le Canada.

Concernant les arrêtés relatifs aux catastrophes naturelles, je tiens à préciser que cette constatation de catastrophe naturelle n'a d'intérêt que pour l'ensemble des personnes assurées. Pour les personnes non assurées, c'est le fonds de secours qui est chargé d'intervenir. Je rappelle également que tous les assurés disposent d'une garantie tempête obligatoire et que c'est la mention des précipitations et inondations qui importe pour permettre l'indemnisation des dégâts des eaux pour les assurés. Cette crise a montré que nous devions diffuser une meilleure information, aux personnes assurées comme à celles qui ne le sont pas, sur les différents mécanismes.

Vous m'interrogez enfin sur l'implication et le rôle du ministère des outre-mer. Celui-ci a un rôle d'aiguillon en cas de catastrophe naturelle dans les territoires d'outre-mer. J'insiste, depuis que je suis à la tête de ce ministère, sur la notion de « réflexe outre-mer » dans les autres ministères : les outre-mer doivent être davantage pris en compte dans les politiques de prévention et les fonds mis en place concernant l'adaptation. Mon ministère a une fonction de coordination, d'expertise, mais aussi de rappel que les outre-mer doivent bénéficier du droit commun. Le ministère des outre-mer participe à de nombreuses instances nationales qui touchent ces sujets de prévention : le conseil de prévention des risques naturels majeurs - dont la dernière réunion s'est tenue en novembre 2017 -, le plan climat - nous sommes associés à la préparation de celui-ci et notamment au nouveau plan national d'adaptation au changement climatique et nous veillons à ce que l'outre-mer soit au coeur de ces réflexions - et le comité de suivi sur la stratégie de gestion du trait de côte. Concernant la problématique du littoral et du grignotage des côtes françaises, il y a des plans de lutte contre la submersion marine, des stratégies nationales de gestion du trait de côte et un réseau national d'observation a été mis en place. Il y a eu des expériences d'enrochements, mais il y a également un besoin de délocalisation de certains villages, parce qu'il est impossible dans certains cas de ralentir le grignotage des côtes et la montée des eaux. La protection du littoral est importante et les innovations mises en place outre-mer et en métropole doivent davantage être mises en lumière dans le cadre des Assises.

Je rappelle également qu'une proposition de loi avait été déposée sur ce thème par la députée Chantal Berthelot. Je suis très sensible à cette question et resterai bien entendu vigilante sur les propositions que vous ferez. Je sais que les compétences de certaines collectivités dans ce domaine vont poser problème face à l'ampleur des défis à relever et à leurs implications financières. L'État doit être aux côtés des collectivités ; j'ai rappelé les différents fonds et aides au-delà de la seule contribution du ministère des outre-mer qui est bien sûr insuffisante. Il faut que nous nous battions pour une reconnaissance nationale et je suis certaine que vos recommandations militeront en ce sens.

Concernant les sargasses que monsieur Antiste évoquait, mélange d'algues et de particules, je veille à la continuité des engagements pris par le gouvernement précédent, Ségolène Royal s'était investie sur le sujet. Une mission scientifique a été menée cet été : aujourd'hui un certain nombre d'analyses sont encore en cours. Originaire d'Amérique du Nord, je sais que le Canada travaille à la demande d'autres États des Caraïbes sur cette question et j'ai demandé à ce qu'il y ait des travaux franco-canadiens.

La dernière question, posée par Guillaume Arnell, était plus politique. Il fallait que la réponse à la crise soit interministérielle. L'ampleur des dégâts à Saint-Martin et Saint-Barthélemy nécessitait qu'il y ait un délégué interministériel. Ce n'est pas avec un cabinet de seulement dix conseillers, ni avec la direction générale des outre-mer - qui a les compétences mais est une petite direction - que nous aurions été en mesure à la fois d'être sur place, de dialoguer avec les collectivités, d'évaluer les dégâts, et d'animer les réunions interministérielles. Je vous rappelle que le délégué interministériel est sous ma tutelle, et que le comité interministériel est soit présidé par le Premier ministre lui-même soit par la ministre des outre-mer. Monsieur Gustin et son équipe sont donc une ressource supplémentaire bienvenue pour répondre à l'urgence.

Le délégué interministériel à la reconstruction de Saint-Martin et Saint-Barthélemy a vocation à être maintenu pour un certain temps. C'est lui qui a permis que deux accords soient rapidement signés : l'un, sur place à Saint-Martin par le Premier ministre, apportant des soutiens financiers à la collectivité ; le deuxième sur les ressources humaines qu'il faut apporter à Saint-Martin et Saint-Barthélemy - pour la reconstruction mais aussi dans la durée -, sur la question de l'urbanisme et enfin sur la coopération régionale. Non, cette structure ne fragilise pas le ministère des outre-mer : cela le renforce, à partir du moment où la ministre des outre-mer reste le pilote, et je reste le pilote.

Le « réflexe outre-mer » ne peut pas affaiblir les territoires d'outre-mer ou la position du ministère des outre-mer : c'est faire que, dans chaque politique pensée, dans chaque outil pensé en amont, on intègre les spécificités des territoires d'outre-mer. Nous ne serons jamais assez pour porter ce « réflexe outre-mer ». Je tiens à souligner les déplacements nombreux de mes collègues ministres en outre-mer : c'est la première fois qu'en six mois un Président de la République, un Premier ministre, une dizaine de ministres et secrétaires d'État s'y sont déplacés. Cela montre la volonté que nous avons de répondre à cette notion de « réflexe outre-mer ». J'en parle depuis de nombreuses années et cela a été repris dans les discours du Président de la République et du Premier ministre. Le « réflexe outre-mer » ne doit pas être porté seulement au sein du Gouvernement mais aussi dans toutes les instances nationales.

Le ministère des outre-mer a vocation à coordonner et à traiter les spécificités, c'est ma vision. Le droit commun doit s'appliquer dans tous les territoires d'outre-mer et les spécificités doivent être coordonnées et prises en compte dans le cadre du budget du ministère des outre-mer. Les Assises des outre-mer que je mène ont vocation à répondre aux besoins des territoires.

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