Intervention de Pierre-Noël Giraud

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 18 janvier 2018 à 10h40
Audition de M. Pierre-Noël Giraud professeur d'économie à l'école des mines paris-tech et à l'université paris-dauphine

Pierre-Noël Giraud, professeur d'économie à l'école des Mines Paris-Tech et à l'université Paris-Dauphine :

Avant de répondre à ces questions, je voudrais corriger un oubli. Il existe un deuxième volet des politiques : il concerne, non pas les nomades, mais les sédentaires, c'est-à-dire les trois quarts de la population.

Ne pouvant contrôler les déplacements des nomades, vous devez faire en sorte de rendre le territoire attrayant à leurs yeux. Mais vous pouvez aller plus loin avec les sédentaires, notamment parce qu'ils n'iront pas ailleurs s'ils sont insatisfaits de ce que vous leur faites faire. La relocalisation consiste donc à rendre les biens et services sédentaires plus attrayants pour les nomades.

Si votre besoin final consiste à passer une bonne soirée avec quelques amis, vous pouvez les inviter chez vous pour manger une pizza surgelée en regardant une série Netflix ou les inviter au bar à vin de pays d'à côté, avant d'aller assister à un spectacle vivant. Dans un cas, vous avez satisfait votre besoin avec des biens essentiellement nomades, dont certains pourraient d'ailleurs être produits sur place ; dans l'autre, avec des biens sédentaires. Les deux peuvent se substituer si le besoin à satisfaire est suffisamment large. C'est le cas, par exemple, du besoin de mobilité urbaine.

Beaucoup est à faire dans ce domaine car cette dimension des politiques est clairement oubliée. Certes, il faut soutenir l'industrie et la science, comme tout le monde s'accorde à le dire, mais il faut aussi rendre les biens sédentaires plus attrayants ou moins chers. Ce sont 73 % des emplois qui en dépendent !

Pourquoi ne le fait-on pas ?

D'une part, l'idée d'un raisonnement en termes de « nomade » et « sédentaire » n'est pas si répandue que cela. On ne trouve pas de statistiques tenant compte de ces notions, alors même que nous avons montré que les nomades gagnent de plus en plus d'argent, l'écart entre leurs salaires bruts et ceux des sédentaires ne cessant de s'accroître, sans lien avec la qualification. Un important travail doit être mené pour trouver et mettre en valeur les bons indicateurs.

D'autre part, nous rencontrons un grave problème en Europe. Qui sortira gagnant dans la politique européenne ? L'Allemagne, bien sûr ! Quand les Chinois investissent dans le secteur de la robotique en Europe, ils vont en Bavière, pas dans le Massif central ! C'est là un aspect d'un problème plus large. Ainsi, pour traiter les très grandes inégalités de développement internes à l'Europe, l'alternative est la suivante : soit on déplace les emplois là où se trouvent les habitants, soit on déplace les habitants là où se trouvent les emplois. Je crains que la deuxième solution ne l'emporte, au détriment du capital humain européen.

L'Allemagne - 80 millions d'habitants, aujourd'hui, et un taux de fécondité de 1,4 enfant par femme - pourrait devenir dans un siècle une sorte de grand parc naturel, avec une population de 20 millions d'habitants, très écolo, alors même que l'Afrique comptera 4,5 milliards d'habitants. Tel est le monde vers lequel nous nous dirigeons en l'absence d'immigration !

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