Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 17 janvier 2018 à 9h35
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France :

« Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », disait Guillaume d'Orange. Ces problèmes sont anciens, mais profitons de l'amélioration économique pour les traiter. Nous bénéficions de taux bas qui rendent les placements en actions plus intéressants, et d'un changement de nature de notre économie. C'est une vraie nouveauté par rapport à 1970. Une économie de rattrapage se finance très bien par la dette, car le chemin de croissance est bien balisé, tandis qu'une économie à la frontière technologique, avec beaucoup d'innovation, est plus risquée : sur trois entreprises créées, deux échoueront, et il faut investir suffisamment de fonds propres dans la troisième qui réussira, et donc apprécier la situation. L'environnement est plus favorable.

Regardons avec prudence les comparaisons internationales sur les dividendes. Les entreprises doivent avoir une politique de distribution adaptée.

Gouverneur de la Banque de France et président de l'ACPR, je préfère être dans un environnement bancaire solide en France que dans un pays du sud de l'Europe ayant dû faire face à la crise bancaire. Ne nous donnons pas, cependant, de satisfecit à bon compte. Dans ma dernière lettre, j'ai alerté le Président de la République : l'endettement public et privé mondial n'a pas ralenti depuis 2007. De 190 % en 2001, il a cru à 210 % en 2007, et à 230 % en 2016. L'essentiel de l'accroissement est réalisé dans les pays émergents, le risque s'est donc déplacé. Il n'est pas question de baisser la garde sur la régulation internationale. N'ayons pas la tentation de l'oubli.

Il n'y a pas de bulle globale mais des bulles locales, ainsi qu'un risque d'endettement de certaines grandes entreprises françaises. En 2016, le HCSF a alerté sur l'immobilier de bureau en Île-de-France. Les prix vont trop vite par rapport aux fondamentaux économiques.

La BCE ne veut pas réduire immédiatement ses stocks. Lorsqu'elle arrêtera les achats nets, la taille du bilan restera ensuite à un niveau élevé, avant de diminuer.

Nous nous félicitons de l'arrivée en France de l'Autorité bancaire européenne (ABE). Avec l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), Paris dispose de deux des trois agences de régulation. C'est un véritable atout, avec un secteur financier français puissant. Nous avons intérêt à des règles du jeu communes et que la zone euro soit considérée comme un territoire géographique unique. Reprenons le mouvement de fusion transfrontalière des banques, pour plus de banques paneuropéennes. Les cinq premières banques américaines représentent 40 % du marché, contre moins de 20 % pour les cinq premières banques américaines. Les banques sont trop petites, elles ne font pas circuler l'épargne à travers les frontières.

Je n'ajouterai rien sur l'évolution des taux d'intérêt, qui n'ira probablement que dans un sens, une augmentation des taux nominaux. Le taux nominal est à 0,8-0,9 % pour les obligations assimilables du Trésor (OAT) à dix ans, mais les variables économiques que vous citiez s'apprécient surtout par rapport au taux réel - déduction faite de l'inflation. Si les taux nominaux augmentent, les taux réels resteront faibles en raison de l'augmentation de l'inflation vers la cible de 2 %. Oui, nous sommes dans une perspective de croissance un peu moins forte, impliquant des taux réels moins élevés qu'auparavant.

J'entends les critiques, un peu excessives, des professionnels de la finance estimant qu'encadrer les fonds propres serait contradictoire avec les accords de Bâle et la directive Solvabilité II, et empêcherait de faire ces investissements en fonds propres. Les banques ont rarement investi massivement en fonds propres. Il faut être plus prudent dans le secteur assuranciel. Une revue de la directive Solvabilité II est prévue en 2018 puis en 2020, nous serons attentifs à ce qu'elle ne pénalise pas l'investissement. Nous pouvons déjà investir en fonds propres à travers l'assurance-vie. En la faisant évoluer et en adaptant Solvabilité II, on réconciliera ces considérations.

Je souhaite comme vous que le verdissement soit mondialement partagé. Notre réseau compte huit superviseurs et banques centrales dont trois extraeuropéens - dont la Banque populaire de Chine. C'est une préoccupation centrale, qui monte en puissance.

J'entends souvent des plaintes sur le manque des décideurs en province : cela relève des banques elles-mêmes. Dans chaque département, la Banque de France réunit un conseil consultatif avec les entreprises, que nous entendons conserver. C'est aux banques d'offrir la meilleure prestation de services possible. La concurrence est active. Les banques doivent marier dans leur organisation la proximité du terrain et la compétence sur les entreprises. Le conseiller de l'agence locale n'a souvent pas cette compétence. Cela relève du chargé d'affaires, qui doit se déplacer facilement.

La directive européenne traitant des élus a été transposée strictement. Certes, le sujet est sensible et parfois excessif, et je suis moi-même soumis à ces règles - ce qui est normal. Ce sujet n'évoluera qu'à l'échelle européenne. Nous partageons tous l'objectif prioritaire de lutte contre le blanchiment, mais cela ne doit pas conduire à une suspicion envers les élus ou pire, une forme d'exclusion par les banques. L'ACPR l'a rappelé aux banques dans des lignes directrices.

Le franc CFA relève du libre choix de quinze pays africains des trois zones monétaires d'Afrique de l'Ouest, de l'Afrique centrale et des Comores ; il y va de leur souveraineté. Contrairement à ce que vous dites, les faits montrent que ce régime monétaire est plus favorable à la croissance et conduit à une plus faible inflation. La proportion des dépôts sur le compte d'opération, la présence au conseil et la fabrication des billets sont négociées, et également choisies par les pays africains. Distinguons le choix fondamental des modalités offertes.

La situation de l'IEOM est différente dans les départements d'outre-mer et dans les territoires du Pacifique. Mais c'est la même politique monétaire et la même monnaie. Historiquement, la question du financement était dans le giron de l'Agence française de développement (AFD). Depuis l'année dernière, grâce au législateur, l'IEOM est devenue une filiale de la Banque de France, pour une unité de la politique monétaire. Nous irons jusqu'au bout des synergies pour faire des économies, même si le maintien d'un institut pour tenir compte des spécificités ultramarines peut se justifier.

Il n'y a pas de risque de multiplication des dérivés ou des chaines de financement dans l'endettement privé. À ce stade, ces financements ne servent pas massivement à racheter des actions - ce qui serait contreproductif par rapport à notre orientation sur les fonds propres. Mais c'est un peu le phénomène que l'on a observé aux États-Unis.

Soyons prudents sur l'estimation de la croissance potentielle. Il y a autant d'estimations que d'économistes... Nous l'estimons entre 1,2 et 1,3 %. La croissance actuelle est largement supérieure car nous rattrapons notre retard. Il est important d'augmenter le niveau du limitateur de vitesse. Le facteur travail et les compétences sont cruciaux. On ne peut se résigner à un taux de chômage structurel atteignant 8 %, d'où l'importance de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

L'efficacité de la politique économique et monétaire vaut pour la France et ailleurs. C'est le message constant des Gouverneurs européens : la politique monétaire ne peut pas tout faire. Il faut l'équilibrer avec la politique budgétaire, et prévoir des politiques en faveur de la formation et de l'apprentissage. La politique monétaire, efficace, a servi les Français, mais ne lui demandons pas plus que ce qu'elle peut donner.

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