Intervention de Emmanuel Barbe

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 24 janvier 2018 à 9h00
Audition en commun avec la commission des lois de M. Emmanuel Barbe délégué interministériel à la sécurité routière

Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière :

Avant de revenir sur la réduction de la limitation de vitesse à 80 km/h, permettez-moi de vous présenter brièvement les grands axes du plan de sécurité routière que le Premier ministre a dévoilé la semaine dernière. En 2016, il y a eu 3 477 personnes tuées dans des accidents de la route. Le nombre de blessés extrêmement graves est sept fois plus important. Le plan annoncé lors du conseil interministériel du 9 janvier 2018 est le résultat d'une longue préparation commencée dès juillet 2017, à la demande du ministre de l'intérieur. Le plan proposé de 18 mesures se veut être un programme équilibré et ambitieux pour l'ensemble du quinquennat. Il contient également un certain nombre de réflexions prospectives, notamment sur l'outre-mer où le bilan de la sécurité routière est assez mauvais. Il est le fruit de six réunions interministérielles, ainsi que de nombreuses consultations avec le bureau national de la sécurité routière, les associations d'élus - Association des maires de France, Assemblée des départements de France, Régions de France, France urbaine - les parties prenantes et des parlementaires de chaque chambre. Il s'organise autour de trois axes : l'engagement du citoyen, la protection des usagers de la route et l'anticipation des nouvelles technologies.

Tout d'abord, il s'agit de ramener la prévention au coeur de la société civile française. Nous allons travailler avec les missions locales qui jouent un rôle important, renforcer nos actions envers les étudiants, les seniors, les entreprises - en mobilisant notamment les organismes complémentaires de sécurité sociale. À cet égard, l'État employeur doit également être exemplaire. Ainsi, un haut fonctionnaire en charge de la politique routière va être désigné au sein de chaque secrétariat général de ministère. J'espère que ce mouvement sera également suivi dans les collectivités, pour que chaque employeur territorial soit impliqué. L'une des mesures du plan vise également à renforcer la protection des piétons, en augmentant leur visibilité. Nous travaillons ainsi au développement de pédibus ou vélobus, afin de sécuriser les trajets scolaires des enfants, en aménageant la chaussée. Les sanctions en cas d'infraction mettant en danger les piétons seront durcies, avec notamment une possibilité de recourir à la vidéo-verbalisation. Nous devons également tenir compte de l'augmentation du nombre de vélos.

En outre, la lutte contre l'alcoolémie au volant sera renforcée. Aujourd'hui 90 % des ventes de boissons alcoolisées se font en dehors des débits de boisson. Nous souhaitons la présence à la vente d'éthylotest dans les magasins vendant de l'alcool. Il s'agit également de favoriser l'implantation d'éthylotest antidémarrage. La loi LOPSI a permis leur déploiement. Or, aujourd'hui, seule une centaine a été installée. Afin de favoriser leur déploiement, le plan propose que lorsqu'une personne est contrôlée positive à l'alcool au volant, cette dernière puisse éviter une suspension de son permis dans l'attente de son procès, en installant un de ces appareils. Il s'agit en effet d'éviter des pertes d'emploi et une désocialisation du fait de la suspension du permis de conduire - avant tout jugement. En outre, en cas de suspension de permis pour dépassement des seuils d'alcoolémie au volant, toute personne doit passer devant la commission médicale départementale. En cas de deuxième passage devant cette dernière pour raison d'alcoolémie, le permis ne pourra être récupéré qu'en cas d'installation d'un système d'éthylotest antidémarrage. Nous comptons sur cette mesure pour développer l'éthylotest antidémarrage et faire baisser son prix, car il s'agit là d'un des obstacles principaux à son développement.

Une autre mesure importante du plan est la possibilité pour les forces de l'ordre de se rendre invisibles aux yeux des applications communautaires embarquées. Aujourd'hui, grâce à ces « appels de phares numériques », nos contrôles d'alcoolémie sont entravés. Ce dispositif ne servira pas pour les contrôles de vitesse, car nous disposons de suffisamment de radars.

En outre, les sanctions seront plus sévères pour l'utilisation du téléphone au volant qui est responsable d'un accident corporel sur dix. Désormais, quand une personne sera arrêtée avec le téléphone au volant et en commettant simultanément une autre infraction, son permis sera suspendu. Nous souhaitons également renforcer la protection des usagers des deux roues motorisées, notamment en travaillant sur la formation.

Le plan vise également à améliorer la protection des acheteurs de véhicules d'occasion. Il devra désormais être délivré un certificat mentionnant le pedigree complet de la voiture, et notamment si elle a fait l'objet de réparations contrôlées.

Pour ce qui est des stages de sensibilisation à la sécurité routière - aussi appelés stages de récupération de points mais ce n'est pas l'objectif - le stage durera désormais trois jours, au lieu de deux, lorsqu'il s'agira du troisième suivi par un même individu, avec un module consacré à l'addiction. Personne n'arrivera, dans sa vie, à gagner, en roulant vite, les deux ou trois jours passés en stage.

Enfin, nous misons également sur le déploiement d'un certain nombre d'innovations technologiques.

Pour revenir sur la mesure qui fait le plus débat - la baisse de la vitesse sur le réseau secondaire à 80 km/h, la vitesse est un facteur majeur en matière de sécurité routière. En raisonnant par l'absurde, on pourrait dire, sans vitesse, pas d'accident. Baisser cette dernière permet à la fois de baisser l'occurrence des accidents, et leur gravité. Ce dont il faut bien avoir conscience c'est qu'en matière de vitesse et de choc, la courbe de progression n'est pas proportionnelle, mais exponentielle. Vous m'avez posé la question de l'existence d'études scientifiques sur les effets positifs de la baisse de la vitesse. Une étude suédoise et une autre norvégienne ont compilé les études réalisées dans différents pays, et indiquent qu'une baisse de la vitesse moyenne entraîne une diminution du nombre d'accidents. On nous oppose l'ancienneté des études. En France, l'annonce du déploiement de radars a été faite en 2002. On a constaté un ralentissement fort de la vitesse des Français. Sur le réseau dont nous parlons aujourd'hui, entre 2002 et 2005, la vitesse moyenne pratiquée a baissé de 7 %, et la mortalité a baissé de 37 %. En 2012, le conseil national de la sécurité routière a émis des recommandations pour baisser l'accidentalité en France. L'abaissement de la limitation de vitesse en faisait partie, et a été approuvée par tous les membres. En outre, depuis 2015, où on a donné la possibilité aux maires de baisser à 30 km/h la limitation de vitesse dans leurs communes, on constate qu'un grand nombre d'entre eux y ont eu recours.

L'un des points importants est de savoir si cette mesure est proportionnelle. Le Premier ministre a souhaité envoyer un signal fort pour pouvoir baisser de manière significative le nombre de morts. Le taux de mortalité sur nos routes, - rapporté au nombre de kilomètres d'infrastructures routières -, n'est pas bon par rapport à nos voisins. En Allemagne ce chiffre est de 2 700 morts - rapporté au linéaire français - et en Suède, qui affiche un objectif de zéro accident, il est de moins de 2 000 morts. Dans 90 % des cas, les accidents ont pour cause une erreur humaine. Certes le problème peut aussi venir de l'infrastructure ou de la voiture elle-même. Et, même si un nombre réduit d'accidents a pour cause principale l'infrastructure, il faut travailler à mettre en place des routes plus « pardonnantes » en cas d'erreur humaine. Cette réduction de la vitesse est destinée à sauver des vies. Se pose en effet la question de savoir quoi dire aux victimes des accidents de la route. Quel tribut peut accepter la société française ?

On nous reproche également de vouloir instaurer cette mesure pour augmenter les recettes. Or, il a été décidé que l'argent des amendes serait affecté à l'amélioration des hôpitaux et à la sécurité routière. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, un jaune budgétaire a été consacré à la sécurité routière. 92 % des amendes des radars ont été affectées à cette dernière, réparties en trois postes : un tiers pour la Sécurité routière, un tiers pour l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), et un tiers pour les collectivités territoriales. 80 % des titulaires du permis de conduire ont tous leurs points, et 32 millions de Français ont leurs points depuis plus de quatre ans, ce qui prouve qu'il est possible de respecter les vitesses.

Une autre critique consiste dans le fait que cette mesure serait anti-rurale. Au final, la perte de temps est très limitée. Depuis quelques jours, suite à l'annonce de cette mesure, des journalistes de la presse régionale ont testé la limitation de vitesse à 80 km/h. Je vous lis ici un extrait d'un article publié dans Ouest-France : « la sensation de lenteur est palpable, mais on se sent un peu plus serein et un peu plus à même de pouvoir éviter un problème ». Certes, cette mesure entraîne une perte de temps, mais elle est minime et devrait permettre de sauver 300 à 400 vies par an. Nous sommes conscients que ces vies épargnées ne peuvent pas individuellement nous remercier, mais il s'agit là d'un bienfait collectif. Ce n'est pas la première fois qu'une mesure de sécurité routière est impopulaire. Il en a été de même lors de l'introduction du port obligatoire de la ceinture de sécurité ou encore du permis à points : des hôpitaux avaient d'ailleurs été bloqués à cette occasion. Enfin, et sans trahir le secret des délibérations du conseil national de la sécurité routière, je me permettrai juste de finir avec une phrase prononcée par le directeur général de la gendarmerie nationale au sujet de cette mesure : « on ira un peu moins ramasser des gens au bord des routes ».

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